Le port de Marseille, dans les années vingt. Marius, le fils de César, patron du bar de la Marine, est partagé entre son amour pour Fanny la petite marchande de coquillages, et son désir de prendre la mer, de parcourir le monde... Lorsque Marcel Pagnol, en 1929, fait représenter Marius sur une scène parisienne, sans doute ne se doute-t-il pas que ses personnages deviendront aussi célèbres qu'Harpagon ou monsieur Jourdain. Deux ans plus tard, Pagnol et Alexander Korda en tirent un film, Raimu, Charpin, Orane Demazis, Pierre Fresnay reprennent leurs rôles, et la pellicule les immortalise. Ils feront le tour de la terre.... Marcel Pagnol en écrivant cette pièce ne se doutait peut-être pas de l'influence qu'elle aurait, ni de ce qu'elle représenterait bien des années plus tard à nos yeux nostalgiques. Elle est devenue, aussi en raison de son adaptation cinématographique, un référent culturel obligé pour qui s'intéresse un minimum à la ville de Marseille et aux Marseillais. Bien sûr, cette ville de Marseille qu'il nous chante n'existe plus en tant que telle, bien sûr il y a de la grosse caricature, bien sûr ce n'est qu'une comédie, bien sûr le poids des années se fait sentir, bien sûr, bien sûr ; mais ça joue tellement juste, c'est tellement bien senti, c'est tellement affectueux, ça puise tellement son jus de la substance même des Marseillais, que " la trilogie marseillaise " dont c'est ici le premier opus, mérite amplement le statut de patrimoine régional (et national — et mondial même ! — dirait César qui parle sans parti pris) à préserver pour les générations futures. La fameuse partie de carte d'anthologie en est le point d'orgue. On parle toujours de la verve de Raimu, mais la verve de Raimu, c'est la verve de Pagnol, qu'on ne l'oublie pas. Bref, un vrai petit bonheur régional comme chaque région devrait pouvoir nous en apporter, mais le problème, c'est que toutes les régions n'ont pas leur Maupassant ou leur Pagnol... Pour ceux qui aiment le régionalisme américain, et dans une période à peu près contemporaine, je crois que Marius est un peu une manière de Tortilla Flat à la française. L'histoire : dans les années 1920, sur le vieux port de Marseille, Marius, le fils d'un cafetier, le truculent César, a des fourmis dans les jambes et rêve de s'embarquer pour un voyage autour du monde. La jeune et jolie Fanny en est amoureuse et l'on peut dire que la réciproque est vraie, aussi cherche-t-elle à le faire bisquer en lui faisant croire qu'elle acceptera les avances d'un riche commerçant qui pourrait être son père. Les amourettes de leur progéniture respective sont sources d'émois chez César, père de Marius et Honorine, mère de Fanny. Des répliques savoureuses à gogo, tout l'esprit et la gouaille d'une époque, un vrai patrimoine français à ne surtout pas enterrer, mais, cela va sans dire, ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose. POURQUOI LIRE PAGNOL ? « Tu me fends le cœur ! » Qui donc n'a jamais entendu cette réplique de César au cours d'une fameuse partie de cartes ? C'est d'abord pour ses films que Marcel Pagnol est connu. Pourtant, avant ses succès cinématographiques, qui lui valurent un César d'honneur posthume pour l'ensemble de sa carrière, Marcel Pagnol écrivit d'abord quelques poèmes dans sa jeunesse, qu'il publia dans la revue littéraire qu'il avait fondée. Puis il devint professeur et, dans le même temps, auteur dramatique. Eloigné par son travail de son Sud natal, c'est dans l'amour pour sa région qu'il puisa l'inspiration de ses pièces les plus célèbres comme Topaze et Marius. Marcel Pagnol était un extraordinaire créateur de caractères, et affirmait d'ailleurs : « Si j'avais été peintre, je n'aurais fait que des portraits. » Topaze, naïf floué devenu malhonnête pour le meilleur, est un parfait exemple de ce talent pour camper des personnages incarnant des types sans perdre de leur vie. À l'opposé de Feydeau, chez qui chaque scène est un pas nécessaire dans l'avancée de la trame narrative, Pagnol prend le temps d'installer ses personnages dans un cercle familial, dans un cadre amical et professionnel, au cours de scènes qui ne font pas progresser l'intrigue. Pourtant, ce sont souvent celles que les spectateurs retiennent, tant les dialogues en sont ciselés et révélateurs de la personnalité des protagonistes. Curieux de tout, Marcel Pagnol se révéla profondément moderne en saisissant la chance que lui offrit la Paramount d'écrire pour le cinéma, qui représentait une opportunité d'élargir le retentissement de ses œuvres. De ce nouveau moyen d'expression, il fit le centre de ses activités, d'abord comme auteur puis réalisateur et producteur. Proche des comédiens et des techniciens, il tenait à l'ambiance familiale et joyeuse des plateaux de tournage, jouant à la pétanque entre deux scènes, mais aussi allant jusqu'à acheter un domaine et se convertir en cultivateur d'œillets pour sauver ses employés du STO. À la fois créateur et théoricien, Marcel Pagnol fonda Les Cahiers du film, une revue qui lui permettait d'exprimer sa conception du cinéma à une époque où le septième art connaissait une expansion phénoménale. Néanmoins, il finit par abandonner cette carrière dès que les nouvelles contraintes de ce média bridèrent sa liberté créatrice. Il revint alors au théâtre pour quelques pièces dont un Judas osé et novateur. Mais il renonça finalement aussi bien aux planches qu'aux caméras. « Quand je revois la longue série de personnages que j'ai joués dans ma vie, je me demande qui je suis... » disait Marcel Pagnol ; or c'est en écrivant ses souvenirs personnels qu'il révéla toute l'ampleur de son talent. Les Souvenirs d'enfance, empreints de tendresse pour sa famille et pour les paysages de la campagne aubagnaise, mirent en lumière ses talents de conteur, son goût pour les descriptions malicieuses, son style savoureux et imagé. Figure emblématique du Sud, mais pas seulement, Marcel Pagnol a prouvé que l'attachement à ses racines n'empêchait pas de toucher le plus grand nombre. Il est aujourd'hui un auteur incontournable, souvent étudié dans les écoles, dont plus de cent cinquante en France portent son nom. LE SAVIEZ-VOUS ? Marcel Pagnol écrivait toujours deux œuvres à la fois. Par exemple, Topaze et Marius ont été rédigés en même temps. En cherchant un lieu propice à la création d'une « Cité du cinéma », il achète en 1941 le château de la Buzine, sans l'avoir visité. Il découvre ensuite avec stupeur qu'il s'agit du « château de l'effroi», un lieu marquant de son enfance évoqué dans Le Château de ma mère. Contraint par la guerre à vendre ses studios à la Gaumont, Marcel Pagnol évite le STO à tous ses techniciens en les embauchant au domaine de l'Etoile, à La Gaude, pour se lancer dans « la culture intensive d'œillets». Ce qui fait dire à Raimu: «Si Marcel devient fleuriste, alors moi, je n'ai plus qu'à aller vendre des rascasses ! » Passionné de sciences, il inventa des machines comme des pompes à eau et déposa le brevet d'un « boulon indéboulonnable ». Il conçut aussi une voiture, « la Topazette ». En plus de la pétanque, loisir cher à son Sud natal, Marcel Pagnol excellait au bilboquet.