27% des Tunisiens reconnaissent avoir payé, l'année dernière, des pots-de-vin estimés à 450 millions de dinars, selon une étude exploratoire sur la perception du phénomène de la corruption en Tunisie Après la chute de l'ancien régime, on croyait que la corruption allait être éradiquée. Quatre ans plus tard, la traque du phénomène est au point mort. Pis encore, il sévit de façon endémique, dans l'opacité et l'impunité totale, mettant en question le credo de l'administration dans son rapport avec ses usagers. L'on parle, ici, de ce qu'il est convenu d'appeler « la petite corruption », en tant que fléau gravissime qui ne cesse de ronger le corps de l'Etat et lui faire perdre la confiance des citoyens. Malgré tout, l'on continue, en connaissance de cause, à le considérer comme un mal nécessaire ! C'est, d'ailleurs, ce que vient de confirmer, malheureusement, l'Association tunisienne des contrôleurs publics (Atcp) lors d'une conférence de presse tenue, hier matin, à Tunis, ayant pour thème « la petite corruption, un danger banalisé ». Elle fait suite à une étude exploratoire sur la perception de ce phénomène en Tunisie dont le contenu a été, exposé au large public. D'après son président, contrôleur de profession, M. Charfeddine Yaâkoubi, l'association s'est assigné l'objectif d'éclairer les lanternes sur la nature de ce fléau, ses formes, son coût, ses causes et ses répercussions sur le plan tant individuel que collectif. L'essentiel à retenir est de mettre le doigt sur le plaie, afin de pouvoir l'éradiquer. Chiffres chocs Données et témoignages à l'appui, l'état des lieux semble alarmant, d'où l'impératif de mettre le système administratif à niveau. C'est que l'étude en question a révélé trois chiffres chocs. 27 % des Tunisiens sondés ont affirmé avoir payé, l'année dernière, des pots-de-vin en contrepartie d'un service rendu. Qu'il soit légal ou illégal, le problème est bien là. Il touche profondément les liaisons dangereuses établies entre l'agent public, d'une part, et le citoyen usager, de l'autre. Un tel rapport mafieux a réussi, au cours de 2014, période couverte par cette étude, à engranger une somme faramineuse d'argent sale estimée à 450 millions de dinars, soit l'équivalent du coût de construction d'une cinquantaine de kilomètres d'autoroute. Ou presque le même budget alloué à la réforme de la formation professionnelle d'ici cinq ans. C'est comme si l'argent de la collectivité nationale avait été jeté par la fenêtre. Autre chiffre parlant : 70 % des Tunisiens pensent que la corruption, malgré les connotations négatives qu'on lui attribue, peut être un moyen facilitant les transactions quotidiennes. Cette forme de corruption demeure, en fait, un pain quotidien dont l'impact est assez banalisé. Et c'est là que le bât blesse. Ce phénomène, de par ses preuves volatiles, est d'autant plus incontrôlable qu'il semble être une fatalité socioculturelle. Administration et administrés sont gravement impliqués. Ce raz-de-marée ne vient pas du ciel, étant en liaison directe avec les rapports interpersonnels. Selon l'étude, les principaux domaines corrompus en Tunisie sont, bel et bien, les services de sécurité et de la douane. La cause première en est aussi la dégradation salariale. Il n'y a pas une solution miracle, mais... Selon M. Karim Belhaj Aissa, membre du bureau exécutif de l'Atcp, ce phénomène qui trouve ses origines dans la bureaucratie abusive est dû essentiellement au manque de volonté de l'Etat dans l'application des lois, à la faiblesse des instances de contrôle, au désengagement citoyen et à l'absence de transparence et de redevabilité. Ainsi chacun doit assumer ses responsabilités. A ce niveau-là, a-t-il encore ajouté, l'administration semble avoir perdu toute sa signification en tant que service public. Petite ou grande, la corruption n'est jamais acceptable, réplique-t-il. Mais, y a-t-il une différence entre la petite et la grande corruption ? En fait, l'une mène à l'autre. Sauf que la grande corruption s'amplifie dans les hautes sphères de l'administration, jaillissant du monde des affaires et du pouvoir. La petite se nourrit du simple contact agent-client, basé principalement sur les relations d'intérêts éphémères. Quels remèdes à y apporter? Il n'y a pas une solution miracle, certes, mais l'option pour une stratégie anticorruption efficace est de mise. La bonne gouvernance, l'administration électronique, la transparence en matière de services rendus au citoyen et l'application des lois font également partie de la solution.