La justice civile sera-t-elle saisie, de nouveau, de l'affaire des martyrs de la révolution, à la suite des jugements rendus samedi dernier par la justice militaire? Le comité de défense menace de tout révéler aujourd'hui Tollé général et controverse tous azimuts, dimanche et hier, à la suite des jugements prononcés, samedi soir, par la Cour d'appel militaire à l'encontre des accusés dans les affaires des martyrs et des blessés de la révolution. Les partis politiques, dans leur majorité écrasante, les constituants à l'ANC, la présidence de la République, l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature (Otim) ainsi que les avocats de la défense dénoncent la légèreté des jugements rendus, estimant qu'«ils sont incompatibles avec la gravité des accusations» et appellent en chœur à ce que l'affaire soit retirée de la justice militaire et déférée, de nouveau, devant les juridictions civiles. Reste à savoir maintenant si cet appel est applicable, au plan juridique, du moment que l'affaire a abordé une nouvelle phase avec la décision du ministère public d'introduire un recours devant la Cour de cassation. Nous attendons les motivations En vue d'éclairer l'opinion publique et de lui permettre d'être au fait des déclarations des uns et des communiqués des autres ayant accompagné les jugements rendus, samedi dernier, La Presse a sondé les réactions des différentes parties concernées. Ainsi, Raoudha Laâbidi, présidente du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT), exprime-t-elle son grand étonnement «des déclarations du président provisoire de la République, qui affirme que la culpabilité de certaines personnes jugées est établie, et des communiqués publiés par les partis politiques, bien que n'ayant pas pris connaissance du dossier. Plus grave encore, personne n'a eu jusqu'ici le privilège de parcourir le jugement et d'avoir la moindre idée des motivations sur lesquelles il est fondé». «Sur le plan juridique, ajoute-t-elle, il n'existe qu'une seule solution pour s'opposer au jugement en question. Il s'agit de recourir à la Cour de cassation. Quant à ceux qui appellent au transfert de l'affaire à la justice civile, ils doivent savoir que cette solution n'est possible qu'à la condition de la promulgation d'une nouvelle loi autorisant ce transfert». Raoudha Lâabidi insiste, en conclusion, pour souligner : «La justice, qu'elle soit militaire ou civile, rend ses jugements uniquement sur la base des documents qui sont à sa disposition. Elle n'obéit ni aux désirs de l'opinion publique mi aux agendas des partis politiques. En tout état de cause, le bureau exécutif du SMT se réunira demain (aujourd'hui) pour arrêter sa position officielle sur l'affaire». On consacre l'impunité Du côté de l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature (Otim), on découvre un autre son de cloche. Il s'agit purement et simplement de jugements qui consacrent l'impunité des anciens responsables sécuritaires du régime déchu. Le magistrat Ahmed Rahmouni, président de l'Otim, confie, en effet, à La Presse: «Les jugements rendus ne correspondent pas à la gravité des actes reprochés aux accusés. La requalification, par la Cour, de ces actes n'est pas également compatible avec les crimes dont la véracité a été établie, selon le dossier». Il dénonce également le recours à la justice militaire dans la mesure où les tribunaux militaires «n'offrent pas les conditions d'un jugement équitable, selon les normes internationales en la matière. Les procès relatifs aux violations graves des droits de l'Homme doivent être examinés par les tribunaux civils, les tribunaux militaires ne pouvant, en aucun cas, répondre aux critères de l'indépendance et de l'impartialité». C'est la raison pour laquelle «l'Otim exige que le dossier soit déféré le plus tôt possible à la justice civile». «Nous sommes d'avis que les jugements qui seront prononcés par la Cour de cassation peuvent être déférés à l'Instance Vérité et dignité. Cette instance aura à les déférer aux chambres spécialisées qui seront mises sur pied à l'avenir comme le prévoit la loi portant création de l'instance. Malheureusement, la mise en place de l'Instance Vérité et dignité est actuellement en butte à plusieurs obstacles dressés par certains partis politiques qui ont d'autres préoccupations et d'autres agendas», souligne Ahmed Rahmouni. Du côté de la défense des martyrs et des blessés de la révolution, on qualifie les jugements de parodie juridique et on menace de révéler les secrets à l'opinion publique. Me Charfeddine Kellil a annoncé, hier, sur les ondes de Radio Mosaïque, que «le comité de défense des martyrs et des blessés de la révolution tiendra demain (aujourd'hui) une conférence de presse au cours de laquelle le voile sera levé sur les ombres de l'affaire et les Tunisiens sauront tout sur les conditions qui ont entouré l'affaire depuis les premiers pas de l'instruction».