«Certains produits se négocient au stade de la vente en détail à des prix largement supérieurs au prix du départ, facturé par l'agriculteur. Le client paye 2 dinars et plus pour quelques fruits, pommes et poires, alors que l'agriculteur les offre à seulement 700 millimes le kilo», explique un agriculteur. Le pouvoir d'achat des ménages est largement tributaire du rendement des maillons de la chaîne de production et de distribution des produits agricoles. En effet, pour illustrer le renchérissement des prix, les citoyens avancent avec étonnement et amertume, le plus souvent, les prix astronomiques de certains fruits et légumes. On a tout vu, tout entendu et tout acheté : des piments à 3 dinars, des tomates à 2 dinars, du persil à 1 dinar.... Et la part des fruits et légumes dans le budget des ménages est considérable et peu compressible. Du coup, toute flambée des prix de ces produits se répercute directement sur le pouvoir d'achat des citoyens. Récemment, les prix des légumes ont évolué à deux chiffres, environ 11%, selon la communication officielle de l'Institut national de la statistique sur le taux d'inflation du mois de janvier. Evalué à 6%, l'inflation est tirée principalement par l'évolution à deux chiffres des prix des légumes. Bien que certains justifient l'envolée des prix par des facteurs conjoncturels, notamment la saisonnalité, plusieurs craintes persistent sur la tendance haussière des prix. Pour en savoir plus, on a contacté un agriculteur de la région de Tunis qui développe en parallèle des activités connexes d'entreposage frigorifique, de transport et d'exportation, ainsi que de consulting en agriculture. Inquiet, il rappelle que la vague de renchérissement n'a pas épargné les produits stratégiques pour lesquels l'Etat détient un pouvoir de réglementation du prix et des stocks de régulation. « De nos jours, les pommes de terre se négocient à 1.200 millimes et on s'attend à des tarifs plus élevés le mois prochain», prévoit-il. Et de renchérir : « Si durant les deux saisons exceptionnelles on n'avait pas pu éviter la flambée des prix, il serait plus difficile de garantir l'équilibre des marchés avec la saison actuelle, très moyenne ». Donc, le pouvoir d'achat risque de douloureuses secousses suite à de plus graves pénuries et des prix plus salés. Ainsi, les services compétents sont appelés à planifier les mesures appropriées pour assurer une rentabilité suffisante aux offreurs et des prix abordables pour les clients. La coordination avec les consultants agricoles et les groupements de professionnels du secteur est incontournable. En amont de la chaîne, l'agriculteur se positionne comme le maillon le plus faible. Alors qu'il est censé garantir la qualité des produits et leur disponibilité sur le marché, l'agriculteur ne participe qu'à une faible échelle à la préservation du pouvoir d'achat. «Certains produits se négocient au stade de la vente en détail à des prix largement supérieurs au prix du départ, facturé par l'agriculteur. Le client paye 2 dinars et plus pour quelques fruits, pommes et poires, alors que l'agriculteur les offre à seulement 700 millimes le kilo», explique l'agriculteur. De plus, durant de long mois de travaux épineux, il court plusieurs risques, dont certaines épidémies qui peuvent tout ravager. Renchérissement des intrants La détérioration du pouvoir d'achat trouve des origines bien lointaines du marché des produits frais. En effet, la modernisation de l'agriculture a fait que les cultures obéissent à des normes scientifiques. Les semences, génétiquement modifiées, sont programmées selon des quantités bien définies d'engrais. Ces engrais chimiques, indispensables pour assurer une bonne récolte, coûtent de plus en plus cher. D'où un premier lot de difficultés relatif aux intrants. «Les intrants coûtent de plus en plus cher», s'alarme-t-il. De même, les factures des eaux d'irrigation ne cessent de croître et les quantités d'eau se font de plus en plus rares. Egalement, les prix du carburant, gasoil, ont flambé, depuis des années. Et tout le matériel, les équipements et les engins agricoles sont consommateurs de carburant. «Ce sont deux composantes principales et incompressibles du coût global», précise-t-il. Sur un autre plan, l'activité agricole souffre d'un manque de main-d'œuvre. D'où un deuxième lot d'ambiguïtés. «Cette situation s'est aggravée depuis la révolution, note l'agriculteur. Certaines mesures ont dissuadé les travailleurs habituels du secteur. Avoir le statut d'un ouvrier temporaire de chantier et bénéficier d'une rémunération mensuelle, sans fournir d'efforts, a séduit une large frange des travailleurs du secteur primaire», explique-t-il. Du coup, toutes les activités agricoles se trouvent en manque de main-d'œuvre. Il note que les salaires ont évolué de 50%, alors que la productivité des travailleurs ne cesse de chuter. «Avec un rythme lent de cueillette des olives, on risque de perdre une bonne partie de la récolte. Donc de notre revenu», illustre-t-il. A cela s'ajoute l'insécurité de plus en plus ressentie par les agriculteurs. « Dans mon oliveraie, où j'emploie 20 gardiens, on a retrouvé 40 sacs d'olives stockés par des malfaiteurs, soit 3.500 dinars, pour les dérober le lendemain», raconte-t-il. Les agriculteurs se débarrassent de leurs productions Un bon nombre d'agriculteurs manquent d'équipements, d'emballages et de matériels de transport pour acheminer leurs récoltes aux marchés de gros. D'où la vente directe paraît une solution de facilité, mais bien appropriée pour les petits exploitants. D'ailleurs, incapables d'engager des dépenses additionnelles, ils se contentent des recettes dégagées de ce mode de vente. «Le souci de l'agriculteur est de vendre sa production», relève-t-il. Fortement endetté, l'agriculteur cherche à maximiser ses recettes pour honorer ses engagements. En effet, le passage par les marchés de gros est une alternative coûteuse et risquée pour les agriculteurs. «Ça coûte cher et c'est trop risqué !», déplore-t-il. Le poids des charges et des taxes dissuade les opérateurs à passer par ce passage obligatoire. De plus, sur une année, l'agriculteur se présente pendant, seulement, quelques jours pour écouler la récolte. D'où, dans son rapport avec les opérateurs des marchés de gros, notamment les mandataires, il figure comme le maillon faible. «Les mandataires privilégient les clients réguliers, notamment les commerçants qui vendent les produits d'autrui, au détriment des agriculteurs qui tentent de vendre leur récolte», relève l'agriculteur. Pis, dans les marchés de gros, on n'est jamais à l'abri d'une mauvaise surprise. En effet, «dans un climat d'insécurité, des pratiques immorales de banditisme, d'arnaque et de vol se sont répandues», s'alarme l'agriculteur. Cette situation a encouragé les producteurs à éviter le passage par le marché de gros.