La Tunisie va connaître, toujours au 19e siècle, une troisième sorte de théâtre de marionnettes : l'Opera dei Pupi, dont les protagonistes sont des marionnettes à fil, venues tout droit d'Italie, à travers l'immigration en masse de Siciliens, qui ont gardé cette tradition chère à leur île. Toujours selon Raoul Darmon, «Tunis a eu jusqu'à trois de ces petits théâtres à la fois : celui de la rue des Potiers, transféré en dernier lieu rue des Teinturiers, dirigé par Don Roccia ; celui de la rue des Salines qui a emménagé en dernier lieu rue de l'Hiver au faubourg Bab-Djedid ; et un troisième dans le quartier de la Petite Sicile (…)» Le langage utilisé était aussi bien le sicilien que l'arabe, et selon l'endroit où le spectacle était représenté. Ainsi, les pupi étaient loués à des «marionnettistes» tunisiens qui offraient de courtes scènes en langue arabe, notamment pendant les nuits ramadanesques à la place Halfaouine , avec des personnages comme Nina, N'coula, et Ismaël Pacha, Abderrazak et Messaoud. C'est au milieu des années 30 que l'opera dei pupi dans sa version tunisienne, perdit peu à peu grâce auprès du public. Dans son livre «Les marionnettes en Tunisie : la mémoire et la trace», HabibaJendoubi présente d'autres marionnettes tunisiennes. Il y a d'abord OmmokTangou, «poupée de chiffon ou grande armature en bois en forme de croix habillée par des morceaux de tissu colorés». En saison sèche, les enfants la promenaient entre les maisons en chantant pour demander à Dieu la pluie. Chaque maîtresse de maison versait alors un peu d'eau sur la statuette. Puis, on trouve «Bou Saâdia», qui est en fait un personnage mi-marionnettemi-humain, appartenant au rite du stambéli de la communauté noire de Tunisie, «portant un masque de cuir qui ne laisse apparaître que les yeux, un haut bonnet conique très pointue en alfa orné de bouts de verres miroitants, une longue robe couverte de haillons, de couleur hétéroclite coupée en lanières cousues en bandelettes pendantes». Qu'en est-il aujourd'hui ? Même si elle n'a plus réellement de spécificité puisqu'elle ressemble à n'importe quelle autre marionnette à travers le monde, qu'elle soit à gaine, à gaine bouche animée, à fils, à tige, à contrôle, à tringle, de type marotte, etc., la marionnette en Tunisie s'est imposée auprès des enfants, laissant les adultes quelque peu de côté. La présence et, surtout, la survie de la marionnette sont le résultat de plusieurs initiatives. La première est la création, en 1968, de l'OTEMA (Organisation du Théâtre pour Enfants et du Théâtre de Marionnettes) sous l'impulsion de deux personnes, à savoir Moncef Besbes et Béchir Attia. «Cette première institution joua un rôle important dans la formation de marionnettistes et dans la diffusion de spectacles pour enfants». C'est en 1976 que la marionnette en Tunisie sera reconnue comme un art à part entière puisque le ministère des Affaires culturelles décida de la création d'une compagnie subventionnée, la «Troupe de Marionnettes de Tunis» placée sous la responsabilité, tout d'abord, de RachedManaï, et composée de dix membres, neuf hommes et une femme, à savoir HabibaJendoubi qui créa sa troupe de marionnettes «Domia». la «Troupe de Marionnettes de Tunis» a «œuvré pour imposer l'art de la marionnette comme un outil culturel, éducationnel et de loisir capable de jouer un rôle de premier ordre dans l'éducation artistique de la jeunesse». Les efforts fournis par cette troupe a permis, le 27 mars 1993, la naissance du Centre National des Arts de la Marionnette (CNAM), qui fête, donc, ses 25 ans cette année. Côté formation académique, il faudra attendre 2008/2009 pour voir la création d'une filière «Marionnettes» à l'Institut Supérieur d'Art Dramatique de Tunis, sanctionnée par unelicence appliquée en théâtre et des art du spectacle : spécialité «arts de la marionnette». Les trois premières promotions se sont déroulées entre 2006 et 2012, et 21 jeunes étudiants ont obtenu leur licence. Cette licence a été arrêtée durant un an pour réflexions et remise en question et a repris en 2013 avec six étudiants. En 2018, seuls cinq étudiants suivaient cette licence. La Tunisie se retrouve donc avec à peine une centaine de marionnettistes professionnels, anciens et jeunes, environ cinq ou six compagnies qui ne font que des spectacles de marionnettes, et seulement une vingtaine de spectacles de marionnettes par an. Actuellement, le théâtre des arts de la marionnette en Tunisie s'adresse plus spécifiquement aux enfants avec, parfois, des textes trop denses. Le théâtre vit présentement une période d'émergence, de réflexion, surtout sur les formes, poussant les créateurs de spectacles à remettre en question leurs pratiques habituelles pour offrir de nouveaux horizons aux marionnettes tunisiennes. Les spectacles de marionnettes pour adultes sont encore rares. Il y a eu à la télé tunisienne, en 2009, «Les Guignols», émission très vite retirée pour cause politique. Il faudra attendre après la révolution, et surtout 2014, pour voir des volontés artistes s'intéresser à la création de spectacles d'arts de la marionnette pour adultes, comme «Glaise» de HabibaJendoubi, où l'on trouve un croisement entre la manipulation de matière et la danse, ou encore «Dans la tempête» une adaptation du Roi Lear par Hassen Mouadhen.