Mohamed-El Aziz Ben Achour: La médina face aux malheurs de l'histoire    Le poste-frontière de Rafah restera fermé jusqu'à nouvel ordre    Nouveau coach à la tête de l'US Monastir    Quand l'USM s'écroule face à la JSK : Inodore, incolore    Ligue 1 – 10e journee – Matchs avancés : La JSO prend de la hauteur    Changement de temps ce dimanche : pluies et baisse des températures    Gabès : le colonel Jebabli dénonce l'exploitation de mineurs lors des récentes manifestations    Gabès : retour au calme grâce aux habitants et aux forces de sécurité    Gabès : grève générale le 21 octobre    Le ministère de la Défense rend hommage à l'amiral à la retraite Mohamed Chedly Cherif    Entreprises italiennes : 1 500 emplois créés en six mois en Tunisie    Accident sur l'autoroute : neuf blessés parmi des pèlerins près d'Enfidha    Parlement : séance lundi sur la crise environnementale à Gabès    Parlement : séance plénière lundi pour sur la situation environnementale à Gabès    Alerte météo : orages et pluies ce soir sur le nord et le centre, avec des vents forts !    La Marsa donne le coup d'envoi à la sensibilisation au don d'organes    Kharbga City, un festival créatif pour les enfants et adolescents à Tunis    Douz : coup d'envoi de la neuvième édition du semi-marathon international ' »Pour Mathieu »    Kais Saïed : des solutions urgentes pour la crise environnementale à Gabès    Bande de Gaza: ouverture du poste-frontière de Rafah la semaine prochaine    Baisse de 3% du déficit de la balance commerciale énergétique    Le Président de la République prend en charge le traitement d'un jeune blessé lors des événements à Gabès    TTI ELECSA TN : Retour sur une participation réussie au Salon ELEK ENER 2025    Tunisie face au vieillissement de sa population : une question nationale urgente    BTE au Salon de l'Economie Verte : Feriel Chabrak souligne le rôle des banques dans la transition écologique    Ridha Bergaoui: Le dromadaire, un précieux allié contre le réchauffement climatique    Huawei et ses partenaires au service de l'énergie solaire en Tunisie    Plus de 20 000 Tunisiens ont obtenu un visa pour l'Italie cette année    L'église Saint Croix à la Médina de Tunis abrite l'exposition "Nouveaux langages dans les arts entre les deux rives"    Tunis fait vibrer le monde au rythme du rock et du métal    Pérou : vastes manifestations dans les rues et état d'urgence décrété    Le Festival National du Théâtre Tunisien 'Les Saisons de la Création' se déroule dans son édition 2025 à Tozeur et Tunis    Météo en Tunisie : températures entre 23 et 28 degrés    Pr Riadh Gouider élu Premier Vice-Président de la Fédération Mondiale de Neurologie : une première en Afrique et dans le monde arabe    Riadh Zghal: L'appropriation de la technologie et la demande sociale pour la science    Tunisie : « The Voice of Hind Rajab » dans la shortlist des European Film Awards 2026    Rebirth : l'exposition 100 % féminine qui célèbre la renaissance    Décès de l'acteur tunisien Ali Farsi, une grande perte pour le milieu artistique    La Tunisie entre dans l'histoire : qualification mondiale sans encaisser un seul but !    Tunisie vs Brésil : Le choc amical à ne pas manquer !    L'or explose et dépasse les 4 200 dollars l'once, un sommet historique    Habib Touhami: La confrérie doublement "maudite" des orphelins    Nouveau classement des passeports les plus puissants au monde... Singapour en tête    Pétrole russe : Pékin dénonce les “intimidations” de Trump et défend ses achats “légitimes”    Etats-Unis : la Cour suprême pourrait restreindre les protections électorales des minorités    Le SNJT rend hommage aux journalistes tunisiens de la flottille Al Soumoud    Tunisie vs Namibie : Où regarder le dernier match qualificatif pour la coupe du monde 2026 du 13 octobre    Tunisie vs Sao Tomé-et-Principe : où regarder le match éliminatoire de la Coupe du Monde 2026    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Nos ancêtres les Arabes
Publié dans Leaders le 03 - 04 - 2017


«Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant.»
