Par Amirouche Nedjaa Il est certain que la couverture journalistique sensible à une approche genre en période électorale revêt une grande importance dans le processus menant vers l'égalité entre les hommes et les femmes, au niveau de la sphère publique, en Tunisie. Disparité dans la couverture médiatique entre hommes et femmes Malgré la parité imposée dans les listes électorales pendant les élections de l'Assemblée constituante en 2011, la visibilité des femmes candidates dans les médias est restée très réduite, comme l'a démontré une observation de la couverture médiatique de la campagne réalisée par l'Arab working group for medias monitoring (AWG-MM), en partenariat avec l'Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd) et d'autres ONG. Les résultats montrent que les femmes candidates ont bénéficié d'un taux de couverture médiatique de seulement 6,6% dans la presse écrite, de 8% à la radio et de 10,9% à la télévision. Les femmes candidates, donc, n'ont pas été suffisamment visibles et connues auprès des électeurs pour avoir la chance d'être élues. Ce constat n'est pas seulement inhérent à la période électorale. En effet, une autre observation réalisée par la suite, en dehors des élections, par l'AWG-MM, en partenariat avec la Coalition pour les femmes de Tunisie et le Conseil national pour les libertés en Tunisie (Cnlt), a confirmé le même constat : les femmes restent sous et mal représentées dans les médias par comparaison avec les hommes. Ainsi, selon cette observation effectuée du 1er janvier au 28 février 2013, seulement une personne sur cinq visibles dans les médias tunisiens est une femme : la visibilité féminine globale (journalistes et sujets externes confondus) est de 22 % seulement. Une personne sur sept dont parlent les médias, ou qui parle dans les médias, est une femme : 15% dans l'ensemble (16,5% dans l'audiovisuel et 14% dans la presse). Selon la même observation, les femmes restent surtout cantonnées aux programmes d'ordre social ou de divertissement. Elles interviennent davantage dans les domaines traditionnellement associés aux femmes comme la santé, l'éducation et surtout la famille et le foyer. C'est une autre forme de stéréotype : tout le monde semble trouver normal que les femmes ne soient pas présentes dans les rubriques politiques ou dites «sérieuses», la perception générale étant qu'«elles ne s'intéressent pas à la chose publique». Paradoxalement, la présence des femmes, que ce soit dans les partis politiques, ou dans la société civile, est bien effective. Les Tunisiennes occupent tous les espaces d'activités publiques, et détiennent des compétences évidentes qui leur permettent d'être au-devant de la scène politique. Cette réalité est malheureusement loin d'être reflétée par les médias. Perspectives pour une couverture égalitaire lors des élections législatives et présidentielle de 2014 Le scénario de 2011 risque de se répéter si les médias n'intègrent pas la dimension genre dans leur couverture de l'actualité pendant les prochains événements électoraux de fin 2014. Ainsi, pour éviter que cela ne se reproduise, les journalistes, en plus de ce que dicte la déontologie de leur métier en général, devraient prendre en considération les recommandations pour une couverture égalitaire consignées dans les rapports d'observation des médias effectués auparavant par la société civile (AWG-MM, ATFD...) et le rapport d'observation de l'instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) en 2011. Et aux médias de se conformer aux dispositions incluses dans les cahiers des charges de la Haute autorité indépendante pour la communication audiovisuelle (Haica). Ces derniers imposent dans les deux premières dispositions concernant les engagements généraux, le principe de l'égalité et de la non-discrimination, et une protection des droits des femmes et de la rupture avec les images stéréotypées. La troisième disposition se trouve dans l'article 25. Sa traduction serait «L'initiateur d'une chaîne de télévision doit garantir la présence des femmes dans ses programmes avec une participation effective (efficace) dans les espaces de débat, tout en respectant les principes de choix de femmes compétentes et spécialisées suivant les sujets des débats». La décision conjointe des deux instances (Isie et Haica) pour les prochaines élections ignore la dimension genre ! Il semble que la couverture égalitaire de la campagne électorale de 2014 serait compromise vu les failles de la décision conjointe des deux instances (Isie et Haica) datée du 5 juillet 2014 relative aux dispositions régissant la couverture médiatique de la campagne électorale. Bien qu'elle soit fondée sur le décret 116 relatif à la liberté de communication audiovisuelle et la création d'une instance supérieure indépendante de la communication audiovisuelle, cette décision ne fait aucune référence spécifique à la prise en compte de la dimension genre dans la couverture médiatique de la campagne électorale. Elle est, donc, en contradiction avec l'esprit des cahiers des charges de la Haica en ce qui concerne la dimension genre et ne peut que perpétuer une vision en opposition avec l'esprit de la Constitution, et l'ambition des femmes tunisiennes qui aspirent à un projet sociétal égalitaire. Ainsi les médias et les journalistes pourraient trouver des justificatifs à leur couverture inégalitaire dans les manquements de ladite décision. Directeur éxecutif de Mena Media Monitoring (ex-Arab working group for medias monitoring)