Vibrant hommage à une génération d'Algériens, juifs et musulmans, qui, dans les années 1940-1950, a donné goût à des jeunes épris de vie et d'amour. «El Gusto» (le goût) est le titre choisi par la réalisatrice franco-algérienne Safinaz Bousbia pour transmettre un message d'amour et d'amitié à toute une génération d'Algériens, musulmans et juifs, qui, après l'Indépendance, se sont retrouvés, à leur corps défendant, de l'autre côté de la Méditerranée. La musique d'«El Gusto» a la capacité de réduire et même d'effacer les différences. Cette belle musique «chaâbi», née dans les quartiers populaires d'Alger, a pour grands maîtres Cheikh Mohamed El Anka, Boudjemaâ El Ankis, Hachemi Guerouabi et Abdelkader Meskoud. «El Gusto» réunissait toutes les catégories sociales, indépendamment des différences religieuses. Les bars d'Alger, fort nombreux à l'époque, étaient les lieux de prédilection de cette faune d'individus libérés des entraves hypocrites imposées par une société faussement puritaine. Des chefs-d'œuvre encore chantés aujourd'hui éveillent des résonances qui durent, tant l'écho agit encore sur le cœur et l'esprit. Ya rayah win t'safer, trouh taaya w'etwalli (où que tu ailles, tu finiras bien par rentrer au bercail), un joyau d'une rare beauté. Un travail épuisant Le mérite de Safinaz Bousbia est immense. Il lui a fallu une grande dose d'amour et de courage pour aller au-devant d'une entreprise pas du tout évidente. C'est par accident qu'elle s'est trouvée engagée dans cette aventure, presque une odyssée, tant l'issue était improbable. Un jour qu'elle déambulait à travers les ruelles de La Kasbah, son attention fut attirée par un miroitier qui s'activait dans sa petite échoppe de glaces anciennes. Au fil de la conversation, la jeune réalisatrice a découvert que le vieil artisan était un luthiste qui jouait également de la cithare. Il lui a également révélé qu'il se produisait, autrefois, dans un orchestre, pratiquant la musique «chaâbi», réunissant presqu'autant de juifs que de musulmans. C'est alors que l'idée a germé dans sa tête pour réunir dans un ultime rendez-vous les survivants d'«El Gusto», cinquante ans après les déchirements de la séparation. La perspective de réunir les survivants était des plus pénibles et des plus titanesques. La foi manifestée par Safinaz était plus forte que les réticences. Elle finirait bien par retrouver les survivants, en dépit d'une administration algérienne qui faisait tout pour refroidir les ardeurs de Safinaz. Trois longues années d'attente, d'espoir et de promesses ont fini par triompher du laxisme excessif des ronds-de-cuir. Le jour de l'embarquement est venu. Bien que vieillis, ces octogénaires ont retrouvé l'allant de leur jeunesse. Il y avait foule sur le quai à Marseille pour les accueillir comme il se doit. Robert Castel et son épouse Lili, Luc Cherki, Maurice El Medioni, Joseph Hadjadj, Ahmed Bernaoui, Hédi Hals, etc. Les retrouvailles étaient des plus émouvantes. Les larmes de joie coulaient abondamment et à flots. Deux soirées étaient prévues, l'une à Marseille et la deuxième au Bercy de Paris. La communion était totale. Les clivages religieux étaient laissés de côté. On ne parlait qu'algérien. La musique n'a pas de langue, elle est universelle et réconcilie les peuples et les hommes. Le film El Gusto, qui a immortalisé l'événement, a voyagé partout, en Amérique, au Canada, au Brésil, et jusqu'en Asie. Le verra-t-on un jour à Tunis?