Par Olfa BELHASSINE La formation gouvernementale annoncée par Habib Essid, chef du gouvernement, vendredi dernier est l'aboutissement d'un long, très long parcours du combattant traversé par les Tunisiens le long de ces quatre dernières années. Un parcours transitionnel post-révolution du 14 Janvier jalonné d'embûches, d'incertitudes et de crises de tous types, allant de l'apparition du terrorisme aux assassinats politiques, à la fragilisation de l'Etat et à la dégradation flagrante du pouvoir d'achat des citoyens. Des épreuves qui auraient pu être fatales pour le pays, n'étaient la sagesse de ses élites, le dynamisme de sa société civile et l'intelligence de ses femmes. Le cabinet du nouveau chef de gouvernement devait enfin, au terme d'un processus électoral, qui s'est prolongé sur un trimestre entier, consacrer la stabilité du pays et son unité retrouvée après des phases successives de pénibles tiraillements politiques entre les uns et les autres. Ne marquait-il pas enfin la fin du «provisoire» ? Le parti qui l'a affecté à ce poste (Nida Tounès) détenant un mandat de cinq années. Or, par rapport aux attentes nées des frustrations et des angoisses passées, il semble bien que la montagne ait accouché d'une souris ! Habib Essid, l'homme choisi par Nida Tounès, vainqueur des dernières législatives, pour diriger le prochain gouvernement a réussi une gageure : se mettre tout le monde à dos. Y compris des adversaires historiques qui jusque-là ne s'entendaient sur rien, à savoir le Front populaire et le Mouvement Ennahdha. Mais également des formations proches du parti fondé par Béji Caïd Essebsi en juillet 2012 : Afek Tounès et le parti Al Moubadara. Pire encore, voilà que le projet d'Essid est rejeté également par des dirigeants de Nida, comme Abdelaziz Kotti, qui le qualifie de «très faible» et d'être «sans saveur, ni odeur». En vérité la proposition du chef du gouvernement a toutes les apparences d'une annonce bâclée, faite dans la précipitation des négociations inachevées. Elle concentre de nombreux défauts. Tout d'abord, nous voilà en train de renouer avec un partage partisan du pouvoir, tel qu'expérimenté par la Troïka de triste mémoire de décembre 2011 à janvier 2014. Mais comment ne pas apprendre des leçons du passé ? De nos erreurs ? Et de nos errements de démocrates en formation ? Les trois ministères «offerts» à l'UPL récompensent le soutien du parti de Slim Riahi à BCE pendant le second tour de la présidentielle. Et le critère de la compétence à une phase aussi critique que celle-ci ? Notamment en ce qui concerne un domaine hautement stratégique comme le tourisme ? Le nom du candidat UPL proposé pour le ministère du Tourisme a mis tout le secteur en émoi. A raison. La Tunisie, à genoux aujourd'hui sur le plan économique et financier, n'a plus droit à l'erreur. Ni au bricolage. Ensuite, chose grave, car elle remet en question le contrat de confiance liant les électeurs à ceux qui les représentent, pèse sur certains détenteurs de portefeuilles importants de lourdes accusations de détournement financier et de connivence avec l'ancien régime. Au-delà des rumeurs et des intox facebookiennes, qui n'épargnent pratiquement personne, c'est sur le nom du ministre de l'Intérieur, Mohamed Najem Gharsalli, que semble planer beaucoup de suspicions. Dans un communiqué rendu public hier, l'Association des magistrats tunisiens (AMT) a affirmé que l'ancien juge M.N. Gharsalli «rédigeait des rapports contre les juges visant à les révoquer de leurs fonctions durant l'ère Ben Ali ». Il ferait également « partie du groupe qui a mené en 2005 un putsch contre l'AMT ayant pour conséquence la confiscation de son siège», selon la même source. Ces doutes rendront encore plus compliqué le vote de confiance de l'Assemblée des représentants du peuple en faveur de ce gouvernement prévu pour aujourd'hui puis reporté hier vers midi à une date ultérieure. Mais, au-delà d'une équipe hétéroclite et peu homogène composée de personnalités politiques, de représentants de la société civile plutôt de gauche et de compétences administratives peu connues, c'est sa dimension peu inclusive des forces politiques les plus influentes sur la scène publique qui peut fragiliser, voire bloquer, les actions du prochain gouvernement. Ainsi que ses propositions de lois, ses projets et ses chantiers de réformes. Même si grâce à un passage en force, elle réussissait à décrocher le vote de confiance des députés lors d'une prochaine séance à l'Assemblée, cette formation gouvernementale exhale déjà comme un parfum de divisions prochaines, car comme le soutient l'intellectuel et homme politique Aziz Krichen : «Les périodes de transition ne se gèrent jamais avec une majorité de 51%».