Il y a deux ans et demi, pour le premier match de préparation d'avant saison, un jeune garçon, fraîchement débarqué au Stade Tunisien, a failli mourir en avalant sa langue suite à un télescopage spectaculaire avec un rival. La rencontre a été arrêtée, tout le monde pensait que l'irréparable allait survenir. Heureusement pour le joueur, pour sa famille et son club, l'accident a été évité de justesse, mais il devait rester en observation quelques jours dans une clinique privée, le temps de se remettre bien sur ses jambes. Emir Akrout se souvient de ce fait marquant comme si c'était hier : « je n'oublierai jamais cet évènement. Je venais à peine de débarquer au Bardo. Cet incident, qui a failli me coûter la vie, m'a fait découvrir la bonté des Stadistes, leur chaleur humaine, leur soutien, et encore aujourd'hui j'en suis reconnaissant. Au cours de match amical contre un club algérien, j'ai été brutalisé sur la tête et j'ai perdu connaissance. En tombant par terre, j'ai avalé ma langue. En me réveillant dans une clinique, j'ai tout appris. » Depuis, ce jeune joueur a fait un bon bout de chemin. La première saison a été difficile, car son nouveau club a flirté avec le purgatoire. La deuxième aura été en dents de scie, mais ledit joueur était un peu sorti de sa coquille. Dans de bonnes conditions, il pouvait faire mal à n'importe qui. Au cours de la troisième saison, le départ ne fut pas celui que tout monde escomptait. Une kyrielle de mauvais résultats a failli jeter le club dans les abîmes, mais un sursaut d'orgueil des membres de la grande famille stadiste a très vite remis les pendules à l'heure. Cela n'était qu'un simple accident de parcours dont le club en est sorti plus fort. « Beaucoup d'erreurs ont été commises, et nous les avons payées cher. Rien ne sert aujourd'hui d'y revenir, car les remèdes ont été trouvés. L'idée que mon club ne vise rien d'autre que le maintien, comme se plaisent à le répéter ironiquement quelques mauvaises langues, a aujourd'hui vécu. Les mêmes personnes reconnaissent aujourd'hui que mon club peut viser les hauteurs du classement. Je mentirais si je vous disais qu'on joue encore pour le maintien, puisqu'il est quasiment acquis, même si sur le plan mathématique, on doit patienter encore un peu. Sans les points que nous avons perdus un peu stupidement, notre rang aurait été dans le sillage des postulants logiques au podium. De toutes les façons, nous comptons tout faire pour grimper le plus haut possible. La route est encore longue, et rien n'est encore joué. » Depuis les changements survenus au club, la situation s'est beaucoup optimisée, et cette équipe, très vite enterrée par certains, a su renaître de ses cendres et renverser la vapeur. Elle est allée causer des dégâts là où celui qui sort indemne de la trappe considère que le point qu'il a récolté a un goût plus que sucré. Remis sur de bons rails, le ST a engrangé des résultats autant surprenants qu'exceptionnels. Celui qui va damer le pion à l'Etoile à Sousse même, a bien du sang dans les veines. Les victoires glanées à Béja, ou à Gabès, sont de vrais indices de la valeur, constamment en hausse, de cette équipe stadiste. On ignore les raisons, mais il semble qu'un petit grain de sable se soit glissé dans le mécanisme, d'où les deux matchs nuls enregistrés, coup sur coup, lors des deux dernières rondes. Toutefois, aux yeux de bon nombre de Stadistes leur coqueluche frappe toujours, depuis qu'il a débloqué ses compteurs. « Croyez- moi, j'aurais souhaité rester muet, mais que mon club gagne les deux matchs auxquels vous faites allusion. Nous aurions pu aspirer à un meilleur sort, mais quand on vendange les occasions franches qu'on se procure, on le paye cash. De toutes les façons, il ne faut pas s'inquiéter outre mesure, nous avons de quoi rebondir, et sachez que nous ferons tout pour mieux rebondir. C'est dans notre mental que cela se passe. L'enchaînement des résultats positifs nous a peut-être un peu surpris, mais nous allons y remédier. » Nul doute que Emir Akrout est train de prendre plus d'ampleur et d'épaisseur sur la scène nationale. Ces derniers temps il est un peu marqué