*Les bijoutiers sont acculés : la contrebande passe internationalement par leurs mailles. *Côté banquier, leur joujou fétiche : " secret bancaire " cesserait d'être un tabou. L'amendement de certains articles de la loi 75 du 10 décembre 2003 se rapportant à la contribution de la Tunisie aux efforts internationaux entrepris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent a été adopté. Cette loi se compose de 31 articles pour la plupart nouveaux qui redéfinissent les procédures existantes en matière de lutte contre le financement des mouvements terroristes et le blanchiment de l'argent du crime. Parmi les points qui retiennent l'attention dans ce texte, celui qui concerne la levée du secret bancaire et l'obligation pour certaines institutions à caractère financier et pour certains professionnels de fournir les informations nécessaires concernant toutes sortes de transactions suspectes et sur les personnes qui les effectuent. Parmi les commerces concernés par le nouveau projet de loi, on relève le secteur de la bijouterie et de la joaillerie et celui des casinos, susceptibles apparemment de favoriser des opérations illicites contre lesquelles les nouvelles mesures seront décrétées. Pour mieux comprendre le rôle que ces corps de métier peuvent jouer dans le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent, nous avons interrogé sur le sujet plusieurs bijoutiers de Tunis et quelques responsables bancaires. Il nous a été difficile cependant de joindre les gérants de casinos, mais nous avons évoqué leurs cas avec les banquiers qui se contentèrent de nous livrer là-dessus leurs impressions personnelles.
Blancs comme neige ! Concernant les six bijoutiers contactés, pas un seul d'entre eux ne nous a fourni d'explications claires et précises sur la manière dont un commerçant de l'or, des bijoux ou des pierres précieuses pourrait interférer dans les opérations illégales visées par le nouveau projet de loi à propos duquel d'ailleurs ils semblaient manquer d'informations. Nos interlocuteurs ont tous affirmé ne pas être concernés par ce type de criminalité. " Tout est contrôlé dans notre commerce et la moindre fraude ou transaction suspecte est très vite découverte et dénoncée. Nous sommes les premiers à nous y opposer. Quand un client nous propose une grosse opération, nous prenons toutes nos précautions et vérifions que tout est en règle de son côté. Nous menons en effet notre propre enquête et posons toutes les questions nécessaires dans ce genre de situations avant de concrétiser la transaction. D'autre part, sachez que nous sommes des commerçants modestes qui n'utilisons jamais plus la quantité d'or autorisée par la Banque Centrale (200 grammes par mois). Pour ce qui est des pierres précieuses, voyez par vous-mêmes sur les vitrines et les écrins si nous en disposons vraiment. Là aussi nous sommes tenus de respecter le quota fixé par les autorités compétentes. Il faudrait peut-être soupçonner les grands importateurs de faire partie de réseaux louches. Leurs transactions à eux se chiffrent en dizaines de milliards. Quant à nous, nous menons au mieux des opérations de quelques millions de nos millimes. Nous ne voyons pas vraiment comment nous pourrions avec de telles sommes participer au blanchiment de l'argent du crime. "
La contrebande internationale Interrogé sur la question, le chef d'une agence bancaire rappelle que les transactions louches des bijoutiers et des joaillers ne pourraient s'effectuer au grand jour ni dans le cadre d'un commerce légal. Elles s'inscrivent, selon lui, dans des activités de contrebande menées à l'échelle continentale et internationale. " C'est pourquoi les autorités surveillent de près le marché parallèle et les revendeurs spécialisés dans le commerce de l'or non poinçonné. Mais il n'est pas exclu que ces marchands à la sauvette soient de mèche avec des bijoutiers peu recommandables qui écouleraient grâce à eux de l'or transformé et façonné sans autorisation légale. Quant aux bijoux de valeur qui ont été introduits illicitement dans le pays, ils sont en général revendus beaucoup moins cher que dans le circuit légal à des clients de confiance qui n'acquièrent pas la marchandise pour la commercialiser à leur tour. Ce type de transactions est difficile à contrôler et la contrebande internationale sévit partout malgré les efforts déployés pour lutter contre ses effets néfastes. "
Anticipation ? Un deuxième responsable bancaire explique autrement l'amendement de la loi anti-terroriste et contre le blanchiment d'argent : pour lui, la Tunisie s'est trouvée amenée, dans le cadre de sa contribution à la lutte menée à l'échelle mondiale contre ce type de criminalité, à revoir ses textes de loi pour les harmoniser avec les procédures légales internationales. " Concernant le secret bancaire par exemple, on ne peut pas chez nous continuer à en interdire la levée si l'on veut lutter contre le financement des mouvements terroristes et contre l'argent du crime. Je vois mal nos casinos et nos bijouteries effectuer de grosses opérations suspectes. Mais je crois que l'Etat cherche seulement à anticiper des situations criminelles envisageables dans des contextes précis et y prépare la jurisprudence appropriée. "
Vigilance Le troisième fonctionnaire de banque interrogé partage cet avis, mais il pense en même temps que comme les casinos et les bijouteries effectuent la plupart de leurs opérations en espèces, leurs commerces respectifs laissent beaucoup de place à toutes sortes de manœuvres criminelles difficiles à endiguer. " L'Etat les a à l'œil certes, mais il y aura toujours un malfaiteur ou plus qui passeront par les mailles des filets ! En tout cas et d'après ce que je lis dans certains articles du nouveau projet de loi, nous devons, nous autres banquiers, redoubler de vigilance et de circonspection face au fléau et faciliter la tâche aux autorités en dénonçant les situations bancaires suspectes de certains clients faute de quoi, nous encourons nous aussi de lourdes peines. Cela peut paraître contraire à la déontologie habituelle, mais parfois il y va de la vie de centaines et de milliers de concitoyens parmi lesquels peut figurer mon fils, mon frère ou mon ami ! ".