Pierre Robert que les Marocains appellent, tour à tour, «l'émir aux yeux bleus», «le Ben Laden aux yeux bleus» ou encore «le mollah de Saint-Etienne», est un jihadiste français qui purge actuellement une peine à perpétuité dans la prison marocaine de Kenitra pour son appartenance au Groupe islamiste des combattants marocains (GICM), responsable des attentats de Casablanca du 16 mai 2003 qui ont fait 45 morts – dont 12 terroristes – et une centaine de blessés. Comme lui, des dizaines d'autres convertis à l'islam n'ont pas résisté aux sirènes de l'islamisme radical. Ils sont américains, australiens, jamaïcains, français, allemands, belges… Nés de parents chrétiens, juifs ou athées… Fraîchement convertis à l'islam le plus rigoriste par des imams extrémistes, ils ont gagné les camps d'entraînement de Bosnie et d'Afghanistan, où ils ont acquis une solide formation militaire, avant de devenir des «petits soldats du jihad» contre l'Occident mécréant. Certains sont morts dans les montagnes de Tora Bora ou en Irak. D'autres ont été arrêtés dans le cadre de la campagne internationale de lutte contre le terrorisme, jugés et écroués. Leurs parcours, qui se ressemblent en plusieurs points, peuvent être résumés en deux formules: quête désespérée de soi et folie destructrice.
Pierre-Richard-Antoine Robert (également appelé Richard Robert et Didier Robert) – alias Yacoub, alias Abou Abderrahmane – est né le 30 janvier 1972, d'un père souffleur dans une verrerie d'art et d'une mère au foyer, à Chambon-Feugerolles, près de Saint-Etienne, en France. Cadet d'une fratrie de trois garçons, il a une enfance banale et une adolescence sans histoires. Mais au terme d'une scolarité très moyenne qu'il traîne jusqu'au lycée professionnel, le jeune Français commence à fréquenter la communauté turque du quartier de La Chapelle d'Andrézieux-Bouthéon, situé à quelques kilomètres de chez lui. C'est sous l'influence de quelque prosélyte turc qu'il se convertit à l'islam, en 1990, à l'âge de 18 ans, et se donne pour prénom Yacoub.
Tous les chemins mènent à Kaboul Avec la foi des nouveaux convertis, Pierre Robert se montre avide d'en apprendre plus sur l'islam. C'est ainsi qu'il commence à fréquenter la mosquée de l'Association culturelle islamique du Bouchet, au Chambon-Feugerolles, où il ne tarde pas à se lier d'amitié avec plusieurs Marocains et Algériens. Il part ensuite en Turquie, dans la région de Konya, où il apprend l'arabe dans une école coranique. A son retour, il évoque d'autres voyages. Dans des pays «moins laïques», raconte-t-il à des amis turcs. En fait, il a séjourné en Iran et en Afghanistan, notamment au camp de Khalden, sur la frontière avec les zones tribales pakistanaises, où il a suivi, en 1994, un entraînement de plusieurs mois sous les ordres d'un Palestinien spécialiste des armes et des explosifs. Il a aussi effectué plusieurs voyages en Europe qui l'ont mené à plusieurs reprises en Allemagne, en Belgique, en Espagne et aussi en France, sa terre natale, s'adonnant, au cours de ces voyages incessants, à diverses activités de contrebande. En 1996, Pierre Robert séjourne à Tanger où il fait la connaissance d'une Marocaine qu'il s'empresse d'épouser. Fatima, c'est son prénom, lui donnera deux enfants: Ibrahim et Selma. Peu de temps après, Robert s'installe à La Ricamarie, à côté de Saint-Etienne. Dans le quartier, le couple suscite tout au plus une vague curiosité. Lui, converti blond aux yeux bleus. Elle, entièrement voilée de noir. A côté de son activité de revente de voitures, Robert fréquente plusieurs mosquées autour de Saint-Etienne. On lui prête volontiers des discours religieux radicaux auprès des plus jeunes et des accointances avec des extrémistes salafistes. Un jour de cette même année 1996, Robert part pour le Maroc, officiellement «pour vivre sa foi en pays musulman». L'extrême discrétion du Français lui permet de se fondre dans le paysage marocain sans attirer sur lui l'attention des services de sécurité. La petite famille se trouve un logement à Tanger, dans le quartier de Tanja Balia, puis dans celui de Mestarkouch, dans un appartement attenant à une mosquée.
