Les mutations qualitatives et quantitatives qu'a connues notre système d'enseignement supérieur et les défis auxquels il est appelé à faire face font que la loi de 28 juillet 1989 sur l'enseignement supérieur a besoin d'être réformée. Une réforme de l'enseignement supérieur est dans tous les pays une entreprise délicate à mener tant les enjeux sont énormes, les acteurs multiples et les opinions pouvant bien entendu être divergents sur certains de ses aspects. Cela n'empêche qu'il existe des objectifs fédérateurs, objet d'un large consensus. Nous voulons pour notre pays et pour nos enfants un système d'enseignement supérieur d'un niveau international, capable d'intégrer les nouvelles technologies, un système adapté aux besoins d'une économie moderne basée sur le savoir et ouverte sur l'international, nous voulons que les établissements d'enseignement supérieur soient un lieu de savoir, de recherche et d'épanouissement scientifique et humain et que les sortants soient mieux formés, mieux éduqués et que leurs diplômes soient en adéquation avec les besoins de l'économie. Et ce tout en préservant deux données auxquels les Tunisiens sont attachés c'est-à-dire un enseignement supérieur ouvert pour les titulaires du bac, et un enseignement supérieur quasi gratuit (en réalité financé par l'effort collectif soit actuellement presque 6 % du budget de l'Etat). Le projet de réforme de la loi sur l'enseignement actuellement en débat (le projet fait 57 articles) répond-il à ce qu'on est en droit d'attendre aujourd'hui du système d'enseignement supérieur ? Assurément oui, et cela apparaît à travers ses principales dispositions innovatrices et consacrées aux objectifs principaux et à l'organisation institutionnelle de l'enseignement supérieur, à l'organisation des universités et des établissements d'enseignement et de recherche et à la mise en place de mécanismes d'évaluation et de qualité. Objectifs et organisation générale : missions multiples et consécration du LMD Le titre premier du projet de la loi est consacré aux objectifs principaux et à l'organisation générale de l'enseignement supérieur. Les objectifs généraux, objet de l'article 2 du projet, sont ceux d'un enseignement supérieur moderne capable de s'adapter aux changements et sont donc nécessairement multiples. Parmi ceux-ci le développement et la diffusion du savoir base de toute économie moderne, le développement individuel et citoyen, le partenariat avec l'environnement économique social et culturel, la recherche des moyens d'une meilleure adéquation au marché du travail, le recours et la maîtrise des technologies modernes, l'ouverture sur l'international et l'attachement aux valeurs nationales. La réalisation de ces objectifs globaux suppose une adaptation en conséquence de l'organisation générale de l'enseignement supérieur. Une des principales innovations du projet est de consacrer (article 3 du projet) le système LMD, adopté dans la plupart des pays, et notamment européens, avec une Licence de 3 ans, un Master de 2 ans et un doctorat de 3 ans. Ce système présente d'indéniables avantages dans la mesure où il permet notamment de diversifier les filières de formation, de permettre à l'étudiant de choisir certains modules et de faciliter la reconnaissance des diplômes au niveau international. L'organisation des universités et établissements d'enseignement et recherche : autonomie scientifique et pédagogique et responsabilisation L'Université, ainsi que les établissements d'enseignement et de recherche, sont actuellement des établissements publics à caractère administratif. Cependant, la gestion universitaire a des spécificités tenant à la nature de l'activité, c'est-à-dire l'enseignement et la recherche, et aux acteurs concernés (étudiants et enseignants chercheurs). La gestion est forcément collégiale et nécessite une certaine souplesse. Le projet de loi en tient compte et innove en ce domaine. L'article 9 du projet prévoit que les universités qui répondent à certaines conditions pourraient bénéficier de la qualité d'établissement public à caractère scientifique et technologique. L'article 23 du projet reconnaît la même possibilité au profit des établissements d'enseignement et de recherche. C'est là un des apports majeurs du projet puisque la qualité d'établissement public à caractère scientifique et technologique permet à l'établissement concerné d'appliquer la gestion commerciale, nécessitée par les besoins de son activité et tant qu'elle n'est pas contraire à la loi sur l'enseignement supérieur. Par exemple pour l'acquisition d'équipements et de matériels l'établissement sera soumis au régime des établissements non administratifs. C'est donc une souplesse dans la