Si pas loin de chez nous, on célèbre dans l'intimité la discrétion absolue un nombre fort restreint d'événements : naissance, mariage, nous autres Tunisiens sommes connus pour notre tendance à la mégalomanie, à la folie des grandeurs. Nous ne ratons jamais une occasion pour festoyer, étaler avec faste notre prodigalité, notre suffisance souvent factices quitte à nous endetter lourdement pour le faire. L'essentiel n'est-il pas de faire mieux que la voisine du palier lors des fiançailles de son aînée avec une troupe régionale et sans la présence même « d'une vedette » qu'on passe à la télé, ou de clouer le bec à la cousine germaine du mari qui a célébré la circoncision de son benjamin dans la grande salle de la maison des jeunes où tous les invités n'ont eu de cesse de grelotter de froid? Même dans la mort, l'envie de dépasser la belle sœur fraîchement mariée le mois dernier, qui n'a présenté le jour du FARK(troisième jour) de son jeune mari ayant succombé à ses blessures suite à un tragique accident de la voie publique, donc n'ayant « daigné présenter » que trois salades, quatre plats et une salade de fruits mais sans crème chantilly !
Réunions Et nos opportunités de provoquer des réunions de familles de ne plus en finir : naissance, septième, circoncision, demandes en mariage, fiançailles, fêtes religieuses « moussim » (nuit du destin, Aïds, Achoura, etc.) mariage, sixième, neuvième, bac... Une curiosité cependant, les gens aisés, nantis, ne versent pas généralement dans l'excès chapitre festivités ; tout juste une sobre réception avec des invités triés sur le volet et au nombre fort réduit, un buffet richement achalandé sur fond de musique douce conférant à l'ambiance déjà feutrée une sensation de langoureuse torpeur. L'affaire de ne durer que deux petites heures à max et tout de se trouver rangé plié. Contrairement à la majorité des autres nettement moins pourvus sur le plan financier voire nécessiteux qui se mettent en quatre, contractent des prêts : bancaires, des PTT, de la CNSS, de la CNRPS, avances sur salaire, anticipation sur la prime de rendement, sur le treizième mois, hypothèque des bijoux de famille auprès du gargotier du coin réputé pour sa discrétion etc. le cérémonial se répétant pratiquement toujours de façon similaire, nous évoquerons les contraintes endurées lors d'un mariage de l'une des filles. L'extrapolation étant dans les cordes de tout un chacun à satiété...
Trousseau Tout d'abord et des années durant, les parents se privent, se saignent aux quatre veines pour économiser de quoi octroyer au futur couple un trousseau à la hauteur ; navettes incessantes entre Istanbul, Damas, Tripoli ; Ben Guerdane. Les locaux des mairies, quoique pas donnés volet location, ne sont pas prisés par la plupart. On se rabat sur les hôtels et à un degré moindre sur les salles huppées ; la troupe musicale devant animer la soirée nuptiale se composant impérativement de deux voire plus de vedettes de la chanson que la télé et les magasines présentent fréquemment. Il va sans dire qu'à l'entracte, un monologue tiendra en haleine les invités se tordant de rire de ses blagues et mimiques apprises par cœur car passées pratiquement en boucle par notre cher canal 7 ! Une semaine avant la date frénétiquement attendue, tous de débarquer chez la future mariée ; parents proches et éloignés, leurs enfants, les amies et le soir venu, même la cuisine est sollicitée par des hôtes en quête d'un petit espace vacant pour s'y allonger. Le bain maure du quartier est loué en entier pour la matinée pour l'ultime toilette de la mariée et à ses frais ; en principe trois soirées sont réservées à la « hinné » chacune célébrée par une troupe : la première est généralement l'apanage de celle des chants liturgiques (soulamia) en guise de porte-bonheur au futur couple; la deuxième revient sans conteste aucun à l'art populaire avec l'inamovible (mzaoudi) de la ville qui délègue le plus souvent un de ses remplaçants car constamment sollicité et se contentant de faire de brèves apparitions ponctuelles histoire de satisfaire tout le monde ! Quant à la troisième (outia), elle est l'objet désormais d'une grande rivalité avec la soirée nuptiale organisée par la famille de l'époux : célébrée avec ostentation, c'est en quelque sorte le point d'orgue, la consécration de toutes les dépenses et préparatifs du clan de la mariée, histoire d'en mettre vue aux parents de l'époux pour qu'ils sachent à qui ils ont affaire d'une part et une recherche implicite de reconnaissance de tous d'un rang élevé,imposant le respect dans la hiérarchie du quartier.
Cérémonie Vous avez beau servir lors de la cérémonie les douceurs les plus fines même importées de Damas, les boissons les plus onctueuses, louer les services d'une armada de serveurs stylés, prier les photographes d'immortaliser tous les présents gratis, solliciter la troupe de la RTT avec tous ses ténors, rien n'y fit : les commérages, les critiques, la désapprobation de fuser de partout : gâteaux durs sûrement à base de mie broyée et de pain rassis, boissons tièdes fades, salle surchauffée un sauna, on aurait mieux fait d'amener d'autres tenues de rechange, glaces fondues, salés trop cuits faits avec du thon en miettes vendu aux souks hebdomadaires, stéréo assourdissante, le photographe n'a pris en photos que les membres d'une telle famille obéissant aux instructions reçues, mariée maquillée à la halowine, époux lorgnant à tout instant du côté de ses cousines donc il y a anguille sous roches...Et les remarques désobligeantes de se diversifier d'un groupe à l'autre aussi viles et non moins perfides sans la moindre retenue tout en félicitant les parents des mariés pour la soirée mémorable, réussie, un sourire obséquieux peint aux lèvres ; comble de l'hypocrisie ! Ce qui nous amène à poser cette question : « N'a-t-on pas foncièrement raison de festoyer à minima outre mer ? »