Personne ne savait de quoi pouvait bien vivre l'étranger Robert n'a qu'un tampon de touriste sur son passeport, il est inexistant pour les autorités marocaines. Pour son voisinage, le jeune Français se présente comme vendeur de voitures d'occasion achetées en Europe. Ce qui explique ses fréquents voyages. De toute façon, personne ne s'en soucie. Le converti est pieux, modeste, fréquente assidûment la mosquée Mohamed V. Et c'est dans cyber-café de la rue Mahatma Ghandi où, se faisant passer pour un Allemand, il reçoit et envoie ses messages. «Il délaissait souvent son appartement pour s'installer chez ses beaux-parents dans une maison spacieuse située juste en face de l'entrée de la Cathédrale de Hasnouna. Il prenait garde à ne pas trop se faire remarquer et personne ne savait de quoi pouvait bien vivre l'étranger qui avait un train de vie assez peu modeste. De l'argent, il semblait en avoir. D'après le parquet, ‘‘le ressortissant français et des chefs de groupuscules extrémistes ont entretenu des rapports étroits avec des trafiquants de drogue pour se procurer des armes en vue d'attaquer des agents de la sécurité''», rapporte ‘‘Maroc Hebdo International'' du 20 juin 2003. Le journal ajoute plus loin: «Après son arrestation, plusieurs victimes du Français et de ses complices auraient porté plainte contre X. Le Français escroquait des Marocains auxquels il proposait des passages clandestins vers l'Europe. Il leur proposait de joindre la France sans visa contre trois ou quatre millions de centimes. Il mettait l'argent dans sa poche et disparaissait pour quelque temps.» Lorsque les enquêteurs de la Direction générale de la sécurité du territoire (DGST) marocaine s'attaquent à la mouvance islamiste radicale, après les attentats de Casablanca, ils découvrent une tout autre facette du personnage. Les rafles vont bon train. Dans leurs filets tombe un jeune informaticien, Rachid Larabi Laarousi, né en 1971, qui a reçu une formation à l'usage d'explosifs et à l'utilisation de téléphones portables comme détonateurs. Des produits chimiques nécessaires à la composition d'une bombe sont saisis dans son appartement du quartier de Branes. C'est lui qui mènera la police à la planque de son chef, un certain «El-Hadj Abou Abderrahmane», alias Pierre Robert. Pour avoir reçu un entraînement militaire en Afghanistan, le Français aurait été élu «émir» en août 2001, lors d'une réunion au quartier Saddam, à Béni Makada, par les cadres d'un réseau de trois cellules clandestines à Tanger, Fès et Casablanca. Robert réunit ses lieutenants à Tanger dans une maison appelée Dar Diafa, dans le quartier de Ben Debbab. Un second centre, plus important, la Jamaat Sidi Harazem, est ouvert dans la médina de Fès, sorte de caserne qui organise des week-ends de formation. Robert dispense des formations au maniement des armes dans la forêt de Gueznaya.
Dernière tentative pour brouiller les cartes Arrêté le 3 juin 2003 dans les bois de Rahrah, sur les hauteurs de Tanger, en possession de sept passeports français, Pierre Robert est considéré par le parquet marocain comme «le maillon essentiel de cellules terroristes constituées à Tanger, Fès (centre), Casablanca, Chefchaouen et Sidi Taïbi (nord)». Comparu devant la chambre criminelle de Rabat aux côtés de 33 islamistes marocains – tous membres de la Salafia Jihadia, impliqués dans les cinq attentats terroristes quasi simultanés qui ont fait quarante-cinq morts, dont douze kamikazes, dans le centre-ville de Casablanca, le 16 mai dernier 2003 –, Pierre Robert est apparu très calme, portant un survêtement de jogging avec un maillot de footballeur, cheveux courts et rasé de près. Accusé, ainsi que ses 33 co-accusés, de «constitution d'association criminelle, complicité dans l'atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat, complicité dans l'homicide volontaire avec préméditation, fabrication et détention d'armes et d'explosifs», Pierre Robert a d'abord récusé son avocat commis d'office, avant de nier les charges portées contre lui, arguant d'une confusion faite avec un autre Français installé au Maroc, ancien d'Afghanistan, également surnommé Yacoub. Lors des interrogatoires ayant suivi son arrestation, Pierre Robert avait pourtant déclaré aux policiers marocains avoir envisagé une série d'attentats suicide en France, visant des sites soigneusement sélectionnés: une raffinerie de pétrole à Lyon, une synagogue à Paris, un fast food Mc Donald's, des camions de transport de plutonium, etc. Mais il aurait renoncé à ces actions pour participer au lancement de la lutte au Maroc. Finalement, le Français n'a pas inculpé dans les attentats de Casablanca. Ce qui lui aurait valu la peine capitale. L'accusation n'ayant pu établir sa complicité directe dans l'organisation de cet attentat, Pierre Robert a été accusé «seulement» d'avoir planifié des attentats du même genre et organisé des séances d'entraînement aux armes. Durant son procès, le Français a voulu brouiller les cartes en prétendant avoir travaillé pour la DST française, pour le compte de laquelle il aurait infiltré la mouvance islamiste algérienne. Selon ses affirmations, il aurait été impliqué dans «le démantèlement d'un réseau de seize [jihadistes] (Algériens, Tunisiens et Marocains), qui opérait conjointement dans cinq pays européens, dont la Belgique et la France, et menaçaient, à travers des attentats à la bombe, la Coupe du monde 1998, ainsi que la cathédrale de Strasbourg». Ces allégations ont été formellement démenties par les autorités françaises. Le 29 septembre 2003, la chambre criminelle de Rabat l'a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et incarcéré à la prison de Kenitra. Demain 13 - Christian Ganczarski : le recruteur de kamikazes