72 Tunisiens naviguent avec la Flotte de la Résistance    Flottille Soumoud : un départ imminent depuis Sidi Bou Saïd    Tunisie : pluies abondantes et chutes de grêle attendues ce soir    Kaïs Saïed face aux Américains : une image et un marché secret ? Ce qu'il en est    Les cahiers subventionnés disponibles sur le marché d'ici fin septembre en grandes quantités    L'ESS est rentrée bredouille du Maroc : Plus qu'une simple défaite...    Flottille attaquée, communication coulée    Kia électrise l'IAA Mobility 2025 avec sa gamme 100% électrique    De nouvelles nominations à la tête de plusieurs délégations régionales de l'éducation    35% des Tunisiens privés d'un accès régulier à l'eau potable, alerte Houcine Rhili    Interdiction du produit ''lissage'' contenant de l'acide glyoxylique : mise au point de la directrice de la surveillance sanitaire    La ville de Douz accueille la 57e édition du Festival International du Sahara    La Bourse de Tunis sacrée « Africa's Best Exchange for Financial Literacy »    Cliquez ici pour consulter votre emploi du temps sur l'Espace Elève    Aujourd'hui : perturbations aériennes sur les vols Tunisie – France... préparez-vous    Université Ibn Khaldoun : l'étoile montante des universités d'ingénieurs en intelligence artificielle en Tunisie    Commémoration ce samedi du 72ème anniversaire de l'assassinant du martyr Hédi Chaker    La rentrée du préscolaire vire à la crise : inscriptions en chute libre dans les jardins d'enfants    En Tunisie, 25 % des citoyens souffrent d'addiction    Bali frappée par des inondations meurtrières    Tunisie : prolongation des soldes d'été    Approvisionnement en café vert : l'OCT ouvre ses stocks aux professionnels    Tunisie–Palestine : renforcement de la coopération dans le numérique et les TIC    Taxi collectif : la violence comme ligne de conduite    La crédibilité du pays en jeu : Faouzi Ben Abderrahman pointe la responsabilité des autorités tunisiennes    L'Etoile du Sahel recrute le défenseur kényan Alphonse Omija    Les Défis du Chott 2025 : cap sur la 28e édition dans le désert tunisien    La cheffe du gouvernement effectue une visite officielle en Egypte    Attaque sioniste contre Doha : La Tunisie dénonce « l'agression lâche » contre le Qatar    Météo : Orages et Baisse des Températures au Nord et au Centre    Le chef de la diplomatie iranienne attendu, mercredi, à Tunis    Al-Soumoud affirme qu'un nouveau navire de la flottille a été pris pour cible    Kaïs Saïed reçoit le ministre saoudien des Affaires étrangères    Ahmed Ben Salah: un homme d'Etat au destin contrarié    Tunisie : 5 millions de dinars pour redonner vie à l'Institut Bab Jedid à Sousse    Dix penseurs du XXIe siècle pour décrypter le monde contemporain    Tunisie : Pas d'attaque contre le navire Family au port de Sidi Bou Saïd    La Tunisie décroche son billet pour le Mondial 2026    Les Rencontres Internationales de la Photographie de Ghar El Melh font leur grand retour    Les films tunisiens The Voice Of Hind Rajab et Promised Sky concourent au BFI London Film Festival    Toutes les chaînes pour suivre le match des Aigles de Carthage    Kaouther Ben Hania décroche le Lion d'argent à la Mostra de Venise    « La Voix de Hind Rajab » bouleverse Venise et rafle six prix parallèles    Les funérailles de Mohamed Hajj Slimane auront lieu samedi à Gammarth    Violences dans les stades : le gouvernement muscle son jeu, le Parlement sur la touche ?    Le designer tunisien Hassene Jeljeli illumine la Paris Design Week 2025    Les pays les plus chers pour les expatriés en 2025    la destination la moins chère pour les expatriés en 2025    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Nos ancêtres les Arabes
Publié dans Leaders le 03 - 04 - 2017


«Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant.»
