Par Abdelhamid Gmati Une étudiante de 25 ans, de l'Institut supérieur d'informatique et de gestion de Kairouan, a fait croire à ses parents qu'elle allait en Turquie pour un stage financé par son université, et leur a montré son billet d'avion. En définitive, il n'y avait pas de stage. Après un mois d'absence, la jeune fille fit savoir à ses parents qu'elle se trouvait en Syrie pour le jihad. Vraisemblablement, elle avait été recrutée par des extrémistes qui pullulent dans notre pays ces dernières années. Dans une école primaire de la localité Aïn Zayenne (gouvernorat de Kasserine), on a découvert, il y a trois jours, dans l'enceinte de l'établissement des inscriptions en gros caractères appelant au jihad. Les tags en question s'adressent aux enfants leur demandant de ne pas obéir au « taghout ». Un autre écrit promet au « taghout» de vivre dans la terreur. Toutes ces inscriptions sont écrites près d'une bannière islamique noire des jihadistes. Les forces de sécurité se démènent chaque jour, dénichant des caches d'armes et des cellules dormantes et actives de terroristes, mais l'embrigadement et le recrutement des jeunes se font toujours sans relâche. Cela se fait dans les mosquées, aux alentours des écoles, mais aussi à travers les chaînes de télévision et l'internet. Les télés dites « coraniques » pullulent, disposent de budgets infinis, et sont là pour embrigader et abrutir le bon peuple. Le phénomène est assez nouveau : dans les années 60 à 80, ces télés n'existaient pas. Un spécialiste pouvant donner des fatwas est appelé un mufti. L'idée de la fatwa est devenue célèbre en 1988. A l'époque, l'Ayatollah Khomeini voulait faire assassiner Salman Rushdie pour son roman «Les Versets sataniques». Depuis, c'est la mode. Des cheikhs islamistes, des imams salafistes et autres muftis intégristes se lancent dans l'émission de fatwas : c'est le fatwa-shopping. Les messages diffusent un islam salafiste, takfiriste, wahhabite, etc. Des dizaines d'oulémas, de muftis autoproclamés et de prédicateurs se sont relayés sur les chaînes de télévision satellitaires pour émettre des décrets religieux, des «fatwas». Selon le quotidien saoudien Al-Riyadh, un prédicateur saoudien a pu atteindre le chiffre record de 150.000 abonnés. Que disent ces messages, ces «fatwas» ? Souvent farfelues, ridicules, elles sont toutefois dangereuses, prônant la violence, le jihad, l'exclusion et s'en prennent souvent... aux femmes. Cette semaine, on apprenait la fatwa d'un prêcheur syrien résidant en Arabie Saoudite, Mohamed Salah Al Monjed, interdisant aux musulmans le mariage avec les femmes... tunisiennes. Qu'ont-elles fait de mal pour mériter un tel anathème? Selon lui, elles sont trop bavardes et posent des conditions insupportables. De plus, la Tunisienne se réfère au Code du statut personnel qui est «une invention immorale comportant des lois frôlant la mécréance et ces lois légalisent l'avortement, l'adoption et interdisent la polygamie». Il a insisté sur ce «takfir» à cause de l'acceptation de la Tunisienne du CSP qui ne l'a pas rejeté après la mort de Bourguiba. Il a aussi argumenté cette interdiction avec le fait que les Tunisiennes fêtent les anniversaires et toutes les autres fêtes non islamiques. A rappeler que ce prêcheur avait diffusé une fatwa pour tuer Mickey Mouse. Toujours cette semaine, le grand mufti de l'Arabie Saoudite, le cheikh Abdel Aziz Ibn Abdallah Ali Cheikh, a émis une fatwa qui permet à l'homme «de se nourrir d'une partie ou de tout le corps de sa femme au cas où il aurait été saisi par une faim extrême qui lui ferait craindre pour sa santé ». Pour lui, cela serait une «preuve» du « sacrifice et de l'obéissance de l'épouse à son mari et de son désir pour que leurs deux corps communient et deviennent une seule chair ». C'est ce prédicateur qui a prôné en premier le «jihad a'nikâh» en Syrie au nom de la «guerre sainte». Des milliers de jeunes filles et femmes syriennes et musulmanes venues d'autres pays se sont adonnées à ce «jihad», assouvissant, ainsi, l'instinct bestial des différents groupes terroristes qui infestent le sol syrien. C'est vraisemblablement à cet appel que la jeune étudiante kairouannaise ainsi que plusieurs autres Tunisiennes ont répondu. La fatwa n'a pas valeur de loi mais dans la pratique, une fatwa émise par un éminent juriste, un célèbre prédicateur ou une prestigieuse université islamique, comme l'égyptienne Al-Azhar, a beaucoup de poids pour certains esprits en quête de valeur, d'orientation, de certitude. Chaque fatwa n'est pas suivie aveuglément, comme celle du controversé cheikh marocain Abdelbari Zemzami qui explique que «l'islam autorise l'acte sexuel sur un cadavre quelques heures après la mort, pour peu que cette relation nécrophile soit du fait d'un veuf qui vient de perdre son épouse ». Ou cette autre fatwa qui décrète : «Quand une femme se baigne dans la mer (un mot masculin en arabe), l'eau (masculine) touche ses parties intimes, ce qui fait d'elle une adultère, et elle doit être punie ». Ou celle du cheikh El Bazqui qui estime que les musulmans qui déclarent que la terre tourne autour du soleil sont des apostats et qu'ils doivent être tués s'ils ne se rétractent pas. Au fait, que pensent ces prédicateurs du terrorisme ? Il y a bien eu le Pakistanais Cheikh El-Islam Muhammad Tahir-El-Qadri, qui, en 2010, a émis une fatwa de 600 pages condamnant fermement le terrorisme et le meurtre d'innocents. Mais on n'en parle pas. Les autres non plus.