« Il faut trouver un équilibre entre la liberté d'expression et la sécurité nationale » Dans quel cadre s'inscrit votre visite à Tunis et qui avez-vous rencontré ? Je suis en Tunisie pour la troisième fois, la deuxième cette année. Je suis venu en janvier en compagnie du ministre allemand des affaires étrangères. C'était pour moi très intéressant de parler à un certain nombre de députés de la commission des affaires étrangères et j'ai aussi eu la possibilité de m'entretenir avec le président du parlement Mohamed Ennaceur. Je suis en ma qualité de chef de la délégation allemande pour la réunion de la méditerranée et représentant du caucus de la commission des affaires étrangères du Bundestag. Je m'occupe essentiellement du Maghreb et des pays du Balkan. A mon avis, la Tunisie défend les valeurs de l'Europe à sa frontière du sud-est. La Tunisie a eu un développement très rapide vers la démocratie et vers l'Union Européenne. Mais il y a encore des barrières mis à part la méditerranée elle-même. Les règles de Bruxelles constituent par exemple une barrière entre la Tunisie et l'Europe. Je pense qu'il faut soutenir l'effort de la société civile, du parlement et de l'économie. Vous dites que la Tunisie défend les valeurs de l'Europe. Qu'est ce que vous entendez par là ? Je veux dire : La bonne gouvernance, la défense des droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme. Qu'est ce que vous ne saviez pas et que vous avez découvert en venant ici ? Les moyens dont dispose le parlement. Il faut que le parlement soit doté d'un comité scientifique qui supporte le travail des parlementaires et pour un meilleur contrôle du gouvernement, il faut que les membres du parlement disposent de collaborateurs. Pour être crédible, il faut deux choses : être capable de contrôler le gouvernement et s'occuper convenablement des circonscriptions. Il est important aussi de veiller à la cohésion du gouvernement. En Tunisie, c'est une gouvernance inclusive et c'est là un progrès formidable pour assurer l'avenir de la Tunisie et pour montrer à ses voisins qu'il est capable d'assurer son développement avec ses moyens propres. Comment vous le savez, la Tunisie a été frappée de plein fouet par le terrorisme. En quoi est ce que l'Allemagne peut aider la Tunisie dans sa lutte contre le terrorisme ? L'Allemagne soutient déjà la Tunisie. Pas seulement dans le processus démocratique, mais également avec des moyens concrets pour lutter contre le terrorisme, tels que les caméras thermiques, des véhicules et des conseils pour développer des stratégies efficaces. Nous avons soutenu 16 projets de la police et de la garde nationale qui incluent formations et fourniture de matériel. Mais il faut qu'il y ait une approche commune avec d'autres pays comme l'Italie, la France, le Royaume-Uni etc. La coordination des efforts est très importante dans la guerre contre le terrorisme. Le ministre allemand de la justice a déclaré que l'Allemagne va se doter de la loi antiterroriste la plus dure d'Europe, en France les parlementaires discutent une loi qui fait polémique sur la surveillance et en Tunisie également on examinera prochainement une loi de lutte contre le terrorisme. Comment est ce que les parlementaires vont-ils pouvoir concilier droits de l'homme, vie privée et lutte contre le terrorisme ? C'est une balance, qui dépend d'une décision politique. Liberté sans sécurité ce n'est pas possible, et sécurité sans liberté ce n'est pas possible non plus. Prenons l'exemple de l'attentat contre Charlie Hebdo, nous avions à l'époque coloré la porte de Brandebourg de la couleur du drapeau français. Et une idée est venue me hanter : Qu'est ce que j'aurais ressenti si on avait drapé la tour Eiffel du drapeau allemand, qu'est ce que j'aurais senti si quelque chose de pareil se passait en Allemagne ? C'est difficile à imaginer. Nous devions légiférer. En même temps, nous ne voulons pas développer des règles contraires aux règles de Bruxelles et en Europe, la société civile défend farouchement la préservation de la vie privée. Personnellement je suis un défenseur de l'enregistrement des données personnelles pour 4 semaines au grand maximum (pas 18 mois) parce qu'il y a beaucoup de crimes en Allemagne que nous n'arrivons pas à résoudre car nous n'avons pas accès aux données de télécommunication. C'est un vrai problème pour la lutte contre le crime organisé. Pour le moment en Allemagne, nous n'avons pas de problème de terrorisme, mais nous sommes conscients qu'il y a 600 à 800 jeunes hommes et parfois de jeunes femmes qui sont partis faire le djihad, qui rentrent de ces zones de conflit et qui constituent un risque pour la sécurité du pays. La responsabilité du politique est d'anticiper la menace et non pas de réagir dans l'émotion après une attaque terroriste. En Tunisie, après les attentats du Bardo c'est plus facile de convaincre la société civile qu'il faut trouver un équilibre entre la liberté d'expression et la sécurité nationale. Que pensez-vous de la déchéance de la nationalité pour ceux qui partent dans les zones de combat ? Pour le principe, on ne peut pas refuser aux citoyens de retourner dans leur pays. Maintenant, en Allemagne, on peut décider de retirer la nationalité à ceux qui ont une double nationalité. Aujourd'hui, il faut 25 policiers pour surveiller un combattant qui revient. Nous avons seulement la capacité de surveiller 220 à 250 combattants, pas au-delà. En tant que député, comment est ce que vous envisagez le contrôle parlementaire sur les opérations d'écoute et de surveillance d'internet ? Nous avons déjà cela en Allemagne, nous avons un comité sélectif et secret qui se réunit deux fois par mois. Le comité est composé de députés de la majorité et de l'opposition. J'ai assisté à ce type de réunions deux ou trois fois, c'est très secret, ça se passe dans le sous-sol du Bundestag. C'est très instructif pour les élus, et c'est l'occasion pour les parlementaires de poser les bonnes questions. Une question que je pose à l'ancien militaire : Il y a un combat à mener contre Daech, quelle est selon vous la stratégie idéale pour détruire cette organisation qui menace une grande partie du monde arabe ? Ce n'est pas facile de lutter avec des moyens militaires seulement. Il faut préparer l'avenir après la guerre : réconciliation, reconstruction, échange d'otages, le retour des réfugiés etc. En 2003, nous n'avons pas eu cette réflexion en Irak, nous ne l'avons pas eu en 2011 non plus en Libye malheureusement. Ces deux opérations ont été un échec total. Donc, premièrement, il faut avoir une pensée stratégique ; deuxièmement, il faut que les nations coopèrent entre elles ; troisièmement, il faut avoir un processus de gestion de crise, et quatrièmement, il faut avoir des moyens matériels pour combattre. Mais la solution ne peut pas être que militaire. L'EI se finance à travers la vente de pétrole à bas prix. A qui vend-il le pétrole ? A des parties qui ne savent pas ou qui n'aimeraient pas savoir d'où provient le pétrole. Il y a même des Etats qui achètent ce pétrole. Je ne pourrai pas vous dire exactement quels sont les pays qui achètent. Mais je m'interroge sur le rôle que jouent Qatar et la Turquie dans cette situation complexe. Mais également le rôle de l'Arabie Saoudite.