gestion appréciable et ce d'autant plus que le personnel de l'établissement public à caractère scientifique et technologique continue à bénéficier des garanties du régime du statut de la fonction publique. L'article 10 du projet de loi sur l'enseignement supérieur consacre le principe de l'autonomie scientifique et pédagogique des universités. L'article 12 du projet innove concernant cet aspect de la gestion universitaire en énonçant que les activités de formation et de recherche peuvent faire l'objet de contractualisation entre l'Etat représenté par le ministre chargé de l'enseignement supérieur d'une part et les Universités et établissements universitaires d'autre part. Ces contrats ont une durée de quatre années. La contractualisation est une technique de gestion publique moderne. Elle permet de préserver l'autonomie et responsabilise les parties concernées et permet d'améliorer les performances. En effet, on peut supposer que la contractualisation sera précédée par un diagnostic de la situation, suivi d'une négociation sur le programme à réaliser, avec une détermination précise des actions à réaliser, d'un calendrier de réalisation, d'une estimation des coûts et des moyens à mettre en œuvre et d'indicateurs des résultats attendus. La contractualisation facilitera aussi l'évaluation qui est un autre aspect fondamental pour une bonne gouvernance d'un système d'enseignement supérieur moderne. Evaluation et exigence de qualité Le titre 5 du projet est consacré à l'évaluation et à la qualité. C'est une des innovations les plus importantes du projet de loi puisque l'évaluation et la qualité sont des mécanismes essentiels dans la réalisation des missions de l'enseignement supérieur. Les articles 43 à 48 du projet précisent les auteurs et les modalités de l'évaluation. Celle-ci porte sur l'ensemble de l'activité scientifique, pédagogique et administrative de l'établissement concerné. L'évaluation n'est pas un contrôle suivi d'une sanction. C'est plutôt une opportunité permettant d'améliorer le service de l'enseignement au profit des étudiants et des enseignants. L'évaluation est admise dans les systèmes d'enseignement de niveau international et souvent suivie de comparabilité et de compétition positive entre les établissements. La loi ne peut prévoir les détails de la méthodologie de l'évaluation. Elle relève plutôt du domaine de la gestion. Elle se fait sur la base d'une méthodologie préalable et transparente. Le projet de loi indique qu'elle peut être à l'initiative de l'établissement concerné, qui mène lui-même l'évaluation ou fait appel à une équipe d'experts externes. Le rapport d'évaluation est souvent une occasion pour l'établissement concerné de sortir des contraintes de la gestion quotidienne, de prendre du recul, de prendre conscience de ses forces et de ses faiblesses et surtout de bénéficier des recommandations du rapport en vue d'assurer une meilleure qualité du service rendu aux étudiants et aux enseignants. L'évaluation et la recherche de la qualité sont aujourd'hui pratiquées dans les secteurs administratifs et économiques les plus performants. Notre système d'enseignement supérieur, qui comprend des filières de formation spécialisées dans le management et donc enseigne la qualité et les techniques d'évaluation, ne peut rester lui-même en dehors de ce mouvement. C'est donc à juste titre que le projet de réforme a prévu des procédures relatives à l'évaluation et à la qualité appliquées à l'enseignement supérieur. Reconnaissons aussi que l'impératif d'évaluation et l'exigence de qualité sont acceptés par la grande majorité des enseignants. L'expérience de ces dernières années montre que notre système d'enseignement supérieur est capable d'évolution et d'adaptation pour faire face aux défis majeurs auxquels il est confronté : accueillir un flux important d'étudiants, exigence de qualité d'un enseignement qui vise un niveau international, s'adapter aux besoins en capital humain d'une économie émergente ouverte à la concurrence internationale, intégrer les nouvelles technologies et ce tout en demeurant accessible et quasi-gratuit. Les considérations relatives au cadre législatif sont certes essentielles mais ne sont qu'un aspect de la réforme. La réussite de sa mise en œuvre suppose la mobilisation et la participation de l'ensemble des acteurs concernés et ce pour le bénéfice de l'ensemble de la collectivité nationale. Et ce sans perdre de vue que l'enseignement supérieur est de la responsabilité de l'Etat, et qu'il s'intègre dans le cadre de priorités nationales, par delà tout corporatisme disciplinaire ou autre. Néjib BELAID : Professeur de Droit Public Directeur de l'Institut de Finances et de Fiscalité de Sousse