Victor Hugo
L'entreprise n‘est pas nouvelle. Elle a eu des précédents prestigieux. Que l'on songe au livre de Henriette Walter et Bassam Barake, «Arabesques, L'aventure de la langue arabe en Occident», paru en 2006, à celui de Salah Guemriche, intitulé « Dictionnaire de mots français d'origine arabe (et turque et persane)» publié en 2007 et plus récemment en 2013 à l'ouvrage d'Alain Rey, «Le voyage des mots de l'Orient arabe et persan vers la langue française»…sans oublier le célébrissime et très ancien «Le soleil d'Allah brille sur l'Occident», publié en 1963 par la sulfureuse Sigrid Hunke…
L'entreprise n'est pas nouvelle, mais publier aujourd'hui, après les attentats qui ont ensanglanté la France et notamment ceux de Charlie Hebdo, du Super Cacher et du Bataclan, publier aujourd'hui en pleine campagne électorale et donc en pleine polémique sur l'identité et les ancêtres, un livre consacré aux mots français d'origine arabes et oser l'intituler, «Nos ancêtres les Arabes (ce que notre langue leur doit)»* voilà qui relève du courage, de l'audace pour ne pas dire de la témérité. Témérité car il y a fort à parier que ce titre constitue déjà une provocation aux yeux des racistes, des islamophobes et autres théoriciens du «grand remplacement démographique», ces semeurs de peur et de haine …
Cependant, l'audace ou la témérité ne signifie ni désinvolture, ni affirmation gratuite. Il s'agit ici d'un travail sérieux et scientifique dû à Jean Pruvost qui est professeur émérite de lexicologie et d'histoire de la langue française à l'Université de Cergy-Pontoise. Il est aussi président du Comité d'évaluation au CNRS et Il propose par ailleurs, chaque matin, des chroniques linguistiques sur France Bleu et sur Mouv', où il est «Doc Dico» pour la chronique «Les mots du rap».
A chacun son barbare
Le lecteur a reconnu dans le titre de Pruvost le détournement de la fameuse expression d'Ernest Lavisse, l'historien et le pédagogue auquel est attribuée l'édification du «roman national» français.
L'auteur s'appuie sur des textes et des manuels de cet historien, certes patriote mais nullement chauvin ou xénophobe, afin de corriger la fausse image donnée du malheureux pédagogue. Il est vrai qu'il a forgé sinon popularisé l'expression «nos ancêtres les Gaulois», mais pour tout de suite les taxer de barbarie en comparaison avec le raffinement de la civilisation arabe: «suivons Ernest Lavisse du côté de la civilisation arabe, pour passer, selon ses mots, des « Gaulois qui étaient encore des barbares» aux Arabes, dont, déclare-t-il dans le résumé du chapitre qu'il leur consacre, «la brillante civilisation fut longtemps supérieure à celles des Occidentaux et influença heureusement celle-ci» (p.16)
Or les traces de cette influence heureuse, ce sont les mots arabes adoptés par la langue française et en usage fréquent voire quotidien encore aujourd'hui car comme l'explique Jean Pruvost : « Lorsqu'une civilisation prend de l'ampleur, qu'il s'agisse de son système de pensée philosophique ou religieux, de ses développements scientifiques ou techniques, des artisanats ou des arts qui la font rayonner, de fait, les langues qui sont à proximité, parce qu'elles sont confrontées aux activités d'échanges et aux fascinations diverses, empruntent invariablement des mots. » (p.58)
En fin pédagogue, souvent avec malice et par le biais de force anecdotes savoureuses, Le Professeur parvient à guider habilement son lecteur à travers les itinéraires parfois complexes et tortueux qu'empruntent les mots arabes dans leur voyage vers la langue française.
Les mots et les choses
En effet, l'apport lexical arabe au français se situe en troisième position après l'anglais et l'italien et il est, paradoxalement et étonnamment, cinq fois plus important que l'apport gaulois.
