Dans un pays où tous les « ascenseurs » sont, ou rouillés, ou toqués, ou carrément tombés en panne, la « machine » de l'enseignement n'a pas dérogé à la règle, perdant, au fil des années, une immense part de son attrait, de son aura et de son capital symbolique. Triste mais tout à fait vrai : l'Ecole devient aujourd'hui un véritable descenseur social. Marché de l'emploi quasi inexistant, chômage massif des diplômés, absence flagrante d'horizons, longs parcours complètement inutiles et autant d'études qui finissent en cul-de-sac, sont les thèmes-phares qui déterminent aujourd'hui, et sans aucune langue de bois, l'échec de tout un système éducatif devenu complètement stérile et improductif. Certes, plusieurs autres facteurs entrent bien sûr en jeu, lorsque l'on parle, plus exactement encore, de décrochage scolaire précoce ou de déscolarisation prématurée. Un phénomène social, global, très complexe et non moins dangereux, qui n'obtient malheureusement pas l'attention « pluridisciplinaire » qu'il mérite au niveau des politiques publiques, mises en place par les autorités tunisiennes. Bien entendu, si politiques publiques il y a ! Un fléau qui mérite, en réalité, l'intervention de concert entre plusieurs sections de l'Exécutif, et pas seulement des deux ministères de l'Education et de l'Enseignement supérieur. Une intervention qui nécessite surtout une mobilisation parlementaire (on peut toujours rêver !), sérieuse et appliquée, en vue de préparer un cadre législatif, pour asseoir une stratégie nationale de lutte contre la déscolarisation. Ecole de la seconde chance A voir les statistiques relatives à la déscolarisation dans un pays dans un pays où l'école de la seconde chance n'est pas du tout de mise, on se demanderait, d'ailleurs, si le ministère de l'Education n'est-il pas en train de battre inutilement le vent, toutes ces dernières années, avec ses fameux « programmes » de prévention et de lutte contre le décrochage scolaire, annoncés à chaque fois en grande pompe et mobilisés à coups de millions de dinars puisés du contribuable. Aujourd'hui, la déscolarisation représente une véritable menace pour les générations actuelles mais surtout celles à venir. Environ un million d'enfants tunisiens ont quitté les bancs des écoles durant ces 10 dernières années à en croire le président de l'Association tunisienne pour la défense des droits de l'enfant, Moez Cherif, qui s'est confié à la Tap, estimant qu'il existe un véritable décalage entre la législation en faveur des enfants et les politiques éducatives mises en place. Selon lui, le système éducatif tunisien n'est pas à même d'améliorer les compétences des élèves de manière efficace et souhaitable, ce qui conduit à la « perturbation » de leur future intégration dans le marché du travail. Et d'argumenter que l'élève tunisien souffre du système d'évaluation se basant sur la moyenne générale, considérant qu'il s'agit d'un système qui favorise la machine des cours particuliers et pousse les familles à employer le vert et le sec pour que leurs enfants obtiennent de bons résultats, au détriment de leurs connaissances et quitte à recourir le risque d'une « détérioration » de leurs vraies compétences. Echec... et math ! Moez Cherif a souligné, par ailleurs, que la Tunisie a connu, depuis 2011, le décrochage d'environ un million d'élèves du système éducatif, fustigeant par là même, l'absence de statistiques officielles sur le sort de ces départs. D'après lui, « certains de ces élèves ont, certes, rejoint des centres de formation professionnelle, mais un grand nombre parmi eux se sont intégrés dans le cycle économique ou ont été soumis à divers types d'exploitation ». Notons qu'au niveau des « statistiques officielles », plus d'un demi-million de Tunisiennes et de Tunisiens, âgés entre 6 et 16 ans, ont cessé leurs études au cours de ces cinq dernières années. 526 mille, plus exactement, selon les données officielles du ministère de l'Education. Rien qu'en 2018, 101 mille élèves ont quitté l'école, un chiffre qui représente, soit dit en passant, la plus basse « masse » d'enfants déscolarisés, enregistrée en une seule année, durant ladite période. En moyenne, 300 cas d'abandon scolaire précoce, par jour, sont recensés... Un rythme qui se stabilise, donc, aux environs d'une moyenne de 100 mille décrochages par an. Autrement dit, 1 million d'abandons scolaires précoces, tous les dix ans, pour un pays qui ne compte que quelques 11, voire 12 millions d'âmes vivantes, dont « seulement » 2 millions sont inscrites, à l'heure actuelle, dans les écoles primaires, collèges et autres lycées de la République Tunisienne. Un autre chiffre qui donne le vertige : d'après le ministère des Affaires sociales, 2 millions de Tunisiennes et de Tunisiens, tous âges confondus, soit un taux de 18,4% de la population, sont aujourd'hui analphabètes. S.B.Y.