Par Abdelhamid Gmati Les Tunisiens ont voté et choisi leurs représentants à la première Assemblée nationale libre et démocratique. Ceux qui ont remporté les suffrages des électeurs et leurs partisans ont fêté, les autres ont cherché les raisons de leur déconfiture. Dans l'ensemble, tous ont accepté le verdict des urnes. Ces élections ont été saluées au niveau national et à l'international. A l'étranger, officiels et médias n'ont pas tari d'éloges affirmant que «les législatives démontrent pourquoi la Tunisie demeure une lueur d'espoir dans le monde» (gouvernement US), «louange à la maturité politique et la volonté des différents acteurs politiques de trouver des solutions consensuelles aux questions nationales à caractère urgent» (gouvernement russe), « félicitations à tout le peuple tunisien qui s'est pleinement mobilisé pour ce nouveau rendez-vous démocratique» (Parlement européen), «oui, un peuple arabe peut dire non aux islamistes, dans les urnes et sans les armes. C'est l'extraordinaire leçon que la Tunisie vient de donner aux... donneurs de leçons » (journaliste français). On pourrait en citer bien d'autres hommages d'organisations internationales, de plusieurs pays et de plusieurs médias : on ne peut que les remercier pour l'intérêt qu'ils portent à notre pays. Mais l'heure n'est pas aux louanges car, pour nous, cela n'est qu'une étape. D'autres défis nous attendent. Soulignons d'abord que ce processus n'a été rendu possible que par la révolution. Une révolution qui a permis que, pour la première fois, l'alternance se fait par les urnes, pacifiquement et en douceur. Il y a là un progrès remarquable dans les actes et dans les mentalités. On apprend qu'on ne détient le pouvoir que provisoirement et que, comme dans une course de relais, on est tenu de remettre le témoin à ceux que le peuple a choisis comme délégués. Remarquable aussi le fait que les moins élus reconnaissent et admettent les résultats et vont même jusqu'à féliciter ceux qui ont eu le plus grand nombre de suffrages. Bien sûr, il y a toujours des grognons qui, au lieu de se remettre en question, s'en prennent aux autres. On relèvera aussi que les Tunisiens savent apprécier leurs dirigeants et savent sanctionner positivement et négativement. Dans leur majorité, ils refusent d'être divisés en mécréants et en musulmans et refusent, donc, ce que l'on a appelé « l'islam politique ». Ils savent aussi se prémunir contre la pensée unique et n'ont donc pas accordé de majorité absolue, exprimant ainsi la diversité politique. Ils savent aussi honorer ceux qui ont milité et militent pour le bien du pays. Les élections de Madame Mbarka Brahmi, veuve du député assassiné, de Adnen Hajji, leader de la révolte de Redeyef en 2008, et du comédien Ali Bennour, qui a su mener une campagne de proximité, sont significatives à cet égard. Malgré un taux de participation honorable (69% selon l'Isie), on déplorera l'abstentionnisme. D'abord, au niveau des inscriptions sur les listes électorales (5.200.000 sur plus de 8 millions d'électeurs potentiels), puis au moment du vote. Cela veut dire que des centaines de milliers de Tunisiens, particulièrement auprès des jeunes, n'ont pas usé de leur droit de vote et ont boudé les urnes. Dans cette Tunisie qui s'ouvre à la démocratie, il ne saurait y avoir de vainqueurs ni de vaincus. Les urnes ne doivent pas diviser et les résultats le prouvent : Ennahdha n'est plus majoritaire mais le mouvement est toujours là, prêt à assumer son rôle en participant ou en opposant. D'aucuns déplorent que des députés sortants, comme Samir Taieb, Fadhel Moussa, Maya Jribi et autres qui s'étaient distingués et ont joué un rôle important dans la Constituante, n'ont pas été réélus. Oui mais ils devraient faire leur mea culpa et analyser les raisons qui ont amené leurs électeurs à les bouder. Et surtout, ils ne doivent pas abandonner et continuer à servir leur pays en défendant leurs idées et leurs opinions. L'action politique ne doit jamais s'arrêter. On déplorera à ce propos que certains s'en prennent aux Tunisiens du sud qui ont voté pour les islamistes. D'abord c'est leur droit de citoyens de choisir ; ensuite, ils n'ont pas tous exprimé le même choix ; enfin vouloir diviser le pays est criminel et dangereux. Aujourd'hui, les Tunisiens ont clairement dit que nous sommes sur la même barque, même si les opinions et les choix sont différents. Car les défis, innombrables, qui attendent concernent tout le monde. Ou bien on réussit tous ensemble ou on échoue tous ensemble. Il n'y a pas d'autre alternative. Les partis qui ont obtenu la majorité des suffrages doivent tirer les conclusions et en premier lieu qu'ils n'ont pas eu un blanc seing ou un cadeau : ils sont investis d'une responsabilité historique qu'ils doivent assumer. C'est là une nouvelle révolution qui découle de la première : après celle de la libération, il s'agit d'instaurer celle du civisme, apprendre à tous à travailler ensemble pour le bien de tous. Et ce n'est pas une sinécure.