Une étude de la HAICA et du CSA belge révèle que les stéréotypes ont la peau dure dans le monde des fictions télévisuelles. Une analyse empirique permet de les traquer et pose la question cruciale: comment remédier à cet état de fait qui perdure? Chartes professionnelles, recommandations pratiques et renforcement des partenariats contribuent à lever quelques uns de ces écueils qui polluent l'image des femmes et les placent en décalage avec la réalité. C'est dans le cadre d'un projet de coopération internationale entre la Tunisie et la Fédération Wallonie-Bruxelles que le Conseil supérieur de l'audiovisuel belge (CSA) a réalisé en partenariat avec la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) une recherche relative à la place et à la représentation des femmes dans les médias audiovisuels belges et tunisiens. Un lexique haineux récurrent contre la femme Sur la base d'une analyse de contenu d'un corpus médiatique et d'un examen du cadre législatif, il s'est agi dans ce travail d'identifier des problématiques spécifiques mais aussi transversales. L'objectif était également de réfléchir à des champs de développement possibles d'actions destinées à améliorer la place et la représentation des femmes dans les médias. Cette étude participe de façon originale à la recherche de régulations potentielles par deux instances régulatrices agissant chacune dans un paysage audiovisuel particulier. A la base, cette étude vise à dégager les clichés et les stéréotypes basés sur le genre, afin de sensibiliser les professionnels de la télévision et du cinéma au rôle des médias dans la production de valeurs et la construction de l'imaginaire collectif de la société. Cinq feuilletons tunisiens diffusés par quatre chaînes (dont une publique et trois privées) ont constitué le corpus étudié. Ce corpus de plus de 68 heures a été analysé selon une grille empirique répondant à plusieurs paramètres. Les oeuvres choisies sont "Awled Moufida", "Hikayet Tounissia", "Leylet Echek", "Al risk" et "Naouret el hawa". Ces feuilletons avaient été diffusés durant le mois de Ramadan 2015. Côté belge, le corpus comprenait huit fictions à épisodes coproduites par la Radio Télévision belge francophone pour un total de près de 43 heures. L'analyse croisée de ces séries a par exemple révélé un lexique haineux récurrent contre la femme. Avec trois injures par heure en moyenne à l'encontre des femmes, ce lexique comporte aussi bien des termes offensant pour la morale et le physique des femmes que des menaces de violence ou encore un lexique offensant les facultés mentales de femmes. Prédominance masculine dans les tâches de haute technicité De plus, l'analyse révèle la présence de nombreux clichés comme par exemple celui de la prédominance masculine dans les tâches de haute technicité. En effet, la participation des femmes est minorée dans ces oeuvres de fiction télévisuelle et elles sont par exemple omniprésentes pour le script mais quasiment absentes en termes de réalisation ou de production. Bien entendu, ces remarques ne concernent que l'échantillon choisi pour l'enquête mais il est intéressant de souligner qu'elles concernent surtout le monde de la télévision. En effet, dans le domaine du cinéma, réalisatrices et productrices sont nombreuses et performantes. Par ailleurs, l'analyse présente quelques points éloquents en ce qui concerne le travail. Ainsi, les personnages féminins sont souvent présentés (48,85% des situations) en train de s'occuper de leurs affaires personnelles alors qu'elles sont au travail. C'est un stéréotype accompagné par une surreprésentation des femmes dans la situation de veuve ou de divorcée. De plus, dans certains feuilletons tunisiens, la présence des femmes dans l'espace professionnel est nulle alors que toutes les fictions occultent le problème des femmes rurales. Ceci démontre qu'il existe un écart profond entre la réalité et l'image des femmes telle que véhiculée dans ces séries. L'analyse va plus loin et démontre que des clichés à la peau dure sont instillés par ces séries. Par exemple, dans 40% des épisodes, les personnages féminins sont perçus comme auteurs d'acte répréhensibles. Plus latent, les personnages féminins sont introduits alors qu'ils subissent les violences physiques et verbales de leur conjoint et sont en général assujettis à la division traditionnelle des rôles sociaux. La Haica et le principe de non-discrimination à l'égard des femmes Lorsqu'elles sont cultivées et agissantes, les femmes qui occupent de hauts postes sont placées hors du contexte de leur profession. Plus trouble, il est induit que la clé de leur réussite n'est pas le résultat de leur compétence mais plutôt celui du recours à des moyens détournés. Des allusions parfois perfides et assassines parsèment ainsi les scénarios de nos séries qui mettent systématiquement les femmes en état de faiblesse. Le rapport arrive à la conclusion que l'image des femmes véhiculée par les feuilletons est en retrait par rapport à la modernité, ce qui d'ailleurs relève de l'évidence empirique. Pour remédier à cette situation, notons que la HAICA a produit une charte qui porte sur le principe de non discrimination à l'égard des femmes et la lutte contre les stéréotypes. Par contre, un regard sur les séries belges offre une toute autre réalité. Dans ce cas, on a une présence féminine relativement importante dans les positions clés du récit avec 60% des personnages principaux qui sont des femmes. Toutefois, les configurations ambivalentes subsistent ainsi qu'une action pour les résorber grâce à un travail de régulation. Ce qui nous mène vers les objectifs pratiques de cette étude. En effet, cette recherche ouvre la voie à des champs de développement d'actions régulatoires à prendre par les deux institutions qui ont piloté ce projet qui a aussi le mérite de sortir ce type de recherches de l'enceinte strictement académique. La coopération se poursuit à l'heure actuelle entre le CSA belge et la HAICA tunisienne pour consolider les échanges d'expériences et d'expertise.