la ministre de la Justice ordonne la libération de Sonia Dahmani    L'artiste tunisienne Bochra Mohamed est décédée    Vers une augmentation de la bourse CIVP    Ghalia : la chanson qui secoue la Tunisie contre les violences faites aux femmes    Epson L11050: l'imprimante A3 multifonction pensée pour les environnements professionnels exigeants    La Présidente de Malte remet à Mounir Ben Miled le Prix Mare Nostrum Lifetime Achievement 2025    Halima Ben Ali face à la justice française : un dossier qui fait trembler les frontières    Deuxième tranche du logement social : qui peut en bénéficier et quand ?    Pâtisseries en alerte : pénurie de farine touche trois régions    Tunisie : Pour le moment... aucune hausse des prix des bouteilles de gaz    Vague de froid en Tunisie : orages, vents forts et neige au rendez-vous    Bonne nouvelle pour les fans : la CAF augmente le nombre de joueurs pour la CAN 2025 !    Hommage à René Passet, pionnier de l'approche transdisciplinaire en économie et le développement durable    CAN 2025 : Trabelsi dévoile la liste, la préparation commence à Doha    Tunisie : temps froid, pluies orageuses et mer agitée sur le Nord    Le Président tunisien accuse l'Union européenne de ''violer gravement'' les usages diplomatiques    Coupe Arabe 2025: Tous les matchs en direct...chaînes officielles confirmées    L'Ecole Supérieure d'Economie Numérique organise ESENet Talent Fair 2025 : l'ESEN met l'IA au cœur de l'entreprise    La chanteuse et actrice Algérienne Biyouna décédée à l'âge de 73 ans    L'IA, un levier stratégique pour la transition écologique et le développement durable en Tunisie    Elyes Ghariani: L'Union européenne à l'épreuve des nouvelles dynamiques sécuritaires    Classement des meilleurs modèles d'IA en novembre 2025 : Gemini 3 Pro domine ce marché compétitif    Ce vendredi à la librairie Al Kitab Mutuelleville: Jilani Benmbarek présente son nouveau livre «Lumière sur une aventure»    Météo en Tunisie : pluies orageuses attendues à l'extrême nord    Triomphe tunisien au Caire : Afef Ben Mahmoud sacrée meilleure actrice pour « Round 13 »    Les nouveaux ambassadeurs du Burkina Faso, du Liban et des Etats-Unis d'Amérique présentent leurs lettres de créances au Président Kais Saied (Vidéo et album photos)    Météo en Tunisie : temps nuageux, légère hausse des températures    Khadija Taoufik Moalla - Dépasser la notion de "race": vers une humanité réconciliée    Kairouan acclame son illustre fille, Hafida Ben Rejeb Latta (Album photos)    Le jour où: Alya Hamza...    Zouhaïr Ben Amor - La philosophie dans le quotidien: penser pour vivre, vivre pour penser    Le Musée paléo-chrétien de Carthage sera rouvert en décembre 2025    Météo en Tunisie : températures maximales comprises entre 15 et 21 degrés    Alerte Technique : Cloudflare frappé par un ''pic de trafic inhabituel''    Le SNJT organise un mouvement national dans toute la Tunisie pour défendre la liberté et la dignité des journalistes    La lecture du Pr Slim Laghmani de la résolution du conseil de sécurité relative au plan Trump pour Gaza    Tunisiens en France : êtes-vous concernés par la fin de la gratuité des soins ?    Ridha Bergaoui: Des noix, pour votre plaisir et votre santé    La Tunisie accueille les nouveaux ambassadeurs du Soudan, du Danemark et du Canada    Match Tunisie vs Jordanie : où regarder le match amical préparatif à la CAN 2025 du 14 novembre?    Hafedh Chekir: Accroissement naturel de la population en Tunisie    Jamila Boulakbèche et Isra Ben Taïeb remportent 2 médailles d'or aux Jeux de la Solidarité islamique 2025    Match Tunisie vs Mauritanie : où regarder le match amical préparatif à la CAN Maroc 2025 du 12 novembre?    Secousse tellurique en Tunisie enregistrée à Goubellat, gouvernorat de Béja    Congrès mondial de la JCI : la Poste Tunisienne émet un timbre poste à l'occasion    Le CSS ramène un point du Bardo : Un énorme sentiment de gâchis    Ligue 1 – 11e Journée – EST-CAB (2-0) : L'Espérance domine et gagne    New York en alerte : décès de deux personnes suite à de fortes précipitations    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Nos ancêtres les Arabes
Publié dans Leaders le 03 - 04 - 2017


«Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant.»