Afin de couvrir ce lexique qui concerne tous les aspects de l'existence, J. Pruvost en a dressé un abécédaire qui va de A comme abricot, algèbre ou alcool, jusqu'à Z comme zénith, zellige ou zéro, en passant, par exemple, par bardot comme Brigitte ; camelot comme certains hommes politiques ; douane que redoutent les trafiquants et les contrebandiers ; épinard dont raffole Popeye ; fatma comme la main et comme la psychiatre franco-tunisienne Fatma Bouvet de la Maisonneuve ; fanfaron comme beaucoup de nos compatriotes et la plupart des Arabes ; guitare, instrument que les intégristes veulent interdire ; gazelle comme la femme que les mêmes intégristes veulent voiler ; hasard qui n'existe pas pour certains et qui pour d'autres s'oppose à nécessité ; houri pour qui les Djihadistes se font exploser en vain puisqu'elle est éternellement jeune et surtout éternellement vierge donc qui ne fait pas l'amour à la grande frustration des autoproclamés martyrs ; imam qui doit se limiter à sa seule compétence, la direction de la prière ; jasmin comme la Révolution et comme l'odeur de ma nostalgie ; jupe, longue ou mini comme le désire la porteuse et non comme veulent l'imposer les moralistes et les ennemis de la vie ; café où la jeunesse tunisienne tue le temps et attend ; luth voir guitare, madrague voir bardot Brigitte ; moka voir kawa ; nénuphar dont une récente réforme de l'orthographe vient de lui faire perdre le ph ; ouate pour atténuer la puissance du haut-parleur qui appelle à la prière de l'aube ; poutargue en souvenir de la Kémia des anciens bars du Passage à Tunis ; quintal, au lecteur de compléter, je ne trouve rien ; le roque, valse entre le roi et la tour mais rien à voir avec le rock ; sucre, sorbet, sirop à éviter pour les diabétiques trop nombreux dans nos contrées; truchement, incroyable transformation de Tourjman ; tarif voir douane ; usnée, varan, uléma, wali , je sèche, je n'ai plus d'inspiration…
L'odyssée des mots
Ces mots viennent en français par différentes voies : les Croisades, les conquêtes arabes, le commerce, le rayonnement de Bagdad, de Damas et surtout de Cordoue, la colonisation, la décolonisation et enfin l'immigration. Par ailleurs, les emprunts peuvent être regroupés en deux types : les emprunts nécessaires qui concerne des objets, des concepts ou tout élément culturel ou civilisationnel inexistant dans la langue qui emprunte : ainsi en est-il de coton, orange, camphre par exemple et l'emprunt de luxe qui vient ajouter une plus-value à l'existant comme baraka, algarade, azimuts, truchement… Signalons enfin que les mots empruntés connaissent deux destins distincts : certains restent tels quels en français, gardant en quelque sorte leur identité comme les humains ainsi en est-il de Hammam, mufti, baraka. D'autres se transforment en s'adaptant à la langue d'accueil et parfois deviennent méconnaissables, ils s'assimilent en quelque sorte toujours comme les humains : amiral, aubergine, nacre…
Livre donc savant et agréable à la fois qui nous rend conscient de ces emprunts qui concernent tous les domaines de la vie et toutes les périodes et qui constituent des traces et des témoignages d'un passé et d'un présent communs.
Livre à la fois savant et savoureux qui administre un magistral démenti à ceux qui nient l'héritage arabe de l'Europe et de la France et qui montre la myopie des puristes de tous bords qui condamnent voire interdisent les mélanges, les métissages et les emprunts de toutes sortes. Il nous rend conscient des
mécanismes d'emprunts, de néologie et de lexicalisation à l'oeuvre dans toute langue et donc dans le parler tunisien et nous donne une idée de ce qu'il sera peut-être un jour : une langue à part entière. D'expression. De création. De culture. De science!
* Nos ancêtres les Arabes : ce que notre langue leur doit, Jean Pruvost, JC Lattès, 2017, 300p, 19€


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.