On appelle Hamdi Benani «l'Ange blanc » à cause de la couleur de son violon, mais on pourrait aussi attribuer son surnom à la pureté de sa voix ou à son pacifisme. Il est l'un des plus grands ambassadeurs du malouf d'Annaba, sa ville natale de l'est de l'Algérie. Grand porteur d'une musique savante transmise par tradition orale, il propose une forte signature et sa façon bien à lui de modifier certains codes traditionnels. Il s'amène au Corona dimanche soir. Introduction très sommaire : le malouf est la musique arabo-andalouse de la Tunisie et de l'est de l'Algérie : un grand genre qui offre une synthèse entre différentes traditions maghrébines et des influences orientales et andalouses ; une musique qui est née des migrations des Arabes après la reconquête de l'Espagne par les chrétiens et la chute de Grenade, en 1492. « Chez nous, la musique andalouse englobe trois styles, ceux de l'Ouest, du Centre et de l'Est. Ce dernier s'appelle le malouf algérien et il est très proche de celui que l'on retrouve en Tunisie. Je me suis spécialisé dans ce style. Il est plus vivant que les autres styles arabo-andalous de l'Algérie », explique Hamdi Benani. Lorsqu'il se livre à des interprétations fidèles à la formule traditionnelle, Hamdi Benani obéit à des règles précises, en commençant par une intro sans paroles suivie d'un prélude et de l'exposition d'instruments comme l'oud ou le violon. Il lance alors la mélopée, qui devient de plus en plus puissante au fur et à mesure que le rythme s'accélère par phases et que l'intensité de l'extase, nommée tarab, augmente. Les finales peuvent parfois provoquer jusqu'à la transe. « Vous allez voir, à Montréal : quand je vais commencer à jouer le dernier mouvement d'une chanson, certains vont s'éclater et il y en a qui vont tomber, prédit le grand chanteur violoniste. On guérit des gens avec cette musique. » Dimanche soir, Hamdi Benani se présentera en formation de base avec violon, percussions, flûte, guitare et mandole. Il chantera l'amour courtois et les poésies de la nature, invoquera quelques saints et adaptera quelque peu la forme traditionnelle en réduisant ses suites de pièces nommées noubas à seulement une vingtaine de minutes. Il reprendra aussi, en arabe, des intonations du flamenco. Il dit avoir introduit le genre dans le malouf. moderniser le malouf L'Ange blanc a, ainsi, rejoint le ciel laissant derrière lui d'innombrables proches et fans inconsolables. Il a été enterré hier après-midi, au cimetière familial de Sidi Aissa, au piedmont de l'Edough. Né à Annaba le 1er janvier 1943, ce chanteur, hors du commun, a inscrit l'histoire du malouf annabi en lettres d'or. «Ici même, dans notre ville de Annaba, dite ‘‘la coquette'' à l'époque, je ne puis oublier ce jour d'un certain août 1959 où, à l'occasion d'un radiocrochet, accompagné de l'orchestre bônois Abanera, j'ai obtenu le premier prix en interprétant une chanson d'Eddy Constantine, portant le titre Je suis un sentimental», avait déclaré Hamdi Benani, en décembre 2018, lors de la cérémonie de sa décoration de l'Ordre des arts et des lettres, au grade d'officier, par Xavier Driencourt, l'ancien ambassadeur de France en Algérie. Et d'abonder : «Depuis plus d'un demi-siècle, je chante pour la paix, pour l'amour et pour le bien de l'humanité.» Encouragé, en effet, par son oncle, un musicien du défunt maître Ahmed El Kourd, il est devenu l'ambassadeur de la chanson malouf de l'Est algérien, au Maghreb et dans le monde. Cet artiste, pas comme les autres, est aussi un amoureux de la chanson française. Avec la couleur de son violon blanc, il est devenu l'Ange blanc. Connu ici et ailleurs, il a parcouru les scènes d'Algérie et au-delà en chantant l'amour et la paix. Depuis près de 60 ans, il n'avait pas cessé d'interpréter et moderniser le malouf et n'avait jamais eu peur de se confronter à d'autres musiques dans le monde. Il a bousculé les dogmes de la musique malouf, en introduisant, dans les années 1970, la batterie, la basse et la guitare électrique. Une véritable révolution du malouf algérien, dont le mérite de son expansion revient en grande partie à cet infatigable artiste. Sa dernière tournée avec le groupe électrique Speed Caravane illustre sa modernité et son ouverture d'esprit, rares dans le milieu des puristes. Il était confronté à d'autres grands artistes et avait même chanté devant des chefs d'Etat en Algérie. A ce titre, il a été décoré par Abdelaziz Bouteflika. Unique dans son genre, Benani avait même suscité la curiosité des écrivains et poète, dont Kamel Derdour. En mai 2010, ce poète annabi lui avait consacré un ouvrage. Intitulé Un ange blanc dans un ciel bleu ou la vie en rose, ce livre évoque l'itinéraire professionnel de Hamdi Benani et sa contribution à la promotion du malouf dans la ville de Saint-Augustin, d'El Ghriba ou de Sidi Bou Merouane. Quel regard pose-t-il sur le 50e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie ? « Oh, vous savez. Moi, on m'appelle Hamdi Benani le chanteur de la paix. J'ai toujours oeuvré dans ce sens et j'ai même créé la pièce On est resté des amis, qui parle d'indépendance et de réconciliation en français et en arabe. C'est une bonne période pour la paix. Nous, les Algériens, on voudrait, non pas oublier, mais tourner la page ; ne pas la déchirer, mais regarder l'avenir en face et montrer ce beau pays qu'on appelait jadis la Californie du monde arabe. »