Yasmina était l'aînée d'une famille de trois enfants. Quand sa mère décéda, elle n'avait que dix-sept ans, alors que sa sœur en avait douze et son frère, le benjamin avait dix ans. Yasmina prit la relève de sa mère pour vaquer aux occupations familiales. C'était la raison pour laquelle elle quitta le lycée où elle était pourtant une élève studieuse et brillante. Son père, préposé aux PTT, mourut deux ans après la retraite et lui confia toute la responsabilité de la famille. Elle était liée par le devoir de veiller sur tous ses frères et sœurs. Habiba sa cadette, attira l'attention du fils des voisins qui s'en est entiché et vint en parler à Yasmina "Je soumettrai la chose à Am Hamadi mon oncle et doyen de la famille", lui dit-elle. Celui-ci informé de la chose n'y vit aucun inconvénient, connaissant la famille du prétendant et confiant que celui-ci était bien attentionné envers sa nièce et était à même de fonder une famille étant jeune maîtrisard, à la recherche d'un travail mais dont l'avenir était plutôt prometteur. Bref, le mariage de l'heureuse élue eut lieu un an après les fiançailles et Yasmina avait fait de son mieux pour aider sa sœur à être au foyer conjugal dans les meilleures conditions en y mettant du sien pour lui procurer le plus beau trousseau. Yasmina ne travaillait pas, mais arrivait à arrondir ses fins de mois, pour avoir en plus de la pension laissée par son père, quelques pécules qu'elle ramassait en tricotant pour les voisins et les quelques connaissances qui appréciaient son travail méticuleux et son sérieux. Sa sœur mariée, elle se consacra à s'occuper de son frère qui après avoir terminé ses études secondaires se consacra aux études supérieures de médecine. Le voilà médecin. Il aimait sa sœur et la respectait pour sa bravoure et son dévouement. Jamais Yasmina ne manifesta une quelconque colère, et ne fit montre en aucune fois de sa lassitude ou de la moindre fatigue. Elle avait déjà trente sept ans lorsque son frère devint médecin avec pignon sur rue. Elle était belle et élancée, mais elle se négligeait et ne faisait jamais attention ni à son physique ni à son accoutrement. Par deux fois on vint demander sa main à son frère. La première fois, quand elle avait la trentaine. C'était un jeune étudiant qui rentrait de Paris, après avoir terminé ses études et qui voyait en elle la femme idéale pour fonder un foyer. La deuxième fois, c'était un célibataire endurci qui vit en elle celle qui le sortira de sa solitude. Mais à chaque fois elle refusait. La première fois ce fut à cause de son frère qui n'avait pas encore terminé son résidanat et auquel elle devait se consacrer corps et âme. La deuxième fois, parce que tout simplement son cœur n'avait pas vibré pour ce prétendant, comme pour tout autre d'ailleurs. Pourtant, à cinquante cinq ans elle gardait encore toute sa vigueur et sa beauté. Elle avait toujours un regard inquisiteur, comme si elle se demandait si elle avait rempli comme il se doit la mission pour laquelle elle s'était sacrifiée. Elle n'était cependant jamais amère et ne regrettait pas d'avoir fait ce choix, en toute conscience et sans contrainte. Elle était toujours nourrie de cet instinct de se consacrer aux tâches familiales. Elle continuait à faire la cuisine et à subvenir aux besoins de son frère ainsi que de la femme de celui-ci qui ne faisait que l'apprécier et la vénérer de jour en jour. C'était elle qui éleva ses petits neveux en l'absence de leurs parents appelés à aller quotidiennement au travail. Son neveu a 6 ans lui fit un jour une réflexion qui la fit rougir : "Où est ton mari ? Avec un sourire discret, elle lui répondit : "Je n'ai pas besoin de mari car vous êtes ma famille, et mon bonheur c'est de vous voir toujours heureux". Ses yeux étaient mouillés de larmes. C'était plutôt des larmes de joie. Une joie ineffable de s'être consacrée pour le bonheur de toute une famille. Devant ce gamin innocent et spontané, elle n'avait pas rougi de honte, mais par pudeur et aussi pour lui exprimer toute sa passion à vouloir toujours donner jusqu'au bout, sans fin, car elle continua à le faire après sa mort, par le souvenir qu'elle laissa d'une femme qui a été la fierté de toute une famille.