On était absorbé par nos soucis et rêves quand subitement nous fûmes vivement secoués par le relent des poubelles installées au bord de la route. L'heure était tardive, il y avait de rares voitures et de rares passants, les lieux étaient occupés par les chiens et chats abandonnés, c'était le moment propice pour eux pour gagner leur pain, celui qu'on leur a laissé après s'être rassasiés: à chacun son moment de travailler, nous le jour, eux la nuit. Mais des sons émis qui n'étaient ni des aboiements ni des miaulements ont attiré notre attention: c'étaient des chuchotements. Et comme ces êtres domestiques ne peuvent pas produire un langage articulé, on a très vite pensé à des humains, on était détrompé. On a concentré notre regard et on a pu distinguer des silhouettes des nôtres. On s'est alors approché des poubelles pour voir plus clair : c'étaient un homme et une femme, de vieux, très vieux, ils avaient la quatre-vingtaine, ils étaient plongés dans ces dernières et disputaient leur part aux animaux cités plus haut. La femme n'avait pas de chair, mais une peau desséchée recouvrant son squelette dont les os donnaient l'impression de la transpercer. L'homme était voûté sous le poids de l'âge et aussi maigre que sa campagne. Ils ramassaient du plastique.
Le crime des enfants à l'égard de leurs parents On les a abordés pour leur demander pour le compte de qui s'adonnaient-ils à ce "travail" et pourquoi le faisaient-ils à cet âge-là. "On le vend à un intermédiaire à 300 millimes le kilo et qui à son tour le revend au centre du traitement des déchets, nous dit le vieillard. Comme vous le voyez on travaille très dur jusqu'à l'aube et on touche très peu d'argent, cette somme très modique ne peut aucunement subvenir à nos besoins très modestes du reste, on demande aux autorités concernées de nous augmenter le prix de vente." Sa femme allait nous parler des raisons qui les ont poussées à travailler à cet âge très avancé où ils devraient normalement être bien entourés, elle était sur le point de s'épancher et de nous faire part de tout ce qu'elle avait sur le cœur quand nous lui avons demandé s'ils avaient des enfants ou non."Si, nous dit-elle, mais...". Et là, elle avait laissé partir un profond soupir qui en disait long sur leurs souffrances. A ce moment, le mari intervint et la fit taire en la tirant par les vêtements, on veut dire les haillons, son geste était discret et traduisait la dignité de cet homme démuni. C'est vraiment scandaleux, comment des enfants osent-ils abandonner leurs parents et les livrer à la pauvreté et la maladie qui les dévore comme des charognards et déchiquètent leurs corps affaiblis?!!! Ils doivent être déshumanisés pour être aussi cruels, pour pouvoir perpétrer un crime aussi sordide.
Le crime des parents à l'égard de leurs enfants On a continué notre chemin et plus loin nous avons trouvé d'autres ramasseurs de plastique, mais là c'était un homme quadragénaire accompagnant son petit fils de sept ans. "J'ai sept enfants, nous dit le père, ils ont dû tous quitter l'école pour m'aider à supporter le fardeau. Moi, je suis maçon de métier, mais je ne peux plus exercer ce travail en raison d'un eczéma aux mains." Mais quelles que soient ses raisons, force est de considérer qu'il est l'artisan de ses malheurs et de ceux de sa famille qu'il a complètement détruite. Il est impensable et inadmissible qu'un adulte ayant fait l'école et ayant reçu une certaine instruction puisse constituer une famille si nombreuse. A ce qu'on sache, on ne vit plus à cette époque où les paysans voyaient dans leur progéniture une force de travail indispensable pour travailler la terre, de nos jours, la richesse ne réside plus dans la quantité mais dans la qualité. Cet homme est aussi criminel que les enfants des vieux, lui, il l'est à l'égard des siens, eux, ils le sont vis-à-vis de leurs parents.