Victor Hugo
L'entreprise n‘est pas nouvelle. Elle a eu des précédents prestigieux. Que l'on songe au livre de Henriette Walter et Bassam Barake, «Arabesques, L'aventure de la langue arabe en Occident», paru en 2006, à celui de Salah Guemriche, intitulé « Dictionnaire de mots français d'origine arabe (et turque et persane)» publié en 2007 et plus récemment en 2013 à l'ouvrage d'Alain Rey, «Le voyage des mots de l'Orient arabe et persan vers la langue française»…sans oublier le célébrissime et très ancien «Le soleil d'Allah brille sur l'Occident», publié en 1963 par la sulfureuse Sigrid Hunke…
L'entreprise n'est pas nouvelle, mais publier aujourd'hui, après les attentats qui ont ensanglanté la France et notamment ceux de Charlie Hebdo, du Super Cacher et du Bataclan, publier aujourd'hui en pleine campagne électorale et donc en pleine polémique sur l'identité et les ancêtres, un livre consacré aux mots français d'origine arabes et oser l'intituler, «Nos ancêtres les Arabes (ce que notre langue leur doit)»* voilà qui relève du courage, de l'audace pour ne pas dire de la témérité. Témérité car il y a fort à parier que ce titre constitue déjà une provocation aux yeux des racistes, des islamophobes et autres théoriciens du «grand remplacement démographique», ces semeurs de peur et de haine …
Cependant, l'audace ou la témérité ne signifie ni désinvolture, ni affirmation gratuite. Il s'agit ici d'un travail sérieux et scientifique dû à Jean Pruvost qui est professeur émérite de lexicologie et d'histoire de la langue française à l'Université de Cergy-Pontoise. Il est aussi président du Comité d'évaluation au CNRS et Il propose par ailleurs, chaque matin, des chroniques linguistiques sur France Bleu et sur Mouv', où il est «Doc Dico» pour la chronique «Les mots du rap».
A chacun son barbare
Le lecteur a reconnu dans le titre de Pruvost le détournement de la fameuse expression d'Ernest Lavisse, l'historien et le pédagogue auquel est attribuée l'édification du «roman national» français.
L'auteur s'appuie sur des textes et des manuels de cet historien, certes patriote mais nullement chauvin ou xénophobe, afin de corriger la fausse image donnée du malheureux pédagogue. Il est vrai qu'il a forgé sinon popularisé l'expression «nos ancêtres les Gaulois», mais pour tout de suite les taxer de barbarie en comparaison avec le raffinement de la civilisation arabe: «suivons Ernest Lavisse du côté de la civilisation arabe, pour passer, selon ses mots, des « Gaulois qui étaient encore des barbares» aux Arabes, dont, déclare-t-il dans le résumé du chapitre qu'il leur consacre, «la brillante civilisation fut longtemps supérieure à celles des Occidentaux et influença heureusement celle-ci» (p.16)
Or les traces de cette influence heureuse, ce sont les mots arabes adoptés par la langue française et en usage fréquent voire quotidien encore aujourd'hui car comme l'explique Jean Pruvost : « Lorsqu'une civilisation prend de l'ampleur, qu'il s'agisse de son système de pensée philosophique ou religieux, de ses développements scientifiques ou techniques, des artisanats ou des arts qui la font rayonner, de fait, les langues qui sont à proximité, parce qu'elles sont confrontées aux activités d'échanges et aux fascinations diverses, empruntent invariablement des mots. » (p.58)
En fin pédagogue, souvent avec malice et par le biais de force anecdotes savoureuses, Le Professeur parvient à guider habilement son lecteur à travers les itinéraires parfois complexes et tortueux qu'empruntent les mots arabes dans leur voyage vers la langue française.
