Quatre ans déjà, il y a encore des raisons de se révolter et de descendre dans la rue jusqu'à ce que justice soit rendue, ainsi scandent les familles en détresse Quatre ans ont déjà passé, après une révolution populaire ayant soufflé, en cris de colère massifs, le temple maudit d'un régime totalitaire au pouvoir hégémonique. Un air d'émancipation qui a donné libre cours à des revendications autant significatives que légitimes dont la liberté et la dignité. Deux maître-mots ayant coûté la vie à des centaines de nos martyrs qui sont tombés sur l'autel de la chère patrie. Des valeureux hommes qui se sont vaillamment sacrifiés pour nous offrir en cadeau si précieux et si symbolique le courage de vivre dignement, de penser et de rêver autrement, afin de braver le dernier bastion de la dictature. La Tunisie, toute la Tunisie, n'a jamais oublié que la célébration d'une telle date-tournant ravive encore les souvenirs noirs d'un passé malheureux, ressuscitant en nous l'image choc des larmes et du sang qui avaient nourri les bonnes volontés d'aller chercher justice et vérité. Mais, hélas, comme si de rien n'était. Quatre ans déjà, cette vérité est encore camouflée, sous l'effet de l'oubli prétendu. Au fil des jours et des mois, l'affaire des martyrs et blessés de la révolution fait du surplace. Toujours en deuil, leurs familles prennent encore leur mal en patience. Il ne passe pas une occasion sans que ce dossier brûlant soit remis sur le tapis. Mais sans suite favorable. Mercredi dernier, l'anniversaire du 14 janvier a eu un goût d'inachevé. Sur l'avenue Bourguiba, l'arène célèbre de toutes les révoltes, ces familles en détresse se sont, de nouveau, donné rendez-vous pour faire entendre leur voix, jusqu'alors passée sous silence. Encore une fois, leurs demandes aussi insatisfaites sont reléguées aux calendes grecques. Tous les gouvernements successifs post-révolution n'ont pas osé répondre à leur question lancinante : qui a tiré sur leurs enfants à la fleur de l'âge ? Et l'on peut s'interroger sur le pourquoi ou le qui fait tout pour étouffer l'affaire à jamais. A qui profite ce mutisme insensible ? Personne ne semble avoir le courage de trancher, une fois pour toutes. Encore du surplace ! Mohsen Marzouk, conseiller politique du président de la République, avait affirmé que les protestations des familles, invitées à la cérémonie officielle à Carthage, sont dues au fait que ce dossier n'a pas bénéficié de l'intérêt qu'il mérite. Qu'il va figurer prochainement en tête des priorités, a-t-il rassuré. Et pourtant, ces protestataires de colère ont juré de ne pas céder au désespoir. Aujourd'hui, plus de 300 morts doivent se retourner dans leurs tombes, en voyant leur sang trahi et leurs droits bafoués. Qu'en est-il de la justice ? Un des avocats de la défense chargés de cette affaire, maître Charfeddine Kellil, a révélé que rien n'est jusque-là porteur d'espoir. «Tous les procès des martyrs, ceux de Regueb, de Sidi Bouzid, de Degueche, de Thala, de Kasserine, de Sfax, du Grand Tunis, et bien d'autres font du surplace. De séance en séance, la justice militaire fait preuve d'inertie flagrante, se trouvant dans l'incapacité de gérer cette affaire, par honte de rendre des jugements injustes..», déclare-t-il sur un ton mécontent. C'est pour cela, a-t-il ajouté, il y a aujourd'hui raison de descendre dans la rue, scandant haut et fort, la détermination à aller de l'avant. Cette volonté d'acier bénéficie de l'appui constant du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) qui a été souvent à leur côté. «On ne renoncera jamais, on ne reculera point», plaide Me Kellil, indiquant que le nouveau pouvoir politique sous la tutelle de Nida Tounès ne croit pas en ce droit. «Même son chef, Beji Caïd Essebsi, président de tous les Tunisiens, avait déclaré, dans sa campagne électorale, n'avoir plus conviction de ladite révolution du 17 décembre-14 janvier...», a-t-il déploré. Mais, l'engagement de défendre une telle cause solennelle ne doit pas changer de ton. Il y a encore espoir de voir la justice transitionnelle précipiter le pas. «Bien qu'on garde toutes nos réserves sur l'Instance vérité et dignité (IVD), sa structure, sa composition et la loi l'organisant, on n'a plus de choix que d'y recourir...», lance-t-il, sans ambages. Figure de discorde, Mme Sihem Ben Sedrine, présidente de l'IVD, s'est trouvée, désormais, condamnée à jouer ses pleines prérogatives. Archives en main, elle doit prendre le taureau par les cornes. A moins que les choses ne lui échappent, sous pression politique. Et l'incident des convois acheminés, le 26 décembre dernier, au palais de Carthage, rappelle-t-on, en dit long sur les rapports de force existants. Contre l'oubli Quoi qu'il en soit, maître Kellil, ainsi que ses pairs membres du comité de défense des familles des martyrs, ne va par rendre «la robe». L'homme semble sûr de lui. Non sans amertume, Mme Fatma Ouerghi, mère du martyr Ahmed Ouerghi, tombé à Saïda Manoubia dans la capitale, au lendemain de la fuite de Ben Ali, soit le 16 janvier 2011, a été profondément émue jusqu'aux larmes. Voix timbrée, elle nous a raconté les faits tels qu'ils se sont déroulés le jour du décès de son enfant, alors qu'il était parmi ceux qui ont veillé, à l'époque, à la protection du grand réservoir de la Sonede à Montfleury, suite aux rumeurs d'éventuels risques de contamination de l'eau potable. La mère en colère a pointé du doigt un haut cadre militaire armé accusé d'avoir tiré, au grand jour, sur la tête de son fils. Et depuis, elle souffre dans sa chair. Devenue, forcément, militante, elle est aujourd'hui membre de l'association «lan nansakom» (On ne vous oubliera jamais). Elle se bat contre l'oubli. Pour la sublime vérité. Car les plaies sont encore ouvertes.