Marzouki revient à ses premières amours en proposant l'asile aux chrétiens et yazidis irakiens. Sans prendre en considération les retombées économiques, sécuritaires et politiques de son initiative prise comme d'habitude sans que Mehdi Jomâa en soit informé Décidément, Moncef Marzouki, le président provisoire de la République, ne finira jamais, avant de faire ses bagages et de quitter le palais de Carthage, de surprendre les Tunisiens par ses initiatives le moins qu'on puisse dire rocambolesques. Sa dernière initiative : l'invitation lancée aux chrétiens et yazidis d'Irak chassés par Daech de rejoindre la Tunisie, prête à les accueillir jusqu'à leur retour à leur pays. En plus clair, Marzouki offre l'asile à près de trois cent mille irakiens sans savoir si la Tunisie a les moyens de les accueillir et de mettre à leur disposition les conditions qu'exige l'assistance humanitaire à un peuple ou à une communauté en danger. Plus encore, l'invitation lancée par Marzouki aux Irakiens chrétiens et yazidis intervient sans aucune coordination avec la présidence du gouvernement où la cellule de crise pilotée par Mehdi Jomâa en personne trouve les pires difficultés à canaliser les centaines de milliers de Libyens qui fuient la guerre dans leur pays et s'installent en Tunisie. Comment réagissent les acteurs du paysage politique et civil national à l'initiative de Marzouki et trouvent-ils qu'elle est réalisable ? Une réaction à l'improviste «Je ne pense pas que cet appel constitue une forme d'assistance humanitaire à un peuple ou à une communauté en danger puisque l'Etat, qui est censé proposer son assistance, doit être en position de force, ce qui n'est pas le cas pour la Tunisie», réplique Abdelmajid Abdelli, professeur de droit public international. Il ajoute : «Marzouki oublie-t-il que notre pays n'a pas les moyens d'accueillir 300 mille réfugiés et de leur fournir la protection nécessaire dans l'attente qu'ils se rendent dans les pays qui accèderont à leurs demandes d'asile politique, plus particulièrement les pays d'Europe et à leur tête la France, qui a déjà exprimé le désir de leur offrir son hospitalité ? Seulement, les chrétiens et les yazidis ont rejeté cette offre. En principe, s'ils veulent quitter leur pays, c'est aux pays voisins de leur ouvrir leurs frontières et en premier lieu la Turquie qui est membre de l'Otan et qui dispose des moyens exigés dans une telle situation. Quant à l'appel de Marzouki, c'est une réaction à l'improviste et un geste de campagne électorale avant la lettre de la part d'un président qui agit toujours en candidat permanent au Palais de Carthage. Une proposition irréaliste Pour l'analyste militaire, Fayçal Chérif, «la proposition de Marzouki relève d'un discours de propagande creux. Sait-il qu'en invitant les chrétiens et les yazidis irakiens à se réfugier en Tunisie, il n'aura plus à demander à l'ONU (via le HCR) de l'assister financièrement et puis le gouvernement de Jomâa, qui n'est pas au courant de l'appel de Marzouki, a-t-il les moyens de subvenir aux besoins de quelque 300.000 nouveaux exilés qui diffèrent des Libyens connus pour leurs bourses bien fournies» ? Sur le plan purement sécuritaire, comment va-t-on procéder pour assurer leur protection ? «A mon sens, il est impossible dans la situation actuelle de leur déléguer au moins dix mille soldats pour veiller à leur sécurité à un moment où le ministères de la Défense se trouve dans l'obligation de rappeler les réservistes afin de faire face aux terroristes, d'une part, et de sécuriser l'opération électorale, d'autre part», relève-t-il. Fayçal Chérif se demande également : «Quand Marzouki comprendra-t-il qu'il doit se comporter en président de la République et non en tant que président d'une organisation de défense des droits de l'Homme ?» Marzouki doit cesser immédiatement de prendre l'Etat en otage Abdelwaheb Héni, président du parti Al Majd et candidat à l'élection présidentielle, aborde l'initiative de Marzouki sur les plans de la forme et du fond. D'abord, sur le plan de la forme, l'Etat ne s'exprime pas par le biais de blogs ou d'articles sur un média électronique, de surcroît appartenant à un gouvernement étranger. L'Etat s'exprime par la voie de déclarations officielles et publiques de ses responsables chargés des dossiers concernés, en l'occurrence le ministère des Affaires étrangères. Ensuite, sur le fond, la Tunisie a l'obligation de soutenir le droit des communautés chrétienne et yazidie de vivre en paix sur leur propre terre et d'appeler la communauté internationale à les protéger», souligne-t-il. Pour ce qui est de pouvoir accueillir ces quelque 300 mille Irakiens chassés injustement de leur pays, Abdelwaheb Héni précise : «Nous n'avons pas les capacités de leur offrir l'asile en plus des centaines de Libyens installés déjà chez nous. Et puis, la Tunisie n'est pas un pays limitrophe de l'Irak. Toutefois, notre pays doit rester une terre d'asile pour les combattants de la liberté qui le désirent officiellement. Et leurs demandes doivent être traitées avec humanité en prenant en compte les capacités réelles de la Tunisie et les retombées sécuritaires, économiques et politiques qui en découleront», commente-t-il. Le président d'Al Majd conclut en appelant Marzouki «à cesser immédiatement de prendre en otage l'Etat et ses intérêts dans le but de servir ses desseins électoralistes précoces, irresponsables et immatures».