Victor Hugo
L'entreprise n‘est pas nouvelle. Elle a eu des précédents prestigieux. Que l'on songe au livre de Henriette Walter et Bassam Barake, «Arabesques, L'aventure de la langue arabe en Occident», paru en 2006, à celui de Salah Guemriche, intitulé « Dictionnaire de mots français d'origine arabe (et turque et persane)» publié en 2007 et plus récemment en 2013 à l'ouvrage d'Alain Rey, «Le voyage des mots de l'Orient arabe et persan vers la langue française»…sans oublier le célébrissime et très ancien «Le soleil d'Allah brille sur l'Occident», publié en 1963 par la sulfureuse Sigrid Hunke…
L'entreprise n'est pas nouvelle, mais publier aujourd'hui, après les attentats qui ont ensanglanté la France et notamment ceux de Charlie Hebdo, du Super Cacher et du Bataclan, publier aujourd'hui en pleine campagne électorale et donc en pleine polémique sur l'identité et les ancêtres, un livre consacré aux mots français d'origine arabes et oser l'intituler, «Nos ancêtres les Arabes (ce que notre langue leur doit)»* voilà qui relève du courage, de l'audace pour ne pas dire de la témérité. Témérité car il y a fort à parier que ce titre constitue déjà une provocation aux yeux des racistes, des islamophobes et autres théoriciens du «grand remplacement démographique», ces semeurs de peur et de haine …
Cependant, l'audace ou la témérité ne signifie ni désinvolture, ni affirmation gratuite. Il s'agit ici d'un travail sérieux et scientifique dû à Jean Pruvost qui est professeur émérite de lexicologie et d'histoire de la langue française à l'Université de Cergy-Pontoise. Il est aussi président du Comité d'évaluation au CNRS et Il propose par ailleurs, chaque matin, des chroniques linguistiques sur France Bleu et sur Mouv', où il est «Doc Dico» pour la chronique «Les mots du rap».
A chacun son barbare
Le lecteur a reconnu dans le titre de Pruvost le détournement de la fameuse expression d'Ernest Lavisse, l'historien et le pédagogue auquel est attribuée l'édification du «roman national» français.
L'auteur s'appuie sur des textes et des manuels de cet historien, certes patriote mais nullement chauvin ou xénophobe, afin de corriger la fausse image donnée du malheureux pédagogue. Il est vrai qu'il a forgé sinon popularisé l'expression «nos ancêtres les Gaulois», mais pour tout de suite les taxer de barbarie en comparaison avec le raffinement de la civilisation arabe: «suivons Ernest Lavisse du côté de la civilisation arabe, pour passer, selon ses mots, des « Gaulois qui étaient encore des barbares» aux Arabes, dont, déclare-t-il dans le résumé du chapitre qu'il leur consacre, «la brillante civilisation fut longtemps supérieure à celles des Occidentaux et influença heureusement celle-ci» (p.16)
Or les traces de cette influence heureuse, ce sont les mots arabes adoptés par la langue française et en usage fréquent voire quotidien encore aujourd'hui car comme l'explique Jean Pruvost : « Lorsqu'une civilisation prend de l'ampleur, qu'il s'agisse de son système de pensée philosophique ou religieux, de ses développements scientifiques ou techniques, des artisanats ou des arts qui la font rayonner, de fait, les langues qui sont à proximité, parce qu'elles sont confrontées aux activités d'échanges et aux fascinations diverses, empruntent invariablement des mots. » (p.58)
En fin pédagogue, souvent avec malice et par le biais de force anecdotes savoureuses, Le Professeur parvient à guider habilement son lecteur à travers les itinéraires parfois complexes et tortueux qu'empruntent les mots arabes dans leur voyage vers la langue française.
Les mots et les choses
En effet, l'apport lexical arabe au français se situe en troisième position après l'anglais et l'italien et il est, paradoxalement et étonnamment, cinq fois plus important que l'apport gaulois.