Les mots et les choses
En effet, l'apport lexical arabe au français se situe en troisième position après l'anglais et l'italien et il est, paradoxalement et étonnamment, cinq fois plus important que l'apport gaulois.
Afin de couvrir ce lexique qui concerne tous les aspects de l'existence, J. Pruvost en a dressé un abécédaire qui va de A comme abricot, algèbre ou alcool, jusqu'à Z comme zénith, zellige ou zéro, en passant, par exemple, par bardot comme Brigitte ; camelot comme certains hommes politiques ; douane que redoutent les trafiquants et les contrebandiers ; épinard dont raffole Popeye ; fatma comme la main et comme la psychiatre franco-tunisienne Fatma Bouvet de la Maisonneuve ; fanfaron comme beaucoup de nos compatriotes et la plupart des Arabes ; guitare, instrument que les intégristes veulent interdire ; gazelle comme la femme que les mêmes intégristes veulent voiler ; hasard qui n'existe pas pour certains et qui pour d'autres s'oppose à nécessité ; houri pour qui les Djihadistes se font exploser en vain puisqu'elle est éternellement jeune et surtout éternellement vierge donc qui ne fait pas l'amour à la grande frustration des autoproclamés martyrs ; imam qui doit se limiter à sa seule compétence, la direction de la prière ; jasmin comme la Révolution et comme l'odeur de ma nostalgie ; jupe, longue ou mini comme le désire la porteuse et non comme veulent l'imposer les moralistes et les ennemis de la vie ; café où la jeunesse tunisienne tue le temps et attend ; luth voir guitare, madrague voir bardot Brigitte ; moka voir kawa ; nénuphar dont une récente réforme de l'orthographe vient de lui faire perdre le ph ; ouate pour atténuer la puissance du haut-parleur qui appelle à la prière de l'aube ; poutargue en souvenir de la Kémia des anciens bars du Passage à Tunis ; quintal, au lecteur de compléter, je ne trouve rien ; le roque, valse entre le roi et la tour mais rien à voir avec le rock ; sucre, sorbet, sirop à éviter pour les diabétiques trop nombreux dans nos contrées; truchement, incroyable transformation de Tourjman ; tarif voir douane ; usnée, varan, uléma, wali , je sèche, je n'ai plus d'inspiration…
L'odyssée des mots
Ces mots viennent en français par différentes voies : les Croisades, les conquêtes arabes, le commerce, le rayonnement de Bagdad, de Damas et surtout de Cordoue, la colonisation, la décolonisation et enfin l'immigration. Par ailleurs, les emprunts peuvent être regroupés en deux types : les emprunts nécessaires qui concerne des objets, des concepts ou tout élément culturel ou civilisationnel inexistant dans la langue qui emprunte : ainsi en est-il de coton, orange, camphre par exemple et l'emprunt de luxe qui vient ajouter une plus-value à l'existant comme baraka, algarade, azimuts, truchement… Signalons enfin que les mots empruntés connaissent deux destins distincts : certains restent tels quels en français, gardant en quelque sorte leur identité comme les humains ainsi en est-il de Hammam, mufti, baraka. D'autres se transforment en s'adaptant à la langue d'accueil et parfois deviennent méconnaissables, ils s'assimilent en quelque sorte toujours comme les humains : amiral, aubergine, nacre…
Livre donc savant et agréable à la fois qui nous rend conscient de ces emprunts qui concernent tous les domaines de la vie et toutes les périodes et qui constituent des traces et des témoignages d'un passé et d'un présent communs.
Livre à la fois savant et savoureux qui administre un magistral démenti à ceux qui nient l'héritage arabe de l'Europe et de la France et qui montre la myopie des puristes de tous bords qui condamnent voire interdisent les mélanges, les métissages et les emprunts de toutes sortes. Il nous rend conscient des
mécanismes d'emprunts, de néologie et de lexicalisation à l'oeuvre dans toute langue et donc dans le parler tunisien et nous donne une idée de ce qu'il sera peut-être un jour : une langue à part entière. D'expression. De création. De culture. De science!
* Nos ancêtres les Arabes : ce que notre langue leur doit, Jean Pruvost, JC Lattès, 2017, 300p, 19€


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.