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Covid-19 et Fête du travail: «Le mai le joli mai …» Irons-nous camper sur les ruines du droit du travail?
Publié dans Leaders le 01 - 05 - 2020

Par Hatem Kotrane - Professeur à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis -
1. «Le mai le joli mai …». Le poème est de Guillaume Apollinaire, sans doute un des plus beaux de toute l'histoire de la poésie. Il nous rappelle, en ces moments de confinement sanitaire général le temps qui passe, qui ne laisse de nous faire rêver et espérer à des lendemains meilleurs et confirme que le mois de mai, plus que tous les autres mois de l'année, est un sujet poétique. Mais ce moi est plus souvent associé à la célébration, chaque 1er mai, en Tunisie comme dans le reste du monde, de la fête du travail. Une fête qui est née dans le pays de la libre entreprise, les USA, lorsque, ce jour de l'an 1886, une grève généralisée, suivie par 400.000 salariés, paralyse un nombre important d'usines, réclamant la journée de 8 heures de travail. Le mouvement s'internationalise et l'Internationale socialiste, réunie dans la capitale française en 1889, adopte le 1er mai comme la journée internationale des travailleurs.
2. Il faut attendre en réalité l'avènement, en 1919, de l'Organisation internationale du travail (OIT) rassemblant gouvernements, employeurs et travailleurs dans le cadre d'une institution tripartite, en vue d'une action commune pour promouvoir les droits au travail, encourager la création d'emplois décents, développer la protection sociale et renforcer le dialogue social dans le domaine du travail.
3. En Tunisie, les premières lois sociales apparaissent dès 1910. Mais il faut attendre, en réalité, l'indépendance pour assister à une plus grande implantation des lois sociales. C'est ainsi que l'Etat indépendant va intégrer, petit à petit, les normes internationales du travail en procédant, notamment, à la promulgation, le 30 avril 1966, du Code du travail et en accentuant, depuis lors, le processus d'adhésion de la Tunisie à nombre de conventions internationales du travail de l'OIT, dans un souci constant d'harmonisation de la législation interne avec les tendances majeures du droit international en ce domaine. Soixante-trois (63) conventions internationales du travail sont, à ce jour, ratifiées par la Tunisie, comprenant notamment les huit (8) conventions se rapportant aux principes et droits fondamentaux de l'homme au travail, y compris la Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et la Convention (n°98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, étant précisé que les trois dernières ratifications ont concerné, successivement, la Convention (n° 144) sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail, la Convention (n° 151) sur les relations de travail dans la fonction publique et la Convention (n° 154) sur la négociation collective, marquant tout autant le souci de l'Etat de promouvoir la négociation collective et d'asseoir durablement les droits et garanties en faveur des acteurs du dialogue social.
4. Tout cela est aujourd'hui bien connu. Quel impact les changements et les difficultés survenus ces dernières années, singulièrement aggravées depuis ces deux derniers mois par la propagation de la pandémie « Covid-19 », peuvent-ils néanmoins entraîner au plan de la politique sociale ? Comment occulter que le travail rémunéré redeviendra, en Tunisie comme dans le reste du monde – à des degrés certes différents –, une denrée rare. Comment occulter, surtout, l'aggravation toutes ces dernières années des tensions sociales et l'incapacité des acteurs sociaux et des mécanismes juridiques à endiguer les conflits sociaux et à infléchir le comportement des acteurs et l'usage qu'ils font des moyens de lutte et de pression utilisés sur le terrain.
5. Comment, au final, sortir de cette crise et dessiner le monde du travail de l'après Covid-19 ? Le défi est lancé à l'Etat, aux partenaires sociaux et à la société dans son ensemble, invités à redonner un sens réel au travail, à remettre en place une politique volontariste en ce domaine, tant il est vrai qu'on ne peut rester indifférent à l'égard des inconvénients qu'engendrera, inéluctablement, l'aggravation des situations de chômage et de sous-emploi. Et quels que soient les mérites de l'économie de marché et le regain d'intérêt dont elle a pu bénéficier de nouveau ces dernières décennies, le marché de travail ne pourra plus être totalement confié à l'autorégulation, ni être traité comme le marché libre d'une marchandise quelconque.
6. Le dialogue social, mené par des partenaires ayant – au-delà la défense des intérêts catégoriels - un haut sens de l'intérêt national, est la seule voie permettant de trouver les solutions durables, celles-là mêmes permettant de mettre en œuvre un des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD), qui doivent être atteints par tous les États membres de l'ONU d'ici à 2030. , à savoir l'Objectif n°8, appelant à « Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous ». L'objectif est louable et sera plus ou moins atteint selon les Etats et les stratégies qui les animent dont au premier chef, leur capacité à asseoir durablement les conditions du dialogue social.
7. Le nouveau contrat social, signé entre le Gouvernement, l'UTICA et l'UGTT, y fait directement référence en comportant, parmi ses cinq principaux axes, un axe intitulé «l'institutionnalisation du dialogue social tripartite». La loi n° 2017-54 du 24 juillet 2017 portant création du Conseil national du dialogue social a été, à coup sûr, une étape importante dans ce processus, et ce, malgré les difficultés suscitées par le décret gouvernemental n° 2018- 676 du 7 août 2018 relatif à la fixation du nombre des membres du Conseil national du dialogue social, perpétuant un système fondé sur le monopole syndical et de pratiques abusives et restrictives, étant rappelé que tout conseil national en ce domaine doit nécessairement se fonder sur l'ouverture de la consultation avec tous les représentants des employeurs et des travailleurs.
