Après le verdict prononcé dans le procès intenté par Me Hosni Béji contre la direction du Festival de Carthage (édition 2009) et selon lequel le tribunal a décidé de rejeter la plainte de l'avocat, nous avons voulu sonder l'opinion de quelques citoyens sur ce jugement et sur la procédure qu'ils auraient suivie eux-mêmes s'ils s'étaient trouvés dans la même situation que Me Béji le soir du concert de Warda. Juste pour le rappel, ce dernier et son épouse n'avaient pu assister au spectacle bien que munis de leurs billets. Ayant fait constater par un huissier le désordre qui régnait dans l'amphithéâtre de Carthage et l'impossibilité pour son couple d'y trouver une place décente, l'avocat porta plainte contre les organisateurs de la soirée et alla même jusqu'à demander la suspension de la manifestation annuelle. La première constatation que nous avons faite après avoir interrogé dix personnes est que nos interlocuteurs avaient seulement entendu parler de l'affaire et qu'ils n'avaient pas cherché à en connaître l'issue. Personne ne savait en effet que Me Hosni Béji avait été débouté par le tribunal de première instance de Tunis. D'autre part, dès que nous leur avons parlé de procès, d'autres interrogés ont préféré ne pas répondre à nos questions ou bien ils se sont excusés de le faire arguant chacun sa raison. Pour ceux qui ont bien voulu nous livrer leurs impressions, trois d'entre eux seulement ont accepté que nous révélions leurs prénoms et pas leurs noms en entier. C'est dire combien le sujet leur semblait sensible et les réponses " risquées ". Certains nous ont pourtant déclaré que Me Béji avait donné aux Tunisiens un exemple d'audace dans l'application du droit. Quand nous leur apprîmes le verdict prononcé vendredi dernier, ils se montrèrent moins enthousiastes et invoquèrent une éventuelle faille dans la procédure suivie par l'avocat. Les autres exprimèrent des opinions plutôt défaitistes.
Une procédure coûteuse et vaine Monêem, par exemple, s'interroge sur l'utilité d'intenter des procès perdus d'avance : " Si l'avocat a été débouté, le citoyen ordinaire aurait-il eu gain de cause dans une affaire pareille ? Et puis, soyons sérieux, n'est-ce pas plaisanter que de vouloir arrêter un festival tout simplement parce qu'on n'a pas trouvé de place sur les gradins. En ce qui me concerne, il ne me serait pas venu à l'esprit de porter plainte à la justice ; par contre j'aurais tenu à être remboursé. Il faut être raisonnable. L'attitude de l'avocat me semble excessive et vaine de toute manière. Ce n'est pas une décision de justice qui apprendra aux organisateurs de la manifestation à respecter les citoyens et leurs droits ! " Lotfi et Mokhtar trouvent dommage pour leur part que la plainte de l'avocat ait été rejetée mais ce dernier doit, selon eux, la reformuler autrement et l'appuyer par des textes de lois plus persuasifs. " Quant à nous, nous ne serions pas allés jusqu'au tribunal pour si peu de chose. D'autre part, cela nous aurait coûté beaucoup d'argent et des efforts inutiles. Il valait mieux pour Maître Béji et sa femme rester chez eux et écouter Warda sur cassette ou CD. D'après ce qu'on raconte à la radio et à la télé, elle a très mal chanté ce soir-là."
Conciliabules dérangeants Au moment de résumer les avis collectés, nous suivions une émission de culture sur une chaîne de télévision privée connue lorsque son animateur apprit aux spectateurs que son équipe avait reçu la même semaine la visite d'un huissier sur demande d'un artiste tunisien renommé. Ce dernier s'étant senti injustement " malmené " par l'émission et ses invités, il exigea et imposa son droit de réponse et se présenta lui-même sur le plateau pour se défendre. Pendant sa mise au point, qui prit tout de même près d'une demi-heure, l'animateur et les journalistes ne réagirent que par de légers rictus ou par des plaisanteries conciliantes. Par la suite, ils se confondirent en excuses et en formules trop complaisantes pour une émission qui se voulait justement ennemie de la complaisance. Il faut rappeler par ailleurs que, les semaines précédentes, d'autres plaintes parvinrent au présentateur par la même voie contraignante. Loin de nous l'idée d'exploiter ces " incidents " juridiques pour fustiger une émission aussi réussie, mais force est de constater que quand il s'agit de défendre leurs droits, certains Tunisiens n'y vont pas de main molle. L'exemple de Me Béji et celui de l'artiste lésé en donnent la preuve. Cependant, les Tunisiens observent-ils tous la même rigueur et la même persévérance face à leurs vis-à-vis, ou bien font-ils le tri entre leurs adversaires respectifs ? Et n'y a-t-il risque de banalisation des contentieux. Doit-on aller systématiquement au tribunal pour un oui ou pour un non ?