Les agriculteurs ont toutes les peines du monde à trouver cette main-d'œuvre indispensable au travail de la terre. Le problème va en s'aggravant. Des solutions alternatives sont possibles, pourvu qu'on s'y mette et dès maintenant. Le secteur agricole est le seul, peut-être, à avoir été épargné par les troubles que connaît le pays depuis plus de trois ans. Les agriculteurs, toutes catégories confondues, font de leur mieux pour ne pas manquer à leur devoir. En céréaliculture comme en maraîchage ou en arboriculture, la production demeure au même niveau que par le passé, même si pour la première activité, la pluviométrie demeure un facteur déterminant. Mais depuis plus d'une décennie, les exploitants font face à un problème majeur, celui de la main-d'œuvre qui se fait de plus en plus rare. Les jeunes dans leur majorité ne sont plus attirés par le travail de la terre, surtout parmi les hommes qui refusent carrément toutes les offres qui leur sont faites avec des salaires qui dépassent de loin le Smag. Seules les femmes sont de nos jours dans les champs, en hiver comme en été. Ce sont elles qui assurent tout le travail ou presque, bien qu'elles soient moins rémunérées que les hommes. C'est à elles que nous devons tout ce que nous voyons sur les étals. Pourtant, elles ne sont assurées en rien pour leur avenir, pis encore, leurs hommes —maris ou fils— se permettent sans vergogne de les délester d'une bonne partie de leur paie pour aller la dépenser dans leurs beuveries, jeu de cartes et narguilés ! Ce fait ne date pas d'aujourd'hui et continuera à l'être, mais la question cruciale est de savoir si, demain, on aura toujours cette possibilité de continuer à compter sur cette main-d'œuvre féminine encore disponible, mais qu'il faudrait aller chercher à des dizaines de kilomètres du lieu de l'exploitation ? Pour l'agriculteur, c'est un véritable parcours du combattant, mais encore faut-il avoir ses propres moyens de transport pour aller vers les milieux ruraux les plus reculés et les petits patelins des montagnes. Sinon, on doit faire appel aux transporteurs ruraux qui font les meilleures affaires pendant les saisons de la cueillette des olives ou de piquetage et ramassage des tomates, poivrons, pastèques et melon. Parcours du combattant Pour la cueillette des olives, il n'est pas rare de voir un propriétaire proposer la moitié de la récolte d'olives aux ouvrières chargées de la cueillette. Pour le ramassage de la tomate, qui se fait dans des conditions on ne peut plus inhumaines, sous une chaleur accablante, et au mois du Ramadan, comme c'est le cas pendant ces dernières années, le cultivateur ne peut en aucun cas exiger que l'on fasse les huit heures légales. C'est à la pièce qu'on travaille, généralement, la base est de quarante caisses qu'on parvient à remplir en trois heures ou quatre heures tout au plus. Quarante caisses, c'est aux alentours d'une tonne. Au prix de 18 dinars payés par ouvrière, le kilo de tomates ramassées revient à 15 millimes. Quand on sait que le prix du kilo destiné à la transformation est de 123 millimes, le coût de la cueillette à lui seul représente 10% des charges, sans compter les autres dépenses, en labour, plants, piquetage, engrais, pesticides, conduites d'eau et le prix du m3 de cette dernière qui est dissuasif pour plus d'un exploitant. Cette situation ne peut pas durer éternellement, car viendra le jour où l'agriculteur ne pourra plus supporter de telles charges, qui n'ont de cesse d'augmenter. La solution est peut-être dans la mécanisation ! Sans doute. Mais les agriculteurs tunisiens, dans leur écrasante majorité, ne sont que de petits exploitants aux moyens limités et ne peuvent par conséquent se doter du matériel adéquat, vu son coût exorbitant. La mécanisation : un moyen, mais... Il faut noter que, depuis quelques années, la mécanisation d'une part importante des travaux est assurée par les machines, du larbour —cela va de soi — jusqu'à l'épandage des engrais, les pesticides, etc. Le système du goutte-à-goutte a remplacé dans l'irrigation l'ouvrier chargé de cette tâche, le binage aussi se fait par ces petits tracteurs Kubota venus du Japon, mais les autres travaux, tel le ramassage de la tomate, qu'on peut effectuer par des machines conçues spécialement, n'est pas à la portée de la quasi-totalité des exploitants. Une seule de ces machines coûte des centaines de millions. Quelques-unes ont fait leur apparition en Tunisie, mais elles sont la propriété d'un industriel transformateur du produit. Il les loue à l'heure, mais à un prix inabordable. Recourir à ce moyen serait la solution idéale pour résoudre ce grand problème, mais encore faut-il imaginer le meilleur moyen pour y parvenir. Créer une coopérative pour la location de gros engins agricoles ne serait pas une mauvaise idée. Et l'Etat devra y contribuer en encourageant leur mise en place, la conclusion des marchés avec les parties étrangères et pourquoi pas exonérer ces machines des taxes douanières. L'idée de la création de coopératives pour engins agricoles n'est pas une trouvaille. Elle nous a été inspirée par la défunte Motocop, qui avait rendu de grands services aux agriculteurs, pendant les années 1970 et 1980 avant de disparaître, on ne sait d'ailleurs pourquoi. Cette Motocop louait tracteurs et moissonneuses-batteuses aux agriculteurs qui n'en avaient pas à des prix défiant toute concurrence. On pourrait la ressusciter pour l'occasion et permettre de résoudre ce problème épineux auquel sont confrontés les cultivateurs de tomate chaque été. D'autres solutions pourraient être trouvées, pourvu qu'on fasse preuve d'imagination et qu'il y ait vraiment de la volonté. Sinon, viendra le jour où notre pays, grand producteur de tomate et de concentré de ce fruit, deviendra importateur de ce même concentré d'un pays comme la Chine dont le triple concentré est réputé de par le monde et à des prix très compétitifs. Il est temps d'agir, car d'ici quelques années, si des solutions alternatives ne sont pas trouvées à la rareté de la main-d'œuvre, on n'aura plus personne pour travailler la terre.