Par Hella LAHBIB Contrairement à ce qu'ont déclaré certains commentateurs et hommes politiques, les terroristes ne sont pas aux abois. Ils sont en guerre contre l'Etat tunisien. D'un autre côté, la réponse de l'Etat tunisien montre une absence de leadership et une faiblesse au niveau du commandement. Voyons ces points un par un. En espérant que les différents acteurs nous donneront tort. A en croire Mustapha Ben Jaâfar, cette attaque est une simple réaction de la part de terroristes plus ou moins aux abois qui tirent en quelque sorte leurs dernières cartouches. Erreur sur toute la ligne ! Erreur de communication d'abord. Si l'on veut être crédible dans la lutte contre la terreur, il faut toujours dire la vérité. Ce n'est qu'en disant la vérité qu'on soudera l'ensemble des Tunisiens dans cette guerre qui sera longue. Erreur politique également. Les Tunisiens ne veulent plus être considérés comme des mineurs. Ils se considèrent comme adultes et attendent un langage d'adultes. Enfin, parce que dans des cas similaires, seule la vérité permet de réaliser un consensus fort et seul un consensus fort permet de venir rapidement à bout du terrorisme et de mobiliser l'opinion et le peuple dans ce sens. A voir de plus près l'assaut meurtrier de Kasserine, le mode opératoire des groupes jihadistes va en s'affinant. Une telle opération signifie une organisation sophistiquée et un agencement méthodique des modalités d'exécution : repérage de la cible, vol non pas d'une mais de deux voitures, préparation de faux uniformes et cagoules, ravitaillement en munitions, bizarrement disponibles en quantité. La logistique semble avoir été préparée sur place. Donc, la zone dite militaire n'est pas la souricière dont on nous parle, mais plutôt un coin tranquille où des opérations spectaculaires comme celle de mardi peuvent être planifiées. De plus, l'heure est bizarre. On aurait pu penser que les terroristes choisiraient 2h ou 3h du matin, là où le sommeil est profond. Ils ont choisi minuit, ce qui n'est pas tard par rapport à la moyenne des Tunisiens qui passent leur soirée à regarder la télévision. En parfaite connaissance de la proximité de la cible d'une section de la garde nationale, les assaillants ont mis à exécution leur plan audacieux. Conclusion, s'ils étaient encerclés au Chaâmbi, ils n'auraient pas quitté la montagne pour réaliser une attaque de cette envergure et rentrer tranquillement. Ils auraient plutôt pris la poudre d'escampette. Les jihadistes avaient annoncé, début février, qu'ils allaient faire la guerre à l'Etat et avaient excommunié l'Etat tunisien et ceux qui travaillent pour lui. Toujours en février, nous avons connu la première opération avec les faux barrages. D'autres opérations sophistiquées se sont enchaînées en adoptant le même mode opératoire: faux uniformes de police, faux barrages, voitures piégées. Ces gens-là sont forts aussi parce qu'ils sont connectés à leurs confrères algériens et libyens et qu'ils sont eux-mêmes nombreux. Quelques centaines probablement, sans compter les sympathisants. Et n'oublions pas qu'ils sont facilement 2.500 à 3.000 dans les différents pays tels que la Syrie, l'Irak ou la Libye. Du côté de l'Etat, le leadership semble absent et le commandement n'atteint pas la fermeté requise. Le chef de l'Etat, chef suprême des armées, avait reçu dans son palais et à deux reprises, les chefs de la mouvance salafiste dont la plupart (pas tous) exprimaient ouvertement des sympathies à l'égard du jihad et présentaient Ben Laden comme un modèle, y compris sur nos plateaux de télévision. Le président de la République a également offert l'amnistie aux terroristes (qui n'ont pas de sang sur les mains, certes) et a choisi le lieu pour lancer son appel : au pied du mont Chaâmbi, en face des soldats dont les collègues ont été égorgés. Pour les terroristes, comment peut être interprété cet appel sinon un signal de faiblesse. Pour l'opinion, ce n'est qu'un brouillage supplémentaire. Pour les soldats, c'est pire, si l'on cherchait à les démobiliser, on ne ferait pas autrement. Or la seule réaction que l'on doit attendre d'un chef est la détermination absolue, sans faille. Quant à la chaîne de commandement, les sources sont nombreuses, au sein même de l'appareil sécuritaire à évoquer des clans, des dossiers enterrés, voire des complicités. Et, en tout cas, de graves divergences ainsi que des suspicions à la tête même du département. C'est pourquoi l'appel à une conférence nationale sur la lutte contre le terrorisme vient aggraver une situation déjà cafouilleuse. Une conférence nationale pourquoi ? Pour convaincre qui ? Pour monter sur la tribune et dérouler les incantations contre le terrorisme ? Pour exposer une stratégie de lutte antiterroriste forcément confidentielle ? Ou pour instrumentaliser la situation politiquement chacun en sa faveur ? Ou bien pour dire des évidences du genre: la pauvreté et la marginalisation font le lit du terrorisme ? Or l'heure est venue de passer de la rhétorique à l'action.