En 1882, les résistants menaient une lutte acharnée et sans merci contre l'occupant à travers tout le pays. Ce sont les tribus du sud tunisien qui dès 1881, s'étaient opposées aux troupes armées françaises et s'étaient battues avec courage et détermination. Roustan écrivaient à ce propos dans une lettre qu'il envoya au Quai d'Orsay en juillet de la même année. « Les tribus ont commencé les hostilités, et Kairouan qui est la clé de la route du Sud, est devenu en même temps le foyer de la révolte ; je crois qu'il y a lieu de frapper un grand coup sans tarder ». Mais l'insurrection gagna le pays du nord au sud et il y avait de plus en plus une résistance qui se concentra surtout, près de la frontière libyenne. Ce qui inquiéta l'occupant qui craignait des incidents avec les forces turques de Tripolitaine. Ali Ben Khelifa se retranche avec ses compagnons du côté de Jemna et Bir Soltane pour resserrer les rangs avec la tribu des H'mamma dont les hommes étaient intraitables et prêts à tous les sacrifices. Des opérations de répression étaient menées par les généraux Philibert et Logerot. Dans son ouvrage « Les confins saharo-tripolitains de la Tunisie », l'historien français A-Martel faisait remarquer : « Le gouvernement français avait besoin d'un succès de prestige... On brûle, on coupe les arbres et les récoltes sont razziées ». Dans le centre, il y avait la tribu des Nfefta et des Zlass qui opéraient dans la région de Kairouan, tandis que d'autres insurgés attaquaient dans les régions de Sfax et de Sousse. Afin d'obtenir des redditions, les occupants firent appel à un certain Youssef Allegro. D'origine génoise, celui-ci était comme son père au service du Bey. Son père Louis Arnod Allegro était le représentant du Bey en Algérie. Il était au fond au service de la France qui l'utilisait pour tout connaître sur le Bey dont il est censé garder les secrets. A l'instar de son père Youssef Allegro avait été initié par Mustapha Ben Ismaïl qui le prit avec lui lors de son voyage à Paris. Il fut nommé, sous Sadok Bey, en tant que Caïd de la région du Djérid (Caïd était l'équivalent de gouverneur). Pendant l'occupation il fut choisi par le général Logerot afin d'intervenir auprès des insurgés pour tenter une réconciliation et obtenir des redditions. Il entra en contact avec les chefs de tribus et incita même certains parmi ceux qui s'étaient réfugiés en Libye de retourner au pays en leur promettant qu'ils ne seraient pas arrêtés, ni inquiétés. Mais la plupart persistèrent dans leurs positions d'hostilité à l'occupant en taxant Youssef Allegro de traître et de vendu. Ali Ben Khelifa resta, quant à lui, à Tripoli, jusqu'à son décès en novembre 1884. Allegro, promu général du Bey, joua le rôle d'espion chargé par les occupants d'épier tous les mouvements du souverain, et de sa cour, ainsi que ceux des résistants. Il chargeait, à cet effet, des hommes qu'il envoyait à travers toutes les régions du pays, et notamment du côté de la frontière libyenne. A la conférence de Tripoli, en mai 1910, la convention signée avec la Turquie avait pour but de fixer la frontière tuniso-libyenne à l'avantage des Tripolitains. La Libye était l'objet de convoitise par les Italiens. Aussi la France avait-elle besoin du soutien de ces derniers sur la question marocaine. Ce qui expliquait pourquoi ladite convention a été signée au détriment de la Tunisie.