Cette rubrique traite des faits réels dans des affaires anciennes et classées. Par respect pour les personnes , il n'est guère mention de non , ni de dates précises des faits , et encore moins de lieus précis. Plus pieux que lui tu meurs ! Corpulent, il est la plupart du temps accoutré d'une Djellabah ample. Il en a de toutes les couleurs, mais le châle qu'il porte sur les épaules est toujours d'un blanc immaculé faisant l'assortiment avec le turban entourant sur couvre-chef. Sa barbe fleurie, couleur poivre et sel cache une figure ronde et bien charnue qu'on devine à travers ses grosses joues, et accentue davantage un nez plat rappelant une truffe, bien pleine avec des poils ça et là et qu'il n'a jamais eu l'idée d'arracher. Ses yeux proéminents, marron foncé sont remarquablement fardés avec du Kohl qu'il met chaque vendredi, avant d'aller à la prière. "El Haj" ne rate aucune prière, et se lève quotidiennement de bonne heure pour accomplir la première prière du petit matin. Le reste de la journée passe très vite car son emploi du temps est bien chargé. Habitant avec sa famille dans une zaouia (lieu érigé à la mémoire d'un marabout) il est sollicité par ceux qui se croient persécutés par les démons, les djins ainsi que le mauvais sort et Dieu sait combien ils sont nombreux ! El Haj, met à profit ses dons surnaturels, hérités de son aïeul, le marabout enterré dans la zaouia où il élit domicile. Ayant aménagé une pièce en guise de bureau, il passe une bonne partie de la journée à recevoir ses nombreux visiteurs avec bien sûr des coupures, pour manger, faire la sieste et prier. La plupart de ses visiteurs sont plutôt de la gente féminine. Des dames de toutes les couches sociales affluent de bon matin devant la zaouia et chacune prend la peine de faire la file pour attendre calmement son tour. Il prend tout son temps pour déceler le mal chez chacune d'elles, afin de lui indiquer la médication adéquate. Il a surtout la main et s'y prend toujours avec beaucoup de sagacité et de savoir-faire pour la convaincre et surtout pour l'apaiser et la calmer. Au fil du temps, il acquit une renommée qui lui permit de s'imposer et passer pour quelqu'un ayant des pouvoirs surnaturels. Il prédit l'avenir et sait prémunir l'intéressée avec toutes les garanties lui permettant d'éviter la catastrophe et de surmonter les obstacles. Comment est-il rétribué pour ses services ? C'est là où la bât blesse. Car aux dires de ceux où celles qui le connaissent, il n'est pas exigeant, et se contente du peu qu'on lui donne. Pourtant, c'est de ce travail qu'il vit apparemment, et subvient aux besoins de sa famille nombreuse. Sa femme s'occupe de la zaouia où plusieurs personnes viennent chaque vendredi pour visiter le marabout et allumer un cierge sur sa tombe, et que leur procure la maîtresse de céans en échange de quelques pièces. Elle arrive à mettre de côté une petite somme d'argent chaque semaine qui lui permet d'arrondir ses fin de mois. Mais c'est El Haj qui en tant que chef de famille, gère le budget familial et arrive tant bien que mal à boucler les fins de mois en assurant tous les frais fixes auxquels il est tenu de faire face. Sa fille Jamila prépare cette année le bac et c'est lui qui prend à cœur cet événement qu'il considère comme primordial. Aussi commence-t-il à penser à lui procurer des cours particuliers afin qu'elle améliore son niveau et qu'elle soit suffisamment armée au moment crucial. Parmi ses visiteurs, il y a une dame distinguée venue le voir deux fois pour un problème bien particulier et ne cessant de la préoccuper outre mesure : elle ne peut pas avoir d'enfants. Elle ne manque pourtant de rien. Professeur de français de son état et belle femme de surcroît, elle est mariée à un homme d'affaires. Sachant qu'il était stérile, la jeune dame n'osa jamais lui dire d'aller voir un médecin, et d'ailleurs il ne s'est jamais préoccupé de ce problème. Il est peut-être convaincu que c'est sa femme qui souffre de cette tare. Bref il ne parle pas de ce problème avec son épouse et elle en fait de même. Quand elle a visité El Haj pour la première fois, et lui a fait part de ses inquiétudes quant à ce problème, il lui a recommandé d'amener deux ou trois sous-vêtements appartenant à son mari. Elle arrive un vendredi avec deux tricot de corps et un caleçon. El Haj la reçoit avec chaleur et lui dit : -"Ne vous en faites