Pas plus haut que trois pommes, Hilmi s'y connaît déjà en affaires. Les siennes consistent à faire du porte-à-porte pour collecter, gratis, des bouteilles, des bidons, des sceaux et n'importe quel autre emballage usagé, pourvu qu'il soit en plastique. Dynamique malgré sa silhouette frêle, le visage angélique dessiné par des yeux verts pétillants et une bouche souriante, Hilmi attire la sympathie de toutes les personnes à qui il s'adresse : «Vous avez des bouteilles en plastique ? C'est pour ma mère», lâche-t-il avec un petit sourire dès que les portes des maisons s'ouvrent. A ceux qui lui demandent ce qu'il fait dans la rue quand les autres enfants sont à l'école, il répond : «J'aide ma mère quand je n'ai pas cours». Et c'est en courant, heureux d'avoir déniché la perle rare, une bouteille ou un bidon, qu'il rejoint sa mère à quelques mètres de lui en train de frapper à une autre porte ou de ranger sa marchandise entassée dans une grande et vieille poussette sortie tout droit de la ferraille. Ramasseurs de plastique, de mère en fils La collecte du plastique, Latifa, la trentaine, en a fait son gagne-pain pour aider son mari ouvrier journalier et subvenir aux besoins de son petit garçon de six ans, en première année de l'école de base, et des deux autres enfants de son mari qu'il a eus d'un premier mariage et dont la mère est décédée. Chaque matin, Latifa, munie de sa poussette, ratisse large les quartiers environnants de la cité Massaoud où elle habite à la recherche du «butin» devenu plus rare depuis que la concurrence est devenue rude. «La marchandise se fait plus rare car dans les quartiers populaires, presque toutes les familles ont adopté cette activité, les temps sont durs et il n'y a pas de travail, alors chacun se débrouille comme il peut», témoigne Latifa. Pour ramasser le maximum de plastique et remplir son chariot, Latifa n'hésite pas à fouiner dans les containers à ordures et les sacs poubelles et à défier les chiens errants affamés. La peur, Latifa n'en a cure : «Je dois nourrir ma famille et permettre à mes trois enfants d'aller à l'école et poursuivre leurs études». Hilmi l'accompagne quand il n'a pas cours à l'école. «Il est encore petit, je ne peux pas le laisser seul à la maison ou dans la rue avec des copains et je n'ai pas les moyens de le mettre en garderie ; alors il m'accompagne et m'aide à collecter du plastique, il sait que c'est notre source de revenus, alors il le fait avec plaisir». La marchandise collectée, Latifa la revend à Mahmoud, un collecteur de degré supérieur qui se déplace en Isuzu d'un quartier populaire à un autre pour embarquer les grands sacs remplis de bouteilles et de bidons en plastique que les petites mains lui ont préparé. Au rythme d'une fois à deux fois par semaine, Mahmoud débarrasse Latifa de sa marchandise au prix de 500 à 600 millimes le kilo de plastique. Une bagatelle. «C'est le tarif depuis très longtemps, c'est mieux que rien», murmure Latifa. Mahmoud revend à son tour la marchandise collectée aux recycleurs de plastique, des usines de transformation des déchets en plastique en granulés destinés à l'exportation, une filière industrielle qui s'est développée au fil des années. Collecte du pain rassis : les «vieux» d'abord Pour améliorer un tant soit peu ses recettes, Latifa, tout comme ses nombreux voisins et ses concurrents dans le commerce souterrain du plastique, fait aussi la collecte du pain rassis. Latifa vend le pain rassis aux éleveurs de bétail qui l'utilisent pour nourrir les vaches, les moutons et les chèvres. Le «cours» du pain rassis fluctue entre six et sept dinars les cent kilos. La concurrence est encore plus rude autour du pain rassis car, avec la mendicité, cette activité est plus ancienne et mobilise le plus de personnes âgées. Titubants, parfois souffrants, les «vieux» font le tour des quartiers à la recherche du pain béni. Pour la plupart, la collecte n'est pas destinée à la vente mais à l'alimentation de leurs poules. Am Tayeb, 72 ans, en a quatre dont il vend les œufs à l'épicier du quartier. L'activité de collecteur est ancienne. Pour le plastique, le circuit c'est même organisé et supervisé par l'Agence nationale de gestion des déchets. Mais le plus frappant après la révolution c'est la multiplication du nombre des collecteurs qu'il est impossible de cerner aujourd'hui et l'apparition d'un circuit parallèle de collecte et d'acheminement vers les recycleurs. La preuve : les bouteilles et les bidons en plastique sont les seuls déchets absents des monticules d'ordures qui jonchent les artères des villes tunisiennes. Hilmi, sa mère Latifa et les autres contribuent sans le savoir à nettoyer l'environnement urbain et en même temps à renflouer les rangs de l'économie souterraine, seule alternative de survie pour ces familles démunies. Du moins pour le moment.