Le régime semi-parlementaire tel que défini par la Constitution tunisienne est-il en train de perdre son âme au profit d'un présidentialisme outrancier? La question est sur toutes les lèvres depuis le lancement par le président de la République Béji Caïd Essebsi en juin denier d'une initiative pour la formation d'un gouvernement d'union nationale. Le locataire du Palais de Carthage a en effet l'air de concentrer ces derniers temps tous les pouvoirs entre ces mains. Il a parrainé et dirigé le dialogue national qui a déterminé le programme du nouveau cabinet, plus connu sous l'appellation du «Document de Carthage». Il a réussi à révoquer l'ancien Chef du gouvernement Habib Essid qui devenait un peu trop rebelle et insoumis aux diktats du Chef de l'Etat. Il a aussi imposé son candidat au poste de Chef du gouvernement d'union nationale malgré les réticences de l'opposition et de ses alliés au sein de la coalition au pouvoir. Et last but not least, la nouvelle équipe gouvernementale formée par Youssef Chahed est passée come une lettre à la poste à l'Assemblée des représentants du Peuple (ARP). Par ailleurs, tout porte à croire que la nomination de Yousef Chahed à la tête du gouvernement d'union nationale n'est, en réalité, qu'une tentative de restaurer la dominance de Béji Caïd Essebsi et de renforcer sa participation à la prise de décision. Le jeune quadra, qui était un inconnu au bataillon politique jusqu'en février 2015, quand il a été nommé secrétaire d'Etat chargé de la Pêche, doit tout à son mentor, Béji Caïd Essebsi. En à peine dix-neuf mois, il a en effet gravi les échelons à une vitesse stupéfiante, passant de secrétaire d'Etat à ministre pour enfin devenir chef de gouvernement. De plus, ce docteur en agroéconomie, qui a travaillé en tant qu'expert international en agriculture et en politiques agricole auprès du département de l'Agriculture des Etats-Unis et de la Commission européenne, sait bien qu'il restera au pouvoir tant que son «maître» le souhaite. Contourner le régime hybride inscrit dans la Constitution Certains observateurs avertis n'hésitent pas désormais à dire que cinq ans après la révolution, Carthage détient de nouveau le monopole de la décision politique. Cela semble d'autant plus vrai que Béji Caïd Essebsi n'a jamais caché son mépris pour le régime politique hybride inscrit dans la Constitution. Lors d'un entretien accordé en avril dernier à la télévision nationale le président de la République, Béji Caïd Essebsi, avait estimé que le régime politique actuel répartissant le pouvoir entre le législatif et l'exécutif «ne facilite pas les choses sur le plan économique». Le choix du régime semi-parlementaire est le fruit d'un consensus entre les défenseurs du régime parlementaire pur et les partisans du régime présidentiel lors de l'élaboration de la Constitution. Ce régime hybride a été finalement accepté comme étant une solution de compromis par le mouvement Ennahdha, qui était alors majoritaire à l'Assemblée nationale constituante (ANC). Le parti islamiste Ennahdha avait défendu bec et ongles le régime parlementaire dans le cadre d'un calcul électoral étriqué vu qu'il pensait remporter les prochaines législatives et savait ses chances fort réduites pour remporter la présidentielle. Se trouvant face à un régime qui institue exécutif bicéphale et hypothèque ainsi, selon lui, le bon fonctionnement des institutions, le président de la République a ainsi tenté un passage en force pour contourner cet écueil. Ce retour camouflé au régime présidentiel constitue-t-il une première étape vers l'amendement de la Constitution dans le sens d'une révision du régime politique? Selon les experts en droit constitutionnel, cette option est envisageable. D'autant plus que le texte fondamental permet au président lui-même ou au tiers des députés de présenter une initiative dans ce sens. Les chances d'adoption d'un tel amendement ne sont pas minces vu que le mouvement Ennahdha, qui est un allié stratégique de Nidâa Tounes, semble avoir changé le fusil d'épaule. La perspective d'un changement de régime politique a été déjà évoquée récemment par Lotfi Zitoun, un dirigeant du mouvement Ennahdha. «Je suis contre le système actuel fonctionnant avec des moitiés, voire des quarts de chacun. Il nous faudrait un régime entièrement présidentiel ou complètement parlementaire», a suggéré ce proche conseiller du chef historique d'Ennahdha Rached Ghannouchi dans un article publié récemment dans le journal arabophone Al-Chourouk.