8. Mais la priorité consiste, dans ce monde du travail de l'après Covid-19, à moderniser le modèle du travail dépendant autour duquel gravitent la plupart des dispositions du Code du travail et des conventions collectives. Le développement, lors de la crise de « Covid-19 » et du confinement sanitaire général qui en est résulté, du télétravail a fait prendre conscience de la nécessaire évolution des relations de travail et de la représentation même du modèle du travail dépendant largement affecté par la révolution informatique, «[...] qui fait passer le monde du travail de l'âge de la main-d'œuvre à celui du « cerveau d'œuvre(1)» , c'est-à-dire du travailleur « branché » : on n'attend plus qu'il obéisse mécaniquement à des ordres, mais on exige qu'il réalise les objectifs assignés en réagissant en temps réel aux signaux qui lui parviennent.(2)» .
9. Cette métamorphose technique de la prestation de travail, qui alimente les débats actuels sur la robotisation, la digitalisation et l'«uberisation », « [...] offre une chance de conférer à tous les travailleurs une certaine autonomie, en même temps qu'un risque de les soumettre tous — y compris les indépendants, les cadres ou les professions intellectuelles — à des formes aggravées de déshumanisation de leur travail. Cette révolution ne se limite pas, en effet, à la généralisation de l'usage de techniques nouvelles, mais déplace le centre de gravité du pouvoir économique. Ce dernier se situe moins dans la propriété matérielle des moyens de production que dans la propriété intellectuelle de systèmes d'information. Et il s'exerce moins par des ordres à exécuter que par des objectifs à atteindre»(3).
10. De nouveaux défis sont ainsi lancés, ceux liés au développement de l'économie et du travail en réseaux à tous les niveaux de l'organisation du travail : «…depuis les chefs d'entreprise soumis aux exigences de leurs actionnaires ou donneurs d'ordre, jusqu'aux travailleurs salariés, dont on exige une réactivité et une disponibilité de tous les instants. Les débats sur l'uberisation illustrent le besoin d'un cadre juridique propre à tenir les promesses (d'autonomie) et à conjurer les risques (de surexploitation) inhérents à ces situations en veillant, autant que faire se peut, à mettre ainsi les ordinateurs au service des hommes et à faire en sorte que la révolution informatique laisse réellement place à plus d'autonomie»(4).
11. Adapter le droit aux nouvelles formes d'organisation du travail en prenant réellement en compte les aspirations humaines conduirait à prendre conscience d'une autre réalité traduite, en Tunisie comme dans la plupart des systèmes qui prêtent à comparaison, par le passage d'un modèle classique des relations de travail, marqué par la stagnation et l'uniformisation des statuts, à un modèle plus actuel impliquant une plus grande capacité de mobilité et d'adaptation aux besoins mouvants du marché du travail et de l'entreprise. Comment passer avec le minimum de difficultés du modèle initial des relations du travail au modèle plus actuel. Comment aménager la transition ?
12. La réflexion juridique peut contribuer à cette phase de transition au moyen d'un nouveau droit de l'adaptation et de la mobilité permettant, dans le contexte de la tertiairisation de l'économie et du développement des formes d'emploi atypiques, de remettre en cause l'idée traditionnelle selon laquelle le concept de salariat ou de dépendance correspond ou doit correspondre à un domaine homogène et compact. Il en est de même de l'idée selon laquelle le droit du travail produit des traitements uniformes, approche qui a conduit à de nombreux effets pervers et qui a paradoxalement créé " une inégalité par l'égalité ".
13. L'espace méthodologique qui serait ainsi créé appelle à de vraies réformes de rupture, en vue de l'aménagement d'un nouveau droit du travail en Tunisie, permettant d'aboutir, au travers d'une diversification croissante des règles de protection, à de nouveaux critères d'unification égalitaire, à une égalisation dans le progrès.
14. Un renouvellement fondamental des modes de représentation et de la doctrine du droit du travail est en cours dans plusieurs pays et permet d'introduire un point de vue pluraliste dans les schémas normatifs en vigueur. L'espace méthodologique qui serait ainsi créé ouvrirait la voie à un large mouvement d'adaptation et permettrait d'aboutir, au travers d'une diversification croissante des règles de protection, à de nouveaux critères d'unification égalitaire, à une sorte d' « égalisation dans le progrès ».
C'est à ce prix que les tunisiens, notamment les plus jeunes d'entre eux, n'iront pas camper sur les ruines du droit du travail et pourront accueillir chaque 1er mai, la fêté du travail, en scandant « le mai le joli mai… »!
H.K.
Professeur à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
(1) Michel Volle, « Anatomie de l'entreprise. Pathologies et diagnostic », dans Pierre Musso (sous la dir. de), L'Entreprise contre l'État, Manucius, Paris, 2017 ; Cité par Alain Supiot, article précité.
- Cité par Hatem Kotrane, Nouveau Droit du travail, édition SIMPACT, Tunis, 2018, paras. 32-33, p. 23).
(2) Alain Supiot, « Pour une réforme digne de ce nom- Et si l'on refondait le droit du travail … », Le Monde diplomatique, Octobre 2017, Pages 1, 22 et 23.
(3) Ibid.


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