Par Noureddine BOUJEMAÂ Le sentiment national est une forte sensation transformée en une flamme étrange ayant pénétré miraculeusement dans le cœur de Bourguiba à son jeune âge. C'est une passion qu'on éprouve et nous pousse vers le désir d'aimer avec beaucoup d'admiration notre chère patrie. Ce noble et sublime sentiment doit avoir une place préférentielle dans notre cœur. Cet intense d'attachement qu'on doit ressentir peut se convertir en une flamme incandescente émanant d'une force bizarre qui a le pouvoir de rester allumée pour nous guider et nous éclairer quand notre patrie affronte une situation anormale pour qu'elle reste debout, très forte, et majestueuse contre les contrecoups et les vicissitudes du temps. Dieu a doté Bourguiba dès sa jeunesse d'une intelligence transcendante et un grand discernement dans le traitement des sujets qui le préoccupent. Le principal sujet qui prend tout son temps, qui l'empêche de dormir et qui ne le quitte jamais, c'est la situation tragique dans laquelle se trouve son pays soumis à la servitude et à l'esclavage, subissant les pires traitements et humiliations infligés à son peuple par l'injustice et la force des armes. Encore étudiant, poursuivant ses études de droit à Paris, il se sent un jour piqué pour la première fois par cette flamme flamboyante qui pénètre avec douceur et de manière lente dans son cœur. Il ne se rend pas compte qu'à cet instant un changement intervient dans sa nature, son état psychique et son caractère, le préparant à son insu à un destin inconnu qu'il ne peut expliquer. Il devient de plus en plus agité et perplexe regardant autour de lui dans l'espoir de trouver une réponse et balbutie ces mots : qu'est-ce qu'il m'arrive ? Qu'est-ce qui me tracasse ? Il s'imagine entrevoir et entendre des vois l'appelant à venir au secours de son peuple pour le libérer du joug du colonialisme. Fait bizarrement extraordinaire, chaque fois que son cœur palpite et se fait piquer par la fameuse flamme, les souffrances et l'asservissement des Tunisiens lui reviennent à l'esprit qui les mettent hors de lui en faisant couler des larmes chaudes inondant son visage. Encore en séjour en France, Bourguiba commence à éprouver un profond ressentiment à l'égard du protectorat et des autorités coloniales. Quand il est seul dans sa chambre, il n'écarte pas l'idée de se trouver un jour au-devant de la scène politique, prenant les destinées de son peuple entre ses mains et la direction d'un parti politique pour une longue bataille le mettant aux prises avec le colonialisme français. Rentré à Tunis définitivement après avoir obtenu sa licence de droit, il adhère au vieux parti du Destour présidé à l'époque par le Docteur Mahmoud El Matri. Il ne tarde pas à se détacher de ce parti en contradiction avec ses rêves, ses idées et sa nouvelle stratégie les considérant inefficaces pour la libération du pays. Il s'empresse à créer son parti et qu'il nomme le parti libre du Néo-Destour tunisien avec la collaboration des leaders : Mongi Slim, Hédi Chaker, Hédi Nouira, Docteur Habib Thameur, Ben Tobal, etc. Il ne pense plus à sa famille ni à son métier d'avocat. Son seul souci et sa première préoccupation c'est le sort de son pays et la façon de s'y prendre pour le débarrasser de l'ère coloniale instaurée en 1881. Il se met à méditer sur les moyens dont il peut compter pour gagner son pari et réaliser ce que les Tunisiens attendent de lui, à un prix que personne ne peut évaluer. Soudain, il écarquille les yeux : une idée fulgurante vient de traverser sa tête; il s'y accroche, il s'y cramponne, il se tape les mains plusieurs fois et lance un cri de joie; ça y est — ça y est — je trouve ce que je cherche — oui c'est le soutien de mon peuple qui va m'aider, me donner la force et le courage d'affronter les autorités coloniales avec leurs soldats, leurs policiers et ceux qui essayent de me saboter en faisant allusion aux mouchards et aux francophiles