Selon une étude récente, la précarité et le faible niveau d'instruction des parents impactent négativement sur le parcours scolaire des élèves. Certains préfèrent donc renoncer au droit au Savoir, sacrifier leur avenir pour contribuer au budget du ménage. Renoncer à son parcours d'écolier est une décision de détresse que prennent, contraints, bon nombre d'élèves. Ayant du mal à s'aligner parmi les élèves brillants ou du moins de niveau moyen, quelque 112 mille collégiens et lycéens se trouvent dans l'impasse. Cette manifestation extrême de l'échec scolaire, aussi consentie qu'elle le paraisse, résulte de la concomitance de maints facteurs entravant le parcours scolaire de ces élèves. L'absence d'harmonie familiale, les conditions socioéconomiques difficiles et la précarité poussant souvent les élèves à quitter les bancs de l'école, dans l'espoir d'alléger, quelque peu, le fardeau financier de leurs familles et pourquoi pas embrasser la vie active, dans son aspect le plus dégradé, pour aider leurs parents à subvenir aux besoins de la famille les plus élémentaires. Selon une récente étude, publiée en septembre 2014 et réalisée par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux, en collaboration avec l'Observatoire social tunisien et l'Ugtt et portant sur l'abandon scolaire volontaire, il a été démontré que le milieu familial joue un rôle non moindre dans l'évolution du phénomène. Si l'école et l'enseignement sont définis, respectivement, comme étant une institution de Savoir et une composante essentielle du développement psychologique de l'individu, le couple école-enseignement n'est point perçu en tant que tel par toutes les familles tunisiennes. Des parents non instruits ou de faible niveau d'instruction sont, en effet, incapables de transmettre une idée valorisante de l'enseignement et de l'école à leurs enfants. D'ailleurs, 25% des élèves interviewés lors de cette étude —qui a porté sur un échantillon de 602 élèves touchés par l'abandon scolaire volontaire et issus des régions de Kasserine, Monastir et Kairouan—, avouent n'aborder le thème des études avec leur entourage familial que rarement. D'autant plus que la tradition confère à ce genre de discussion un schéma vertical, basé sur l'autorité parentale, ce qui enfonce davantage le clou. Il est, par ailleurs, à noter que 40% des élèves fréquentent l'école dans l'espoir de trouver ultérieurement un emploi à même de les aider à sortir de ce labyrinthe de précarité et de dépendance, ce qui n'est plus évident surtout avec l'évolution perpétuelle du chômage des cadres. Manifestement, étudier n'est plus une fin en soi : c'est juste un moyen d'ascension sociale et de gain matériel. Faute de moyens, les ambitions tombent à l'eau... Au déficit culturel des parents et de l'entourage familial des élèves concernés par l'abandon scolaire, s'ajoutent les difficultés financières. Depuis deux décennies, le système éducatif connaît une mutation négative, faisant primer l'esprit matérialiste et émousser l'aspect pédagogique. Une mutation qui impacte sur le niveau des élèves et qui place la barre du défi haut, notamment pour les élèves vivant dans la précarité. Aussi, n'est-il pas toujours possible pour les parents de subvenir aux dépenses liées à l'enseignement. Des dépenses qui excèdent les seules fournitures scolaires pour toucher les fameux cours particuliers... De son côté, l'élève se trouve seul face à un défi qu'il n'est pas habilité à relever, surtout avec des programmes et un horaire aussi chargés. Ne supportant plus ce contexte de pure pression, certains élèves finissent par jeter l'éponge. L'étude montre, par ailleurs, que bon nombre des élèves interviewés ne bénéficient pas d'un climat favorable à la concentration. En effet, 60% d'entre eux ne disposent pas d'une chambre individuelle et donc d'un espace qu'ils peuvent s'approprier. D'autant plus que 8% d'entre eux couchent dans un espace familial collectif (dans la salle de séjour). Le sentiment de culpabilité et de frustration ronge ces ados puisque 58% d'entre eux sont parfaitement conscients des difficultés financières de leurs familles. D'ailleurs, 55,4% d'entre eux ne reçoivent de l'argent de poche qu'à titre occasionnel. Face à autant de pression, certains jugent bon de sacrifier leur avenir pour s'adonner à de petits boulots et contribuer ainsi au budget du ménage. Aussi, 35% de cette catégorie écolière travaillent durant les vacances, alors que 16% d'entre eux ont tenté, un tant soit peu, de réussir l'équilibre entre les études et le boulot en travaillant après les cours et durant les week-ends. Notons que 68% reçoivent une rémunération en contrepartie, alors que 10% travaillent gratuitement dans le cadre d'un projet familial. Et ce mur de glace... Qui a dit que l'abandon scolaire est volontaire notamment dans de pareilles conditions? Peut-on demander autant de preuves de réussir, autant de challenges à relever alors que tous les dispositifs se convertissent en d'énormes obstacles? Ces élèves ont-ils réellement choisi de sacrifier leurs parcours scolaires? Si c'est vraiment un choix, il émane d'une situation de détresse. Une détresse qui trouve son fondement au sein même du cocon familial. En effet, 25% des élèves interviewés qualifient leur relation avec le milieu familial de «normale» : un adjectif qui dit long sur la froideur et l'indifférence dans une relation qui doit être «optimale». Pis encore, 37% d'entre eux se sentent mal dans leur cocon familial. Ils se sentent victimes de favoritisme et de marginalisation, ce qui les contraint ou bien à l'isolement ou encore au recours à des comportements agressifs, en guise de vengeance. Manifestement, la précarité et la réussite ne vont pas de pair. Seuls quelques génies parviennent à faire la différence. De son côté, l'Etat ne vient pas toujours en aide à ces élèves ainsi qu'à leurs familles. Certes, plusieurs ONG et structures gouvernementales apportent occasionnellement à ces catégories vulnérables des aides sous forme de fournitures ou autres. Mais les solutions radicales laissent à désirer. La réforme du système éducatif, la lutte contre la prolifération inquiétante de l'esprit matérialiste, la régression alarmante de l'aspect pédagogique et l'absence d'encadrement des élèves ayant des difficultés à réussir leurs études sont autant d'axes d'interventions auxquels il convient de s'arrêter. La courbe croissante des abandons scolaires doit décliner et permettre aux jeunes générations de bénéficier d'un droit absolu : le droit au Savoir.