Leurs corps tels des roseaux qui ploient et se déploient comme dans un rêve. Rigueur graphique, vigueur gymnique, prouesse acrobatique, beauté artistique, une vraie secousse que cette compagnie. Programmé par l'Institut culturel italien pour célébrer comme il se doit la fin d'année, la Compagnie italienne de théâtre et de danse athlétique Kataklo obtient un triomphe vendredi dernier au Théâtre de la ville de Tunis, peu habitué à de telles troupes de danse. Heureux sont, donc, les amateurs et curieux qui sont venus en masse ce soir-là admirer les prouesses de ces danseurs. Découvrir cette troupe bondissante, survitaminée, athlétique et débordante d'enthousiasme est un moment revigorant : les danseurs ont un public de fans, notamment des Italiens, des Anglais et des Allemands, et l'accueil qui leur est réservé tient du triomphe. C'est que cette compagnie indépendante est active depuis presque 20 ans et est reconnue à l'échelle internationale pour sa grande valeur artistique et ses productions spectaculaires, elle s'est fait porte-parole de la culture italienne et vraie ambassadrice à l'étranger notamment grâce à ses nombreuses collaborations avec les Instituts culturels italiens partout dans le monde et à sa participation aux plus prestigieux événements sportifs, culturels et télévisuels. Au sein d'un programme haut en couleur qui puise alternativement dans une série de chorégraphies historiques ayant fait le succès de Kataklo et des nouvelles créations des membres de la compagnie devenus chorégraphes eux-mêmes : Maria Agatiello, Marco Zanotti, Giulio Crocetta, Eleonora Guerrieri, Stefano Ruffato, Claudia Cavalli et Serena Rampon, on découvre des corps en gloire, avec pour substance l'exultation de l'âme habitée par la musique. Car toute leur danse, toute leur énergie, tout leur amour de l'art se cristallisent en une formidable fresque purement gestuelle, où le rythme est roi et le corps son serviteur. Cependant, tout est pensé, pesé, même si l'on avoue ne rien comprendre à ce que disent ces danses. Il s'en dégage un tel charme ambigu qu'on n'a qu'à se laisser porter doucement, et déporter vers on ne sait où, tandis que les chorégraphies se succèdent, reconstituant progressivement le «puzzle», d'où le titre de cette œuvre merveilleuse conçue et dirigée par Giulia Staccioli. Tantôt dynamiques, tantôt oniriques et envoûtants, les danseurs se veulent comme une montée contrastée vers des extrêmes sonores et physiques. Mais quel qu'en soit le sujet, si l'on réussit à l'identifier, il faut recevoir le message de ces corps lancés dans l'arène, comme un cri de libération des contraintes sociales, culturelles ou linguistiques pour laisser parler leurs pulsions profondes et leur imaginaire. Sans que jamais, heureusement, la transe ne s'en mêle, même si certaines chorégraphies ont des résonances incantatoires, car tout y demeure magistralement contrôlé. Portés par une foule de musiques bigarrées, classique, pop, rock ou urbaine, les danseurs, peu individualisés, se nourrissent surtout de la force du groupe, et les filles, aussi athlètes que danseuses, y côtoient les garçons, somptueux, dans un jeu de lumières et des éclairages parfaitement maîtrisés, sublimant davantage chaque mouvement sur scène. Les chorégraphies, dont on voit aussi qu'elles empruntent à de multiples sources, des classiques, puisqu'on y repère des pas académiques, aux plus antiques avec cette ondulation de la croupe qui constitue la base de leur gestique. Et sur cet axe, ils brodent avec une incroyable virtuosité, notamment dans les extraordinaires duos ou encore trios, où la fille comme le garçon remue délicatement le partenaire comme une feuille au vent, le roule comme une mousseline, sans jamais donner l'impression du moindre effort. Une fluidité rare, qui contraste avec la gestique exubérante des autres chorégraphies. Un spectacle admirablement beau d'une entité collective sacralisant le corps que le public reçoit et lui fait fête.