Un rassemblement solennel de quelques dizaines de citoyens tunisiens, jeunes et moins jeunes, de confession juive et musulmane, a été organisé, hier, devant la synagogue de Tunis, en hommage posthume à Yoav Hattab et aux quatre autres juifs tunisiens, assassinés lors des attentats terroristes perpétrés à Paris la semaine dernière. Malgré les nombreuses menaces et intimidations qui ont circulé sur les réseaux sociaux, des Tunisiens et même des étrangers ont fait le déplacement jusqu'à l'avenue de la Liberté pour exprimer leur tristesse et leur condamnation du terrorisme. «C'est une action citoyenne, spontanée, pour rendre hommage à des Tunisiens comme nous, qui ont été sauvagement assassinés par le terrorisme. Nous sommes ici pour exprimer notre refus du fondamentalisme et notre soutien avec les familles des victimes, qui sont avant tout des êtres humains», clame Yamina Thabet, présidente de l'Association de soutien aux minorités qui regrette fortement le silence des autorités tunisiennes qui n'ont pas présenté leurs condoléances à la famille de la victime du terrorisme. «Yoav est un jeune étudiant tunisien en France comme tous nos autres étudiants, ce qui lui est arrivé aurait pu arriver à mon fils, c'est pour cela que je suis là ; nous condamnons le terrorisme autant que l'islamophobie où qu'ils soient, et face à cela, nous devons rester unis. Le plus beau message de tolérance que renvoie aujourd'hui la Tunisie c'est que nous sommes réunis ici devant la grande synagogue de Tunis à quelques mètres de la mosquée El Fath, fief des salafistes», souligne de son côté Habib Kazdaghli, doyen de la faculté des Lettres de La Manouba, dont on se souvient encore le dur combat contre les fondamentalistes en 2011 et 2012. Hommage aux martyrs militaires et des forces sécuritaires Devant une assistance discrète, arborant le drapeau tunisien et des bougies, une brève oraison funèbre est prononcée, sans protocole. L'orateur rend un vibrant hommage posthume aux martyrs parmi les militaires et les forces sécuritaires, « tombés sur le champ d'honneur en défendant la Tunisie», indique-t-il. Et d'une seule voix, l'assistance entonna, à trois reprises, «Tahya Tounès» (vive la Tunisie). Non sans regret, tout le monde ici évoque la polémique déclenchée surtout sur les réseaux sociaux par l'inhumation de Yoav en Israël. Pour eux, Yoav est avant tout Tunisien. Une incompréhension qui a débordé sur des accusations de récupération politique par Netanyahu, ravivant les blessures et la rancœur liées à la cause palestinienne. «Cette histoire d'inhumation est une affaire religieuse, il ne faut pas polémiquer là-dessus», rétorque une jeune juive tunisienne dénommée Rahma Sghaier. «La Tunisie a toujours été une terre de diversité et de tolérance, nous avons toujours vécu aux côtés de nos compatriotes juifs, il faut que ça continue», soutient à son tour Samia, une quinquagénaire de Tunis. La communauté juive tunisienne compte près de deux mille personnes. Hier, ils sont tous venus se joindre aux proches et amis de Yoav, fils du grand rabbin de Tunis, pour exprimer à la famille leur soutien et leur colère contre le terrorisme aveugle qui n'a ni couleur, ni religion, ni nationalité. Ils sont venus partager la douleur de sa mère et de son père, comme le suggère l'Islam, le vrai, l'Islam de la tolérance, de la solidarité en temps de crise et du vivre-ensemble dans toute la diversité que Dieu a faite et dans la paix. Et tous ont eu une pensée pour les autres victimes, tous des juifs ayant des liens avec la Tunisie : Georges Wolinski, Elsa Cayat et François-Michel Saâda. La Tunisie ne fait pas peur L'émotion était forte hier devant la synagogue et un important dispositif sécuritaire a été mis en place. Des mesures de précaution nécessaires, car la Tunisie aussi traverse une période difficile et d'insécurité. Après la révolution, dans la foulée des événements, l'intolérance a marqué des points, mais dans l'ensemble, le vivre-ensemble est séculaire en Tunisie et ce n'est pas aujourd'hui que les Tunisiens vont changer. Le père de Yoav déclarait lui-même à la chaîne de télévision française, France 2, après l'attentat à la porte de Vincennes. «Je vis en Tunisie et en Tunisie, on a du respect pour les juifs, même durant la révolution, il n'y a pas eu de problèmes». Le rabbin de Tunis a également dit que son fils Yoav lui avait un jour confié qu'il avait «peur de porter la kippa en France, alors qu'il le faisait sans problème en Tunisie». Rappelons que le mouvement islamiste Ennahdha a été le premier parti politique tunisien à réagir immédiatement contre l'attentat contre Charlie Hebdo en publiant le 7 janvier un communiqué dans lequel il a condamné avec la plus grande fermeté ces actes terroristes, leurs auteurs et leurs instigateurs et présenté ses condoléances et exprimé son entière solidarité avec les familles des victimes et tout le peuple français. C'est aussi cela la Tunisie, terre de tolérance et d'accueil. Les juifs, les Italiens, les Français font partie de l'histoire des Tunisiens et de la Tunisie. Et des attentats comme ceux de Paris en 2015 ou celui de Djerba qui a visé en 2002 la communauté juive sont aussi regrettables qu'étrangers à l'Islam et aux musulmans pour qui la vie d'une personne vaut l'humanité entière.