Du temps de Marx, le football n'existait pas encore en tant que mouvement de masse Et puisqu'il lui fallait inventer un champ de prédilection à l'opium, il a vite fait de lui déblayer le terrain religieux. Ce fut alors sa fameuse phrase : « La religion est l'opium du peuple ». Soit dit en passant qu'elle ne pouvait pas l'être autant que le communisme... Un opium d'une singulière alchimie s'insinuait entre temps - et Marx n'a pas vécu pour le constater - dans les mœurs sociales autant dans les pays développés que dans ceux qui ne l'étaient pas. Le football devenait, ainsi, un porte-étendard ; le moyen d'affirmation d'un pays sur la scène internationale ; la face émergée de l'iceberg. Si ce n'est carrément, un cache-misère dans des pays à la traîne du progrès. C'est que le sport, depuis qu'un Noir défiait Hitler aux Jeux Olympiques, s'accommodait déjà d'un message politique et le véhiculait même. Un Mohamed Ali Clay, déchu de son titre, conférait, pour sa part, à son jeu de jambes et à ses uppercuts l'arrogance du refus d'une sale guerre au Vietnam, la revendication d'une liberté du culte, la liberté d'être musulman... Marx s'était donc planté ! Car, aujourd'hui, le football est pour ainsi dire devenu la religion de ceux qui n'en ont pas. Manipulations, instrumentalisation, amalgames politiques : il déborde. La main de Henry ravive les saintes horreurs de l'Irlande à l'endroit de l'Union Européenne et les Irlandais regrettent maintenant d'en être. Ce qui s'est passé autour du duel entre deux équipes appartenant à des nations arabes sœurs est tout simplement avilissant. L'image du monde arabe - une image déjà ternie par les dissensions politiques - en prend un sacré coup. Du coup, on réalise à quel point les chaînes satellitaires distillent les poisons de l'outrance ; jusqu'à quelles limites les médias poussent la banalisation du dénigrement, les insultes de bas étage, dans des mises en scène dont la fantasmagorie arabe a le secret. Le ballon est, décidément, une poudrière. Il est normal qu'une nation ressente du dépit, quand son équipe nationale déçoit. Mais tout doit se faire avec civilité et objectivité. Dans la dignité, en somme. Les crises d'hystérie faussent le constat. Et aucun gouvernement au monde, en charge du progrès d'une nation, n'aimera sceller ses objectifs à une balle renvoyée par la transversale ou une qualification ratée au Mondial. « Et pourtant elle tourne ».