Tels des lanceurs d'alerte, les facebookeurs et les tweetos s'opposent au principe de juger des civils par un tribunal militaire. Tel un pavé jeté dans la mare, l'affaire Yassine Ayari continue d'alimenter la controverse sur les réseaux sociaux. Si la personnalité et les publications de ces cyberactivistes ont toujours semé la discorde sur la Toile, sa condamnation à un an de prison ferme par un tribunal militaire n'a laissé personne indifférent. Il y a même ceux qui ont vu dans cette condamnation une épine dans le pied du processus de consolidation de la démocratie tunisienne. "La condamnation d'un civil, blogueur, par un tribunal militaire est inadmissible pour un pays comme la Tunisie (...)", avait déclaré Lucie Morillon, directrice des programmes de Reporters sans frontières. Violation du droit international Justement, pour plusieurs défenseurs des droits de l'Homme, le fait de traduire un blogueur devant un parquet militaire pour une opinion exprimée sur les murs virtuels d'un réseau social ne peut être qu'un mauvais signe annonciateur d'un retour de manivelle et va à l'encontre des obligations de la Tunisie aux termes de l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pidcp). « De plus, le procès devant un tribunal militaire de Yassine Ayari et de Sahbi Jouini, tous deux des civils, constitue une violation de la norme du droit international selon laquelle les tribunaux militaires ne sont pas compétents pour juger les civils », a souligné Human Rights Watch. Et l'affaire Yassine a motivé plusieurs internautes, dont Issam Ayari, candidat CPR, tête de liste sur la circonscription France 2, lors des dernières législatives. Ce dernier, à travers un long statut intitulé «Le tribunal militaire persiste et signe», a tancé une «stratégie de règlement de comptes» tout en qualifiant cette condamnation par les adjectifs «honte» et «insulte» vis-à-vis de la nouvelle Constitution. Le politicien pense que ce jugement n'est pas digne d'une «démocratie» tout en renvoyant la balle dans le camp de l'Assemblée des représentants du peuple en l'invitant «à se saisir de la question pour mettre fin à ces tribunaux d'exception». « Deux poids, deux mesures » La grogne sur les réseaux sociaux ne baisse pas. L'avocate Leila Ben Debba a écrit: « Je ne partage pas les idées de Yassine Ayari mais je refuse qu'un civil soit jugé par un tribunal militaire ». Avis partagé par la blogueuse Lina Ben Mhenni, qui, malgré des différends avec Yassine Ayari, pense que toute personne a le droit d'avoir les conditions d'un procès équitable devant un tribunal civil. D'autres ont pointé du doigt le « deux poids, deux mesures » de l'institution militaire. Cette thèse a été soutenue par le blogueur Hamadi Kaloutcha, alias Sofiane Belhadj, qui est revenu aussi sur l'affaire de Sahbi Jouini, secrétaire général de l'Union nationale des syndicats des forces de sûreté tunisiennes. Selon Kaloutcha, Jouini a été condamné par contumace pour atteinte au moral des membres de l'armée via les médias et malgré cela, «il court les plateaux TV sans être inquiété», en toute liberté. Par contre, Yassine Ayari, «citoyen lambda, a été condamné à un an de prison pour atteinte au moral de l'armée via sa page Facebook», a-t-il précisé sur son mur. « Demain ce sera peut-être toi » D'autres internautes ont critiqué ceux qui ont été satisfaits de voir Yassine Ayari derrière les barreaux. Une telle attitude a motivé le blogueur Azyz Amami : «Ce n'est pas parce que vous ne l'aimez pas ou qu'il ne vous plaît pas qu'il faut s'en prendre à lui alors qu'il est en prison». L'institution militaire n'est pas au-dessus des critiques, pensent certains. Un avis partagé par un autre Facebookeur qui a tapé sur son mur «(...) Aujourd'hui c'est Yassine, demain ce sera peut-être toi...». La directrice du bureau de Human Right Watch (HRW) en Tunisie, Amna Guellali, a écrit sur son mur : « Pour être cohérents avec nous-mêmes, pour suivre des principes et non l'alignement aveugle derrière les réflexes de caste, on devrait exiger de la même manière la fin des poursuites contre Ayari, qui a tenu certes des propos choquants, haineux, mais qui ne justifient pas son emprisonnement». La liberté d'expression en péril Sur Twitter, les "gazouillis" étaient également nombreux, du genre «Constitution violée, révolution assassinée et libertés bafouées». « Blogging» n'est pas un crime. Ces Tweets témoignent de l'atmosphère de crainte qui règne désormais dans la blogosphère tunisienne et dans les réseaux sociaux, surtout avec l'exemple égyptien, à savoir la mort tragique de l'activiste égyptienne Shaimaa Al-Sabbagh lors d'une manifestation au Caire par balle alors qu'elle participait à la commémoration des quatre ans de la révolution, à place Tahri, sans oublier la condamnation de plusieurs autres blogueurs égyptiens. Ceci a laissé plusieurs de nos cyberactivistes craindre que l'affaire Yassine Ayari ne soit un préliminaire vers un retour à des pratiques pas si lointaines dans la mémoire tunisienne.