Le consensus national n'existe pas, puisqu'une partie du champ politique légitime le terrorisme, et se heurte à la difficulté de trouver une définition adéquate La Tunisie peut-elle gagner la guerre contre le terrorisme? Pourquoi cette question dont la réponse par l'affirmative semblait évidente il y a quelques mois. A présent le doute est permis, une profonde angoisse s'est installée et le deuil est inconsolable. Désormais, le phénomène est structurel et non pas conjoncturel, dans le pays et dans la région. Désormais, le mont Chaâmbi est devenu le sanctuaire des jihadistes, une terre arrachée à la souveraineté territoriale, d'où ils jaillissent pour attaquer « les forces loyalistes » et les Tunisiens et rentrer « chez eux » en toute impunité. Le constat est sans appel ; c'est une guerre asymétrique dans laquelle les forces armées sont faiblement équipées. Elles attendent leurs gilets pare-balle depuis une année, ne disposent pas d'hélicoptères adaptés, ni de véhicules antimines ; quant à l'utilisation des avions de chasse depuis une année pour bombarder quelques dizaines de terroristes dans la montagne, il s'est avéré inefficace et très coûteux. En face, il y a les autres, les ennemis, organisés, super-équipés, munis d'artillerie lourde, dotés de stratégies ficelées et sophistiquées, gagnant en assurance au fil des opérations. Résultat, les attaques sont devenues spectaculaires ; on ose attaquer la maison du ministre de l'Intérieur ! On fait un double assaut simultané sur deux postes de surveillance de l'armée à la mitrailleuse et au RPG. Bilan, 14 morts, au moins, « le plus lourd depuis l'indépendance », s'exclame la presse internationale, et beaucoup de blessés graves parmi les soldats. Eux « déplorent » un seul mort. Au fait, comment le lance-roquettes, cette arme de guerre, a-t-il été acheminé vers le territoire national ? Dans une valise ? Pourquoi la Tunisie a-t-elle échoué dans cette bataille ? Parce que pour combattre le terrorisme, il faut une unité de commandement, une détermination, une union nationale, et des textes juridiques. Or, les quatre conditions ne sont pas remplies, d'où l'hécatombe de mercredi, d'où le succès indéniable des opérations terroristes. Alors que le pays est doté de forces spéciales et antiterroristes reconnues internationalement, donc on ne comprend pas ! Des signes de mollesse injustifiés Tous les précédents montrent que cette guerre ne réussit qu'avec un leadership et une détermination sans faille ainsi qu'avec l'adhésion de la population. Or, les outils pour faire face à cette guerre sont absents. La chaîne de commandement est non unifiée, des clans s'écharpent dans l'institution sécuritaire et militaire, la méfiance y est de règle. Des accusations réciproques alimentent régulièrement les réseaux sociaux. Les forces de sécurité sont divisées. Le chef de l'Etat et chef suprême des armées ne cesse, quant à lui, de donner des signes de mollesse et de faiblesse en direction des terroristes en leur proposant le pardon et une amnistie, sans parler de la libération injustifiée d'éléments dangereux à toutes les fêtes religieuses et civiles que compte le pays. Le consensus national n'existe pas: puisque une partie du champ politique légitime le terrorisme, et se heurte à la difficulté, nous dit-on, de trouver une définition adéquate ; un autre groupe est laxiste, un troisième est complotiste. Quant aux médias, certains organes et des commentateurs trouvent intelligent de légitimer le terrorisme en invoquant la pauvreté et l'exclusion. La population, elle, est divisée. Il suffirait de voir les manifestations de joie, au moment où la majeure partie du peuple tunisien pleure ses enfants, qui ont éclaté dans les mosquées et même sur la voie publique du nord au sud du pays ; à Bizerte, Zarzouna, à Sidi Ali Ben Aoun, Sidi Bouzid, à la cité Ezzouhour, Kasserine ainsi qu'à Ben Guerdane, Médenine. Sans la complicité coupable de cette partie de la population, le siège aurait peut-être porté ses fruits. Aucune récupération n'est admissible Les choses étant ce qu'elles sont : sommes-nous en plein dans le scénario algérien ? En tout état de cause, les terroristes semblent être plusieurs centaines, ils semblent bénéficier d'une véritable logistique et d'un réseau de complicités depuis la Libye, sans compter les Algériens qui n'hésitent pas à faire le coup de feu chez nous. A côté de ces opérations spectaculaires, il y a du terrorisme à bas bruit: tous les jours, des saisies d'armes sont réalisées, généralement par le plus pur des hasards ; tous les jours des prêches violents sont donnés dans les mosquées et l'embrigadement se poursuit en plein jour ; tous les jours des salafo-jihadistes, bizarrement devenus riches en deux temps trois mouvements, gagnent du terrain et en notoriété. Tout ceci montre la densité du phénomène. Et tout ceci nous fait craindre que l'expansion du terrorisme risque d'atteindre un point de non retour. Les scénarios qui circulent sur la Toile donnent froid dans le dos. Les terroristes nous préparent des attaques en rafale, une cinquantaine d'attentats simultanés, semble-t-il, c'est ce qui est annoncé, et le pays sera à prendre ! Face à cette débâcle caractérisée, que font les forces politiques et les gouvernants ? Marzouki se terre, quand il ne s'agite pas comme il peut, en attendant que passe l'orage, en décrétant le deuil national. Les partis politiques appellent à une conférence nationale, rien que pour instrumentaliser la question d'une manière politicienne. Ils sont déjà en précampagne. Or, le consensus national est un minimum à exiger. Chaque parti ne devrait-il pas s'engager à éviter les exploitations politiciennes et électorales ? Les appels d'Ennahdha et de certains autres partis à des marches contre le terrorisme ce vendredi devraient être annulés et remplacés par une marche nationale. Cette cause est nationale et n'appartient à personne. Aucune récupération n'est donc admissible. Quelles que soient les analyses, les excuses, une obligation de résultat pèse sur les épaules des gouvernants. Or, le constat est là, l'équipe en place a échoué, et la Tunisie risque, in fine, de perdre la guerre. Moralité, il faudra élire des gens avec du caractère, capables de faire face à la menace terroriste, capables d'élaborer une stratégie et de la faire respecter, de l'imposer, si besoin, capables de tarir les sources du terrorisme, et de provoquer une révolution culturelle, capables de s'adresser aux Tunisiens en adultes et leur dire que la situation est grave. Pour ce faire, il faut un leader.