par la déception relative à sa non-convocation en équipe nationale, mais pour lui la vie ne s'arrête pas là. « Je m'attendais à un petit signal de la part du staff technique national, en vain ! Que l'on soit clair, je ne suis pas prétentieux ou vaniteux pour prétendre tout droit à une place de titulaire, mais, en toute sincérité, j'estime que je mérite au moins d'être retenu dans le groupe, qu'on me donne une chance, et après on verra bien. L'ambition de porter le maillot national, qui reste un grand honneur, est légitime chez tout sportif. Cela ne s'est pas fait. J'en suis touché, mais la roue ne s'arrêtera pas de tourner. A défaut, je me consacrerai à mon club, où je dois travailler et m'appliquer encore plus. L'équipe nationale et moi ?... C'est une question de temps. En bon sportif, je saisis cette occasion pour souhaiter à nos représentants un bon parcours, le meilleur des parcours. » Reste à savoir si le ST pourra résister aux charges des plus grands clubs du pays et de quelques-uns d'Europe, qui sont en train de se bousculer ces derniers temps, même si actuellement, on imagine mal son club s'en séparer. « Au jour d'aujourd'hui, je ne peux pas décider seul de mon avenir. Bien entendu, le fait de figurer sur les tablettes des recruteurs est très flatteur, mais je dois être un peu patient. Ce n'est pas parce que l'on s'intéresse à moi, que je vais brûler les étapes. Les exemples des joueurs qui ont été « grillé » en cours de route, ne se comptent pas. En ce qui me concerne, je dois garder bien la tête sur les épaules, continuer à apprendre, étant encore jeune et, lorsque je juge que mon heure est venue, je ne raterai pas l'aubaine. Et puis, j'aime tellement ce club (le ST), et je ne compte jamais me dessaisir de son maillot sans avoir marqué de lettres d'or mon nom. C'est le club qui m'a tout appris, et qui m'a tout donné. Vous voyez ce que je veux dire ! » Demain après-midi, un derby attend le Stade Tunisien, un match qui aura valeur de test grandeur nature pour Akrout et ses camarades. Le club du Bardo est bien calé au ventre mou du classement. Ce renouveau, cette solidité, il les doit non seulement à un collectif désormais bien rôdé, puisque les joueurs, évoluant ensemble depuis belle lurette, ont appris à se connaître, la stabilité est l'un des points forts stadistes, mais aussi des individualités de haut niveau. Trois joueurs sont au-dessus du lot : Naouali, Zaâïri et Denisio, qui n'ont rien à envier à personne, pas plus que cette nouvelle coqueluche stadiste, Emir Akrout, de plus en plus à l'aise dans son rôle de perforateur des défenses. A peine la formule « bête noire » a-t-elle été prononcée à propos du CA, qu'il s'est révolté : « je n'aime vraiment pas ces expressions, car le football n'a jamais été une science exacte. Il y a une explication à tout. Ce genre de match se joue à très peu de choses. Nous ne sommes pas situés à la place que nous occupons par pur hasard, et nous avons l'intention, comme je vous l'ai déjà dit, de progresser encore plus. La qualité de jeu que nous déployons et assez intéressante et je suis convaincu que nous pouvons faire mieux. Mes amis et moi, nous démarquons de tout pronostic teinté de pessimisme. L'histoire de la bête noire, on n'y croit pas. Il n'y a que les faibles, ceux qui manquent de confiance en eux-mêmes, qui adoptent cette attitude de résignation. Face au CA, comme face à n'importe quel autre club, les clés de la réussite seront les mêmes, une défense de fer et une exploitation du moindre espace, de la moindre opportunité pour la convertir en but. J'espère surtout que nous serons au top de notre concentration. Le Stade Tunisien d'aujourd'hui regarde aux yeux des rivaux, sans en avoir peur. De toutes les façons, nous comptons, club et supporters, fêter au mieux, et un peu à l'avance, le nouvel an. » Vous devez avoir constaté que le club de la banlieue du Bardo abordera ce match avec l'ambition légitime d'empocher les trois points du succès et que ce jeune talent qui monte, Emir Akrout, buteur prenant au fil des journées du galon, est aussi un communicateur doué. Propos recueillis par Mohamed Ali EZZINE