pas. J'ai ce qu'il faut pour guérir votre mari". Et la dame toute remuée lui répond en écarquillant les yeux. -"Je vous donnerai tout ce que vous demanderez. Pourvu que..." -"Je vous demande rien, car je le fais, comme vous le savez à titre bénévole. Mais je vous demande un service en échange. -"Dites moi lequel, vos désirs sont des ordres". -"J'ai une fille qui passe le bac cette année. Elle est médiocre en langue française... -"Et bien je me porte garante pour lui assurer un très bon niveau d'ici quelque temps". -"Merci infiniment. Elle peut venir vous voir cette semaine". -"Bien sûr ! J'habite rue des Oiseaux à la Cité des Roses... à côté de la boulangerie au numéro 13". Et c'est là que la fille, a commencé à prendre des cours de français chez la bonne dame. Quant à celle-ci, El Haj lui a recommandé en plus du traitement magique à son mari de venir passer quelques séances d'exorcisme. "Vous êtes habitée par un djin. C'est la raison pour laquelle le mauvaise sort ne cesse de vous suivre. Il vous faut des séances d'exorcisme afin de chasser le djin". Au fil du temps, El Haj s'assura de la crédulité de la bonne dame, qui est prête à tout pour réaliser son seul rêve et avoir un enfant. A-t-il profité de cette occasion pour abuser d'elle ? Cette question restera à jamais sans réponse, car le différend qui finit par éclater entre eux tourna au scandale. A quelques jours du Bac et alors que sa fille est en plein bachotage en ce mois de juin et par une chaleur torride, deux agents de police en civil, se présentent au domicile du Haj. Sa femme sort pour s'enquérir de ce qu'ils veulent : -"El Haj est là ?" -"Désolé, El Haj fait la sieste, il ne peut pas vous recevoir". -"Excusez-nous madame, mais nous sommes de la police", lui dit l'un des deux inspecteurs en exhibant sa carte. El Haj est conduit au poste de police. On lui explique que la dame l'accuse d'avoir abusé d'elle par deux fois. -"C'est un tissu de mensonge. Je suis loin de m'adonner à ces ignominies". Et pourtant El Haj inculpé d'escroquerie et de viol par la dame comparut devant le tribunal. -"Vous avez abusé de cette dame, et de surcroît vous l'avez escroquée de deux mille dinars !". -Pas du tout, monsieur le président, je la respecte beaucoup. Surtout qu'elle est l'enseignante de ma fille. C'est ignoble, ce dont elle m'accuse ! Quant au deux milles dinars c'était pour acheter les ingrédients pour les séances d'exorcisme". -"Quel exorcisme ? vous prétendez être un devin en plus !" -tout à fait, votre honneur. J'ai des dons surnaturels. Vous n'avez qu'a désigner un expert afin qu'il constate de visu cet état de fait !". -Il ne manquerait plus que ça ! On ne désigne pas d'expert pour des sorcelleries considérées contraire à la loi et aux règles de la bienséance. En plus c'est interdit par la religion. Vous le savez bien vous un Haj non ?". -"Ce sont pas des sorcelleries votre honneur. Ce ne sont des "Karamet" ; des dons dont sont dotées certaines personnes par la providence". -"Qu'avez-vous à ajouter ?" -"Rien d'autres ; je maintiens mes déclarations et m'en remets à la justice et à votre tribunal garant de celle-ci". La défense s'évertua à expliquer au tribunal qu'il s'agit d'une dame mythomane. S'attendant à un résultat positif, elle a trop cru à El Haj. Mais elle a été déçue et elle agi par dépit inventant de toute pièce cette version du viol dont elle prétend être victime. D'autant plus qu'elle a réagi après la procédure de divorce engagée par son mari pour préjudice, car en fait c'est elle qui est stérile et non son mari. L'avocat demanda sur cette base l'acquittement pur et simple de son client. El Haj s'en sorti avec une forte amende pour escroquerie. Mais en ce qui concerne le viol, il fut acquitté au bénéfice du doute. Acquitté ne veut pas dire qu'il est tout à fait innocent. Il n'y a pas suffisamment de preuves à ses agissements prétendus. Désormais les gens de la ville regardent El Haj d'un autre œil, ayant été soupçonné de viol, lui qui naguère était au-dessus de tout soupçons. La zaouia continue quand même à recevoir les visiteurs non pas pour El Haj, mais pour allumer un cierge à la mémoire du marabout. Mais la vérité, la vraie vérité, personne n'arrivera jamais à la connaître. On ne sait même plus si El Haj avait vraiment visité la Mecque et accompli réellement les rites du pèlerinage, tant sa réputation a été ébréchée.