parmi les Tunisiens qui sont toujours les bienvenus à la résidence de France en Tunisie qui est aujourd'hui l'ambassade de France. Avec la collaboration de ses compagnons de lutte, il élabore une stratégie dans laquelle il met toute sa confiance et son savoir-faire. Il décide de lancer une campagne de motivation et de sensibilisation en faveur des Tunisiens les appelant à des rassemblements sur les places publiques qu'il compte tenir dans la capitale et à l'intérieur du pays. Des discours enflammés sont prononcés à travers des haut-parleurs installés pour la circonstance, défiant les forces militaires et les forces de police qui n'interviennent pas en faisant preuve de sang-froid pour ne pas envenimer une situation déjà tendue dans tout le pays. Bourguiba fait preuve de hardiesse et d'un courage téméraire. Il fait semblant d'ignorer ces deux forces et prononce toujours ses discours sans la moindre crainte, applaudis chaque fois chaleureusement par tous les militants présents aux rassemblements. Grâce à Bourguiba, les Tunisiens qui viennent écouter ses discours n'ont plus la gorge serrée et la langue ficelée comme auparavant. Leurs gosiers se libèrent pour exprimer leurs mécontentements et leurs aspirations à la liberté et à la dignité. En 1952, l'épreuve de force est entamée entre les autorités coloniales et les Tunisiens non armés. Les grèves générales se déclenchent dans tout le pays provoquant des manifestations ensanglantées du côté tunisien avec quelques blessés par des gourdins et jets de pierre côté français. Les manifestations redoublent d'intensité et s'accentuent de jour en jour sur tout le territoire pour protester sévèrement contre l'arrestation arbitraire de Bourguiba à son domicile au centre-ville de Tunis. Bourguiba alité refuse qu'on lui mette les menottes, ne réagit pas, ne souffle aucun mot, prend le temps de s'habiller et accompagne les policiers français venus l'arrêter. Il prend place dans leur voiture qui part en trombe. La nouvelle se propage dans tout Tunis et dans le pays, provoquant une vague de colère de tous les Tunisiens. Les arrestations touchent tous les leaders du parti qui sont déportés avec Bourguiba à l'extrême sud tunisien. Dans son lieu de déportation, le combattant suprême plonge dans une inquiétude et une profonde tristesse, mais ne perd pas sa lucidité. Il passe des moments difficiles de se voir condamné à se séparer de son peuple qui a besoin de sa présence pour le guider dans les prochaines étapes de lutte contre les autorités coloniales. Malgré l'état de déception dans lequel il se trouve, il décide de faire parvenir une petite lettre à Farhat Hached selon ses propres moyens, par laquelle il s'adresse à lui en ces termes: Mon frère Farhat Hached — l'avenir de notre patrie est entre tes mains — nous vivons tous un moment crucial et historique dans notre combat acharné contre le colonialisme français — je compte beaucoup sur ton patriotisme pour que le soulèvement du peuple continue sans s'arrêter — bon courage — vive la Tunisie indépendante — ton frère Habib Bourguiba. Farhat Hached laissé libre par les autorités coloniales pour que son compte soit réglé par la suite. Il est mort, lâchement assassiné, quelques mois après l'arrestation de Bourguiba, par la Main Rouge, qui était une organisation secrète formée par des officiers de l'armée française et de policiers français d'origine corse dont Pierre Angeli et Orsini, etc. Les Tunisiens, encouragés par la flamme du miracle que Bourguiba faisait pénétrer dans leurs cœurs, resserrent leurs rangs, s'unissent davantage contre l'oppression et la répression des militaires et de la police qui ne ratent aucune occasion de tirer froidement et sans hésitation sur les Tunisiens, faisant des morts et des blessés parmi eux. En 1952 : Bourguiba décide d'organiser la résistance armée. Il charge à cet effet le grand militant et syndicaliste, Ahmed Tlili (originaire de Gafsa), pour