Gaza under exposure surfe sur la mort, El Gusto reconstitue une mémoire de musique chaâbi... L'un est bouleversant, l'autre est pétillant... parole de critique. La 10e édition des Rencontres cinématographiques de Hergla a démarré en trombe, mardi dernier, dans l'ancienne huilerie transformée en lieu de projection. Le programme mis en place par Mohamed Chelouf, initiateur de la manifestation, est bien ajusté. Le public, les invités et Mourad Sakli, ministre de la Culture, entouré des autorités de la région, ont pu assister à la projection de deux films et d'un concert de musique chaâbi interprété par un orchestre venu spécialement d'Alger. Gaza, sous les bombes Le premier film Gaza under exposure réalisé par le journaliste Abdessalem Abou Asker, l'un des rares à avoir assisté aux accords de camp David, a fait pleurer certains spectateurs pris d'émotion à la vision d'images d'enfants mutilés. Certes, de ce côté-là, le réalisateur n'apporte rien de nouveau, puisque ce genre de scènes est diffusé quotidiennement sur les chaînes de télévision. Mais le mérite du documentaire est de relater l'histoire des vies humaines écrasées par le rouleau-compresseur de l'ennemi. La démarche est frontale parce que le filmage est fait dans l'urgence. Pour traverser Gaza sous les bombes, Abdessalem Abou Asker s'est servi d'un fil conducteur, en entreprenant un travail d'investigation sur ses amis. Il s'est mis à les rechercher un à un et, à chaque fois, il est surpris qu'il les ait perdus à jamais. Leur famille aussi. Le cas de son copain surnommé Maradona, qui a l'habitude de ne jamais quitter le bureau et que le jour du bombardement l'avait déserté pour rentrer dans son village, l'avait réjoui dans un premier temps, puis lorsqu'il a appris que le village en question a été lui aussi bombardé et son copain y a perdu la vie, l'a fait pleurer. Abou Asker n'a pu contenir son émotion lors de la rencontre y compris Lassaâd Jamoussi, l'animateur. Le film surfe sur le spectacle de la mort. Les femmes restées vivantes témoignent de ce génocide et racontent avec colère et désarroi les dégâts collatéraux occasionnés par les bombardements. Plus d'écoles, plus d'hôpitaux, plus d'habitations, plus d'infrastructure de base, plus d'eau, plus d'électricité. «Ça ressemble à un tremblement de terre», dit l'un des personnages du film. Le chaâbi perdu et retrouvé Après le feu des bombe, Gaza under exposure, le feu d'artifice de El Gusto, documentaire algérien de Safinez Bousbia. Un film magnifique sur la musique chaâbi « l'équivalent de la chanson moderne » selon Mourad Sakli, ajoutant que « l'idée est extraordinaire ». La réalisatrice, dont c'est le premier film et qui n'est pas du tout cinéaste, a réussi à faire un travail de sauvegarde de la mémoire musicale algérienne, en allant sur la trace des artistes ayant créé de toutes pièces la musique chaâbi. Il ne s'agit aucunement d'un travail anthropologique, mais d'une suite de portaits de musiciens qui accompagne le fils du Cheikh Hadj El Anka, le pape de la musique chaâbi des années 20. Déambulant dans la médina, Safinez Bousbia, qui vit en Irlande et ne connaît rien à la musique chaâbi, a été attirée par un miroir dans une boutique tenue par le chef d'orchestre de la troupe que dirigeait El Anka. Ce dernier lui montre quelques photos du groupe et la jeune cinéaste part de cette idée et décide de reconstituer le groupe près de 50 ans après leur séparation. Et c'est dans un véritable travail d'investigation qu'elle se lance, exigeant d'elle cinq ans de tournage. « A bout de souffle, elle allait laisser tomber le projet lorsque Malik, le fils de Lakhdar Hamina, intervient pour terminer la post-production et mettre en boîte le film», explique Kamel Azzouz, journaliste algérien. Un film plein d'énergie, qui raconte l'histoire d'Alger et surtout de sa Casbah où est née cette musique populaire. Métissage de la musique savante, le malouf andalou, la musique kabyle, le chant des confréries et des synagogues juives, le jazz, etc. Le documentaire donne à voir à la fois Alger, la solidarité entre les artistes, la coexistence des musiciens juifs et musulmans, la joie de vivre et de partage entre ce groupe d'artistes iconoclastes dont le chaâbi rythme leur enfance de jeunes élèves du Conservatoire, arabes ou juifs. L'amitié et leur amour commun pour cette musique qui «fait oublier la misère, la faim, la soif», les rassemblent pendant des années au sein du même orchestre jusqu'à la guerre d'Algérie et ses bouleversements. El Gusto, c'est le Buena Vista Social Club algérien, qui raconte avec émotion et bonne humeur comment la musique a réuni ceux que l'Histoire a séparés il y a 50 ans de l'Algérie. Parfois cela tient à bien peu de choses. Et comme pour prolonger cette bonne humeur, la soirée s'est terminée avec un concert de musique chaâbi du groupe de Nessim Bour qui a interprété quelques belles chansons de cette musique qui fait encore des émules parmi les jeunes algériens.