Le secteur de la magistrature en Tunisie, vit, en ces temps-ci, une grave crise, voire carrément un blocage qui menace le bon fonctionnement de ses rouages suite aux désaccords profonds entre l'Association des magistrats tunisiens (AMT) et le Syndicat des magistrats tunisiens (SMT) dont les positions sont, souvent, pour ne pas dire, toujours, diamétralement opposées. Et avec l'élection des membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), que l'on croyait salutaire pour l'avenir de la corporation, les clivages n'ont fait que s'accentuer au point qu'on en arrive à une impasse totale, ce qu'on appelle dans le jargon juridique, « la solution impossible ». En effet, le fonctionnement du CSM, à commencer par la tenue de sa première réunion, font l'objet, déjà, d'une grosse polémique dans le sens où pour les uns, cette réunion peut avoir lieu du moment qu'elle peut rassembler, au moins, la moitié des membres selon son règlement intérieur, alors que pour les autres, la composition dudit CSM n'est pas complète à cause de la vacance de quatre postes parmi les principaux. L'AMT estime que le gouvernement doit valider et signer les quatre candidatures pour les postes clés dont notamment celui de premier président de la Cour de Cassation, ce que le chef du gouvernement, Youssef Chahed refuse de faire jusqu'à présent. Le SMT assure, pour sa part, que le Conseil supérieur de la magistrature peut entrer en fonction du moment que ses membres ont prêté serment devant le chef de l'Etat. Quant aux noms proposés par l'Ordre judiciaire provisoire, le président du SMT, Fayçal Bouslimi, affirme qu'ils sont caducs car ce même Ordre judiciaire a une composition incomplète depuis 2013. Le même Bouslimi accuse l'Ordre d'avoir « causé une dégradation de la situation de la justice en Tunisie. «En plus, cet Ordre était une sorte de chambre communicante avec l'Association des magistrats tunisiens, dit-il en substance. Et d'enchaîner que «l'Ordre était la poule qui pond des œufs en or dans le panier de l'AMT. Les postes confortables avaient été accordés aux proches de l'AMT. De notre côté, nous avons dénoncé le fait de proposer des noms car c'est contraire à la loi». Et en définitive, le président du SMT reconnaît qu'une première tentative de réunion avait échoué, le 19 décembre 2019 car il fallait un quorum de deux tiers, mais qu'une nouvelle réunion est programmée le 29 de ce même mois et qu'elle va probablement avoir lieu dans la mesure où le quorum, qui sera uniquement de la moitié des membres, sera atteint. Sauf imprévu. Pour les postes manquant, M. Bouslimi est tout à fait d'accord qu'il faut les pourvoir mais pas forcément avec les personnes, précédemment proposées par l'Ordre provisoire judiciaire, d'où la nécessité de recourir au Tribunal administratif pour trancher la question. Or, la présidente de l'AMT, Raoudha Karafi, ne semble pas l'entendre de la même oreille et estime que la solution consiste à ce que le gouvernement signe les ordres de nomination des magistrats, et s'il ya des réserves, il faut s'adresser au Tribunal administratif. Il n'est pas question que la nomination des magistrats soit imposée par le pouvoir exécutif, conclut-elle. En définitive, on s'aperçoit que les deux parties sont conscientes du blocage mais aucune des deux n'est prête à faire des concessions. Et en tout état de cause, elles sont toutes les deux contraintes d'accepter l'arbitrage du Tribunal administratif. Une responsabilité partagée Pour certains experts la loi de la composition du CSM, est claire, mais le problème de son « intronisation » réside dans la volonté de chaque partie d'avoir le maximum d'atouts en sa faveur, plus précisément de s'approprier la bienveillance du CSM. D'où cette manie que rien ne se fait sans tiraillements politiques et sans lutte de « clans » créant des tensions souvent étouffantes qui ne font qu'entacher le statut des instances constitutionnelles neutres et mettre en doute, avant même qu'elles ne commencent à fonctionner, la probité et l'impartialité des membres qui les composent. C'est donc, ce qui arrive actuellement au CSM qui se trouve, aujourd'hui, dans une situation peu confortable eu égard aux multiples interprétations juridiques dont il fait l'objet. Pourtant, il y a lieu de rappeler que son élection s'est déroulée dans une ambiance démocratique et transparente, et malgré les critiques voyant d'un mauvais œil le succès de magistrats mis sur le compte de l'ancien régime, le CSM promettait, tout de même, de donner un nouveau départ à une situation judiciaire plus glorieuse. Or, selon des juristes indépendants, la responsabilité de ce clivage est partagée. D'un côté, l'ex-président de la Cour de Cassation, qui espérait une prolongation pour continuer à occuper la plus haute fonction judiciaire, prolongation qui ne vint pas, a préféré laissé courir les délais créant un véritable casse-tête juridique, au lieu de sortir par la grande porte. De l'autre, on relève que les propositions de nominations à de hautes fonctions judiciaires de l'Instance provisoire du pouvoir judiciaire ont été gelées par le chef du gouvernement pour des raisons que l'on ignore, un sujet qui aurait mérité une explication de la part du pouvoir exécutif. En tout état de cause, le CSM, élu le 14 novembre et ayant prêté serment un mois après, continue à patauger entre les mailles de l'AMT et du SMT. La première, ayant relativement perdu aux élections, voudrait compenser cette défaite par la prise de certains postes clés dont les titulaires avaient été proposés par l'Ordre judiciaire provisoire qui lui est proche. Quant à la seconde, elle voudrait consolider sa mainmise sur cette nouvelle structure judiciaire. Mais, finalement, le dernier mot reviendra, au Tribunal administratif sachant que l'Union des juges administratifs aurait davantage d'affinités avec le SMT, mais cette Union ne semble pas avoir d'influence décisive sur les juges siégeant au sein de cette instance judiciaire. En définitive, tant qu'il n'y a pas eu un congrès électif réunificateur des magistrats, les clivages seront appelés à persister. Mais tant que l'AMT ne veut pas d'un tel congrès, il ne pourra pas avoir lieu. Pour l'heure, le plus urgent est de sortir de l'impasse dans laquelle se trouve le CSM...