Défendu bec et ongles par le mouvement islamiste Ennahdha lors de l'élaboration de la Constitution, l'actuel régime politique hybride qui répartit le pouvoir entre le législatif et l'exécutif, pourrait être revu. Le président de la République Béji Caïd Essebsi vient de relancer le débat à ce sujet dans un entretien accordé le 9 décembre à «Al-Arabiya.net» , Il a déclaré que ce régime n'est pas le mieux indiqué pour un pays qui est en train d'apprendre la démocratie. «Le régime semi-parlementaire ne convient pas à la Tunisie. Le régime présidentiel est mieux accepté par la majorité du peuple tunisien », a-t-il déclaré. La question d'une révision du régime politique par le biais d'un amendement de la Constitution avait été déjà abordée en avril denier par le locataire du Palais de Carthage. Dans une interview accordée alors à la télévision nationale, il avait estimé que le régime semi-parlementaire «ne facilite pas les choses sur le plan économique» et «provoque une sorte d'inertie sur le plan politique». Il a fait la distinction entre un régime présidentialiste et un régime présidentielle précisant que le régime actuel «pourrait être amélioré». Le choix du régime semi-parlementaire est le fruit d'un consensus entre les défenseurs du régime parlementaire pur et les partisans du régime présidentiel lors de l'élaboration de la Constitution. Ce régime hybride a été finalement accepté comme étant une solution de compromis par le mouvement Ennahdha, qui était alors majoritaire à l'Assemblée nationale constituante (ANC). Le mouvement islamiste avait défendu bec et ongles le régime parlementaire dans le cadre d'un calcul électoral étriqué vu qu'il pensait remporter les législatives et savait ses chances fort réduites pour remporter la présidentielle. La perspective d'un changement de régime politique a été cependant évoquée récemment par Lotfi Zitoun, un dirigeant du mouvement Ennahdha. «Je suis contre le système actuel fonctionnant avec des moitiés, voire des quarts de chacun. Il nous faudrait un régime entièrement présidentiel ou complètement parlementaire», a suggéré ce proche conseiller du président du mouvement dans un article publié récemment dans un journal arabophone de la place. Selon les experts en droit constitutionnel, l'amendement de la Constitution dans le sens d'une révision du régime politique est désormais envisageable. D'autant plus que le texte fondamental permet au président lui-même ou au tiers des députés de présenter une initiative dans ce sens. Professeur d'histoire contemporaine à l'Université de la Manouba, Abdellatif Hannachi imagine mal le mouvement Ennahdha donner son aval à l'élargissement des prérogatives du président de la République. «Les partis islamistes préfèrent toujours le régime parlementaire qui leur permet de peser lourdement sur l'échiquier politique. Ennahdha ne pourrait accepter l'abandon du régime semi-parlementaire que dans le cadre d'un marché qui lui garantit de tirer des bénéfices certains», souligne-t-il. Et d'ajouter : «Contrairement à une image largement répandue, l'actuel régime n'a pas montré beaucoup de défauts. Ce sont les crises internes que connaissent certains partis qui hypothèque le bon fonctionnement des institutions et non pas la nature du régime politique en vigueur». Même son de cloche chez le fondateur du Parti démocrate progressiste (PDP, devenu Al-Joumhouri), Néjib Chebbi : « Si nous nous acheminons aujourd'hui vers une paralysie du système de la IIème République, ce n'est point en raison du caractère hybride de la constitution mais bel et bien parce que le Président a perdu la majorité au sein du Parlement, suite à la scission de Nidaâ Tounes, le parti originairement majoritaire. Si Nida avait maintenu sa cohésion, le Président serait encore craint par le Premier ministre et par ses alliés d'Ennahdha ». Pour certains observateurs, le président de la République tente depuis plusieurs mois une «présidentialisation » du régime. Il a en effet lancé l'initiative ayant abouti à la formation du gouvernement d'union nationale avant de parrainer le dialogue national qui a déterminé le programme du nouveau cabinet, plus connu sous l'appellation du «document de Carthage». Il a réussi à révoquer l'ancien Chef du gouvernement Habib Essid qui devenait un peu trop rebelle et insoumis aux diktats du Chef de l'Etat. Il a aussi imposé son candidat au poste de Chef du gouvernement d'union nationale malgré les réticences de l'opposition, de ses alliés au sein de la coalition au pouvoir et même d'une bonne partie des dirigeants de Nidaâ Tounes. Par ailleurs, tout porte à croire que la nomination de Yousef Chahed à la tête du gouvernement n'est, en réalité, qu'une tentative de restaurer la dominance de Béji Caïd Essebsi et de renforcer sa participation à la prise de décision. Le jeune quadra, qui était un inconnu au bataillon politique jusqu'en février 2015, quand il a été nommé secrétaire d'Etat chargé de la Pêche, doit tout à son mentor, Béji Caïd Essebsi. En à peine dix-neuf mois, il a en effet gravi les échelons à une vitesse stupéfiante, passant de secrétaire d'Etat à ministre pour enfin devenir chef de gouvernement.