La section de Tunis de l'Ordre national des avocats a décidé de lancer une campagne de lutte contre le phénomène du courtage juridique, une pratique commerciale qui consiste à mettre en relation un avocat avec un client potentiel, contre une rémunération. Dans un communiqué publié, hier, la section présidée par Me Lotfi Larbi a en effet annoncé avoir constitué cinq équipes de travail chargées de traquer cette pratique représentant une atteinte à la déontologie de la profession dans les gouvernorats du Grand Tunis. La pratique du courtage juridique, qui est très courante dans le droit routier et les affaires de droit commun, est totalement illégale. En effet, l'article 23 du décret-loi n° 79-2011 du 20 août 2011 portant organisation de la profession d'avocat stipule qu'il n'est pas permis de cumuler la profession d'avocat avec l'exercice de toute activité commerciale telle que définie par les dispositions du Code de commerce, l'occupation des postes de responsabilité dans les sociétés ou les établissements industriels commerciaux ou financiers de nature à lui conférer la qualité de commerçant et la pratique du courtage et de toute autre profession libérale d'une manière directe ou indirecte. Le courtage (samsara en arabe) est notamment répandu dans les barreaux où le marché est particulièrement concurrentiel et volatil comme celui du Grand Tunis. Ce sont surtout les avocats généralistes traitant de «petites affaires» banalisées, notamment au pénal, qui recourent au service de courtiers autrement dit d'agents mandatés officieusement qui, en violation de la loi, font du racolage et alimentent en clientèle certains avocats, selon une récente étude sur le phénomène publiée par la revue Droit et Société. Le courtier fait précisément référence à une catégorie de personnes utilisées par les avocats pour obtenir des clients en échange d'une partie des honoraires qu'ils perçoivent du client, selon la même source. Il opère une médiation entre deux parties, l'une souhaitant vendre un service juridique et l'autre désirant l'acheter. Le courtier touche une commission versée par l'avocat, le fournisseur du service professionnel, mais n'est aucunement rétribué par le client. Ce dernier ne le voit pas toujours comme un rabatteur. D'après l'étude, on peut distinguer deux formes de courtage juridique. La première forme se déroule la plupart du temps au Palais de justice. Un justiciable, souvent de condition modeste, se rend au tribunal pour se présenter à une audience où le ministère de l'avocat n'est pas obligatoire, pour récupérer la copie d'un jugement ou encore trouver une personne (un écrivain public, par exemple) susceptible de lui rédiger une requête. Il est alors accosté dans l'enceinte ou au voisinage du tribunal par un greffier, un clerc d'avocat ou encore un policier qui se propose de l'aider dans ses démarches et, par conséquent, de lui trouver l'avocat qui convient. Le rabatteur met en contact le client et l'avocat qui a souvent un cabinet proche du tribunal mais qui peut très bien être une espèce d'avocat « ambulant » gravitant dans les cafés entourant le Palais de justice. La deuxième forme de courtage s'inscrit dans un cadre institutionnel qui précède l'interaction et la transaction entre le courtier et le justiciable, puis entre l'avocat et le justiciable. Dans cette forme, le rabatteur occupe une fonction au sein de l'institution (la prison, l'hôpital, le commissariat de police, le tribunal, douanes, directions des affaires foncières etc...) et peut exercer sur le client une forte pression morale, voire physique. Le courtage juridique qui est souvent évoqué par les avocats concerne particulièrement les agents de police et de douanes. La nouvelle version de l'article 13 du Code des procédures pénales adoptée le 2 février 2016 à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) permet en effet à l'avocat d'être présent et d'assister son client auprès des commissariats de police, des gendarmeries ou de douanes. Un texte législatif , qui prévoit des sanctions pouvant aller jusqu'à la prison ferme contre les avocats qui pratiquent le courtage, existe. Il n'est cependant pratiquement pas appliqué. Le décret-loi n° 79-2011 du 20 août 2011 portant organisation de la profession d'avocat stipule, quant à lui, la traduction d'avocats qui recourt aux services d'un courtier devant le conseil de discipline. Les sanctions varient dans ce cadre du simple blâme à l'interdiction d'exercice de la profession vu que le phénomène du courtage juridique constitue une violation du principe de l'égalité des chances et une atteinte droit au travail.