enrôler les anciens combattants tunisiens ayant participé à la Seconde Guerre mondiale, renforcés par de jeunes volontaires du pays qui prennent tous ensemble le maquis, armés d'anciens fusils datant de cette guerre. La résistance armée entame ses premières opération contre les soldats français par des embuscades meurtrières. Les armes laissées sur le terrain de combat sont vite récupérées par les maquisards tunisiens pour être distribuées aux nouvelles recrues, venues renforcer les rangs des «Moujahidine». Bourguiba, en déportation à l'île de Croix en France est proclamé libre après la signature des conventions franco-tunisiennes, accordant l'autonomie interne à la Tunisie. Il décide de renter à Tunis le 1er juin 1955. Il sort victorieux de sa longue bataille contre une colonialisme têtu qui se termine par l'abolition du protectorat en 1957. Bourguiba n'a pas le syndrome du pouvoir Contrairement à ce que certains prétendent et font circuler ainsi que d'autres parmi les activistes, les politiciens et les radicaux à tendance religieuse que Bourguiba est avide de pouvoir. Ils font ça dans le but de fausser le sens de son vrai désir de gouverner. Son entêtement de rester le plus longtemps possible au pouvoir s'explique par la peur qui le tenaille l'empêchant de remettre la clé du Palais de Carthage à quelqu'un qui peut foutre la pagaille et détruire ce qu'il a fait de bon pour le pays pendant son règne. C'est l'une des raisons qui a détérioré sa santé et son physique. Le combattant suprême est mort et enterré au cours de funérailles qui provoquent la consternation de tous les Tunisiens. Ces funérailles qui ne sont pas dignes d'un grand homme de sa dimension ne répondent pas à son souhait exprimé dans l'un de ses discours de son vivant, du moins ce que l'on puisse dire. Mais l'histoire retiendra l'apogée de cet homme exceptionnel qui n'a pas son semblable dans le monde arabo-musulman. Bourguiba sacrifie sa jeunesse pour une cause qu'il en a fait la sienne. Il fonde un pays moderne et civilisé en combattant l'ignorance, la pauvreté, le sous-développement et procède à la généralisation de l'enseignement dans tout le pays. Si Lahbib : reposez-vous en paix, vous avez laissé derrière vous un peuple qui vous vénère, vous aime et vous admire. Les jeunes générations ne vous oublieront jamais et retiendront que vous nous avez quittés... tout en étant pauvre et sans le sou, avec un compte bancaire zéro millime. Ceux qui se battent aujourd'hui pour la course au pouvoir, je leur demande de bien retenir la leçon. Chers compatriotes, Je voudrais vous lancer un appel solennel : unissons-nous autour de notre patrie qui nous appelle à bien l'aimer et à la défendre. De ne pas rester indifférents à ceux qui veulent lui faire mal par le mensonge et la mauvaise propagande pour perturber avec mauvaise foi l'action du gouvernement actuel qui touche tous les domaines. C'est une tâche ardue à ne pas perturber et qui mérite le soutien de tous. Chers compatriotes, Ne jamais croire que notre patrie appartient aux riches et à ceux qui profitent de leurs positions sociales. C'est complètement insensé ce que vous dites. La patrie nous appartient à tous et à ceux qui la servent avec amour et loyauté. Mais ceux qui croient profiter de sa générosité, ils vendent leurs âmes au diable, en attendant le châtiment divin. Il faut y croire. J'aimerai bien poser une grande question à tous les officiels, les acteurs de la vie politique dans le pays, y compris les parlementaires : – Etes-vous disposés à laisser de côté vos affaires personnelles, pour militer et vous sacrifier afin de sortir le pays du marasme économique dans lequel il est plongé? Comme l'indique la situation du pays qui est fort endetté, le peuple tunisien attend de vous des débouchés pour vaincre cette crise, sinon nous serons tous emportés par le typhon. – Travaillez et prenez de la peine, et le miracle peut se produire si vous y teniez.