Mercredi dernier est un jour à marquer d'une pierre blanche, ou plutôt noire, pour l'histoire de la télévision tunisienne, du moins pour les chaînes privées, les deux ronronnantes chaînes nationales ne nous réservant que très peu de surprises au fil du temps. Comment décrire ce qui s'est passé ce fameux soir et comment qualifier le contenu proposé aux Tunisiens par des pseudos chroniqueurs télévisés sinon d'abject, de misogyne et d'humiliant pour toutes les femmes tunisiennes ? Au programme du mercredi soir sur les chaînes tunisiennes les plus populaires, du divertissement, des clowneries et du buzz à gogo. «Oumour Jeddia» d'un côté, «L'émission» de l'autre, un vrai choc des titans côté audimat mais côté contenu, on ne peut tomber plus bas, du moins pour certains chroniqueurs qui se croient drôles et amusants. Pourtant, certains autres chroniqueurs sont des valeurs sures du monde des arts et de la culture. Mais il est apparemment de bon ton de mélanger l'or et le laiton. Mais si les pitreries et autres blagues douteuses des uns et des autres semblaient jusque là inoffensives, un «sketch», diffusé mercredi dernier dans «Oumour jeddia» a franchi la ligne rouge et en a choqué plus d'un! On y voit deux hommes, interprétés par les humoristes Herissi et Gharbi, vêtus de dengris et incarnant deux garnements issus d'un quartier populaire. L'un demande la main de la fille de l'autre. Le père lui demande de se présenter et le brigand lui dresse la liste de ses crimes et délits: viols, détournements, agressions... La liste est longue et il s'en félicite, suscitant l'admiration du paternel qui répond qu'il veut être rassuré sur l'avenir de sa fille et qu'il veut donc qu'elle soit traitée avec... irrespect. «Je veux que tu la maltraites et que tu l'utilises comme une serpillère sous tes pieds», lui assènera-t-il. S'ensuivent alors, pendant d'interminables minutes, des expressions misogynes aussi dégradantes les unes que les autres, dans un appel flagrant à la violence et à la maltraitance des femmes. On entendra donc le futur gendre affirmer au père: «Ta fille est une ânesse. Je la priverai de tout. Elle sera traitée comme une chienne. Je la frapperai tellement fort et souvent que le sang giclera de son visage. Je la priverai de sortie.» Appréciant ces propos, le père rappliquera: « J'espère que tous vos enfants seront illégitimes et de mauvaises graines.» Abject, voici ce dont on pourrait qualifier ce «sketch» censé faire rire mais qui donne plutôt envie de pleurer ou encore de crier de rage contre autant de médiocrité, de bassesse, de haine envers les femmes et de violence. Ce n'est que de l'humour affirmeront certains. Oui, mais peut-on rire de tout, surtout quand 41.2% des femmes tunisiennes disent avoir subi des violences physiques et que la plupart des cas sont recensés en milieu familial? Peut-on se permettre un tel déballage d'obscénités, de propos vulgaires et d'agressivité quand 93% des enfants, âgés entre 2 et 14 ans, ont été soumis au moins une fois dans leur vie à une punition psychologique ou physique et que dans la majorité des cas, le père est à l'origine des violences ? Apparemment oui, cela est permis et toléré puisque peu de voix se sont élevées jusque là pour dénoncer cette horreur et que la HAICA, haute autorité pourtant si réactive et expéditive dans certains cas, ne semble pas s'offusquer de ces agissements et ne voit aucun intérêt à les condamner. Pourtant, des citoyens ont porté plainte sur le site officiel de l'organisme et une pétition a été signée par de très nombreux téléspectateurs, choqués par une telle banalisation de la violence. Quant à la chaîne Attessia et son «Emission », le buzz a encore une fois été au rendez-vous grâce à l'une des chroniqueuses de service qui ne fait qu'alimenter le débat, creux cela va sans dire, à chaque fois qu'elle parle. D'une arrogance sans pareil, elle passe son temps à fanfaronner et à pavoiser, évoquant sa richesse immense et ses amis célèbres. Mercredi dernier, commentant les pas de danse du chorégraphe Rochdi Belgasmi, elle déclare avec dégoût : « Je n'aime pas du tout. Un homme qui fait vibrer son bassin comme une femme, c'est dégueulasse. Ce n'est pas classe. C'est la danse de là-bas, de je ne sais d'où », effectuant de son bras un geste pour désigner l'éloignement, comprenez donc les régions de l'intérieur. Pour cette chroniqueuse qui n'était il y a quelques mois qu'une illustre inconnue, la danse, la musique et peut-être même les gens de « là-bas » sont apparemment répugnants. Un programme de divertissement n'est certainement pas destiné à éduquer ni à affiner les goûts et encore moins à plaire à tous. Mais il y a une différence énorme entre amuser la galerie et bafouer toutes les règles du respect et de l'éthique, stigmatiser des régions et inciter aussi explicitement à la violence, sous couvert d'humour et de liberté d'opinion. Et c'est là qu'on reconnaît un humoriste d'un pitre et un intellectuel d'un ignare.