Ahmed Rahmouni: «La révocation de ces juges est contraire aux garanties indispensables de défense, contraire à la loi et contraire aux principes généraux de l'indépendance de la justice. Il y a eu un assainissement illégal, improvisé et précipité du secteur qui ne peut qu'occulter la vérité». Le 26 mai 2012, le gouvernement de Hammadi Jebali, et plus précisément le ministre de la Justice de l'époque, Noureddine Bhiri, a décidé de licencier 71 Juges en leur octroyant six mois de salaires pour solde de tout compte. Depuis, plusieurs structures et organisations, à l'instar de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), ont dénoncé cette décision estimant que ces juges n'ont pas bénéficié de droit à la défense. Plus concrètement, les juges remerciés ont porté plainte auprès du Tribunal administratif et ont eu gain de cause dans une trentaine d'affaires. Pour le reste, le Tribunal administratif n'a pas encore tranché. Akrem Menakbi (il a notamment siégé dans le procès du cyberactiviste Zouhaier Yahiaoui), un de ces juges, demande au gouvernement de ne pas interjeter appel des arrêtés du tribunal administratif. «Dans nos revendications légitimes, nous sommes soutenus par le ministre de la Justice actuel, Hafedh Ben Salah, confie-t-il. Lui même expert en droit administratif, il sais très bien que cela ne sert à rien de faire appel car les décisions vont très probablement être confirmées». Dans cette affaire, il estime que l'Etat engagera des frais dans une cause perdue d'avance, et les juges, eux, continueront «à attendre une réhabilitation qui tardera encore des mois et des mois» . Cependant, ce juge qui dit avoir été limogé pour «des raisons morales», admet l'existence, parmi les juges licenciés, d'éléments corrompus. Mais ce qu'il déplore, c'est la «punition collective» dont il estime être victime. «On met dans le même panier, des juges impliqués dans des malversations, et des juges simplement suspectés de mener une vie extra-conjugale ou de boire un verre de trop. Il est évident que les sanctions doivent être proportionnelles aux actes». Ce constat est partagé par le président de l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature (Otim), Ahmed Rahmouni, qui ajoute aux 71 magistrats révoqués sous Noureddine Bhiri, les 6 magistrats limogés sous Lazhar Karoui Chebbi, ministre de la Justice au lendemain du 14 janvier 2011. "La révocation de ces juges est contraire aux garanties indispensables de défense, contraire à la loi et contraire aux principes généraux de l'indépendance de la justice, explique-t-il. Il y a eu un assainissement illégal, improvisé et précipité du secteur qui ne peut qu'occulter la vérité ". Selon Ahmed Rahmouni, la remise en cause des décisions de révocation ne dédouane pas une partie des magistrats de leur implication avec l'ancien régime ou dans des affaires d'ordre moral. "Ces décisions n'ont pas permis l'assainissement du secteur car il subsiste jusqu'à ce jour, des magistrats véreux en exercice", précise-t-il. Les juges demandent donc que justice soit faite, une justice équitable qui leur permette de faire valoir leurs droits. D'après notre juge, ceux-ci proposent une sorte de «deal» au gouvernement: «ne faite pas appel, réhabilitez-nous, puis, nous nous mettrons à la disposition du conseil de discipline de l'instance provisoire de l'ordre judiciaire. Nous respecterons ses décisions». Ils accepteraient ainsi une révocation en bonne et due forme, ou une autre sanction de la part de l'instance, si leur implication dans une quelconque affaire venait à être prouvée. «Cela ne sert à rien de faire appel des décisions du Tribunal administratif, il faut réhabiliter ces juges dans leurs fonctions, demande Ahmed Rahmouni. Cependant, ces dossiers ne doivent pas être définitivement clos, certains devront s'expliquer devant l'instance provisoire de l'ordre judiciaire, d'autres, même parmi ceux qui n'ont pas été révoqués, devront faire face à la justice transitionnelle». Entre-temps, comme les autres, Akrem Menakbi continuera à affronter le regard de sa famille et de tous les gens qui l'ont côtoyé juge. Selon lui, certains travaillent aujourd'hui comme simples vendeurs dans les commerces.