Par Hamma hannachi Un mois d'interruption et retour aux Vendanges, il y eut des lectures : Gouverner au nom d'Allah, islamisation et soif du pouvoir dans le monde arabe( éd. Gallimard), essai incisif et transgressif de Boualem Sansal, Printemps arabes, religion et révolution (éd.de La Différence) d'Adonis, lumineux et prophétique, des romans J.C Ruffin (Le collier rouge, éd.Gallimard) etc. Il y eut découverte d'œuvres d'artistes d'art contemporain, des rencontres heureuses et des séjours hors les murs, dont un à Djerba. Djerba parlons-en. Gustave Flaubert venu découvrir l'île en est parti ensorcelé. Sa formule pour définir Djerba est restée célèbre , elle est à notre sens la plus étincelante et mérite d'être annoncée à l'entrée et à la sortie de l'île « L'air est si doux qu'il empêche de mourir », inutile de développer davantage, l'immortalité se trouve donc dans cette île, les touristes de différents pays, séduits à leur tour l'ont vite compris. Aller à Djerba , c'est donc découvrir le sens de l'éternité, c'est ce que faisaient les visiteurs depuis des décennies, le charme captivait particulièrement les Européens qui arrivaient en masse pour ravir à la nature ce qu'il y a de meilleur. Conséquences heureuses : hôtels, agences de voyages, commerces, marchés, transports, grâce au tourisme, toute la population vivait dans une aisance relativement confortable. L'île subjuguait par sa douceur, par le comportement aimable de ses habitants, nulle agressivité dans l'air, une mer propre, limpide, une plage large et dorée, le soleil qui joue les prolongations au-delà du mois de septembre, une architecture originale, une cohabitation pacifique entre les différentes religions à telle enseigne que beaucoup d'étrangers s'y sont installés, se sont mélangés aux habitants, des amitiés se sont constituées. Bref, le paradis sur terre. L'exode libyen après la Révolution a un peu gâté cette sérénité, pourtant, les habitants ont accueilli avec compréhension les nombreux voisins dont une partie ne s'est pas adaptée aux mœurs et aux comportements des Djerbiens. Un détail qui a été vite balayé par le temps. Et puis, un jour de 2012, la politique, avec sa perversité et ses monstruosités, sans crier gare, entra en jeu. Les habitants d'une localité, nourris par des discours et autres arguments démagogiques, décident de bloquer les engins à déverser des ordures dans leur décharge pourtant contrôlée. Conséquence : amoncellement de déchets et odeurs insupportables dans la ville. Les Djerbiens, patients et pudiques, ont attendu longtemps dans le silence, trop longtemps, divisés sur les solutions, ils assistaient, conscients, à la mort de l'île, aucune solution n'a été acceptée, les politiques, sans exception ont enfoncé leur coup dans le sable, s'écartant de ce qu'ils ne veulent pas voir. Nous avons rencontré des gens aigris, d'autres révoltés, au bord de la crise de nerfs, des médecins désespérés, évoquent le danger pour les enfants, des nostalgiques, chacun y allait avec ses interprétations et ses solutions. Pendant ce temps, les odeurs nauséabondes des ordures brûlées, l'air vicié de la ville nous rappelaient curieusement l'ambiance de La Peste (roman d'Albert Camus), c'est dire ! Un mouvement d'opinion voit le jour, les associations, les organisations, l'Ordre des médecins, celui des avocats, la société civile ont réagi, ils s'époumonent à dénoncer l'arbitraire d'une poignée de citoyens, appuyés par des responsables invisibles qui soumettent la population à un supplice indescriptible. Ils entament des grèves, organisent des manifestations pour sensibiliser les pouvoirs publics et les responsables. Sans aucun frémissement, ceux-ci regardent mourir l'île aux rêves. Le gouvernement refuse d'inscrire le martyre des Djerbiens sur son agenda politique. Le silence des autorités compétentes équivaut à du mépris. Pire qu'un scandale, c'est un crime. Un quotidien français du soir constatait non sans raison « Djerba, une poubelle à ciel ouvert ». A la formule de Flaubert, les Djerbiens et les visiteurs répondraient aujourd'hui et à raison « l'air est si vicié qu'il empêche de vivre ». Mais la vie, le souffle de vie finit par gagner : cet été, l'art entre en jeu, des artistes organisent une opération d'envergure « Djerbahood », ils envahissent un quartier de la ville, La Hara ou Erriadh donnant l'espoir aux insulaires. Ce sera le sujet des Vendanges prochaines