Afin de couvrir ce lexique qui concerne tous les aspects de l'existence, J. Pruvost en a dressé un abécédaire qui va de A comme abricot, algèbre ou alcool, jusqu'à Z comme zénith, zellige ou zéro, en passant, par exemple, par bardot comme Brigitte ; camelot comme certains hommes politiques ; douane que redoutent les trafiquants et les contrebandiers ; épinard dont raffole Popeye ; fatma comme la main et comme la psychiatre franco-tunisienne Fatma Bouvet de la Maisonneuve ; fanfaron comme beaucoup de nos compatriotes et la plupart des Arabes ; guitare, instrument que les intégristes veulent interdire ; gazelle comme la femme que les mêmes intégristes veulent voiler ; hasard qui n'existe pas pour certains et qui pour d'autres s'oppose à nécessité ; houri pour qui les Djihadistes se font exploser en vain puisqu'elle est éternellement jeune et surtout éternellement vierge donc qui ne fait pas l'amour à la grande frustration des autoproclamés martyrs ; imam qui doit se limiter à sa seule compétence, la direction de la prière ; jasmin comme la Révolution et comme l'odeur de ma nostalgie ; jupe, longue ou mini comme le désire la porteuse et non comme veulent l'imposer les moralistes et les ennemis de la vie ; café où la jeunesse tunisienne tue le temps et attend ; luth voir guitare, madrague voir bardot Brigitte ; moka voir kawa ; nénuphar dont une récente réforme de l'orthographe vient de lui faire perdre le ph ; ouate pour atténuer la puissance du haut-parleur qui appelle à la prière de l'aube ; poutargue en souvenir de la Kémia des anciens bars du Passage à Tunis ; quintal, au lecteur de compléter, je ne trouve rien ; le roque, valse entre le roi et la tour mais rien à voir avec le rock ; sucre, sorbet, sirop à éviter pour les diabétiques trop nombreux dans nos contrées; truchement, incroyable transformation de Tourjman ; tarif voir douane ; usnée, varan, uléma, wali , je sèche, je n'ai plus d'inspiration…
L'odyssée des mots
Ces mots viennent en français par différentes voies : les Croisades, les conquêtes arabes, le commerce, le rayonnement de Bagdad, de Damas et surtout de Cordoue, la colonisation, la décolonisation et enfin l'immigration. Par ailleurs, les emprunts peuvent être regroupés en deux types : les emprunts nécessaires qui concerne des objets, des concepts ou tout élément culturel ou civilisationnel inexistant dans la langue qui emprunte : ainsi en est-il de coton, orange, camphre par exemple et l'emprunt de luxe qui vient ajouter une plus-value à l'existant comme baraka, algarade, azimuts, truchement… Signalons enfin que les mots empruntés connaissent deux destins distincts : certains restent tels quels en français, gardant en quelque sorte leur identité comme les humains ainsi en est-il de Hammam, mufti, baraka. D'autres se transforment en s'adaptant à la langue d'accueil et parfois deviennent méconnaissables, ils s'assimilent en quelque sorte toujours comme les humains : amiral, aubergine, nacre…
Livre donc savant et agréable à la fois qui nous rend conscient de ces emprunts qui concernent tous les domaines de la vie et toutes les périodes et qui constituent des traces et des témoignages d'un passé et d'un présent communs.
Livre à la fois savant et savoureux qui administre un magistral démenti à ceux qui nient l'héritage arabe de l'Europe et de la France et qui montre la myopie des puristes de tous bords qui condamnent voire interdisent les mélanges, les métissages et les emprunts de toutes sortes. Il nous rend conscient des
mécanismes d'emprunts, de néologie et de lexicalisation à l'oeuvre dans toute langue et donc dans le parler tunisien et nous donne une idée de ce qu'il sera peut-être un jour : une langue à part entière. D'expression. De création. De culture. De science!
* Nos ancêtres les Arabes : ce que notre langue leur doit, Jean Pruvost, JC Lattès, 2017, 300p, 19€


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.