Le sujet est rarement débattu sur les colonnes de nos journaux. A l'Université non plus, on ne le soulève pas toujours avec le sérieux, l'objectivité et l'audace qui lui sont dus. L'encadrement des mémoires de fin d'études et de mastère et la direction des thèses de doctorat posent pourtant de vrais problèmes aux candidats, aux enseignants comme à l'administration. Pour en rendre compte, il faudrait un dossier, une table ronde même, qui donneraient la parole à tous ces acteurs en même temps. Mais dans cet article, nous mettrons le doigt sur quelques uns des maux dont pâtissent, chez nous, les études de troisième cycle. Aujourd'hui, et vu la difficulté de trouver un emploi immédiatement après la licence ou la maîtrise, de nombreux étudiants s'inscrivent en mastère dans l'espoir également de s'ouvrir de meilleures perspectives professionnelles. Sont-ils néanmoins suffisamment armés pour engager des études aussi poussées ? La présélection qui s'opère au sein des candidats obéit-elle aux critères adéquats et débouche-t-elle sur les choix souhaités ? Les enseignants s'impliquent-ils conséquemment dans l'encadrement des jeunes chercheurs ? Sont-ils récompensés à la mesure de leurs efforts et de leurs sacrifices ? Que peut-on proposer comme solutions pour améliorer les conditions de travail des futurs chercheurs et celles de leurs directeurs ? Voici donc un lot de questions auxquelles nous avons tenté de répondre avec quelques uns de nos interlocuteurs parmi les professeurs et les étudiants inscrits en thèse ou en mastère.
On juge à l'aveugle Du côté des étudiants, on se plaint de beaucoup de choses à la fois : les uns déplorent le manque flagrant enregistré dans les bibliothèques universitaires et publiques, au niveau des ouvrages de référence susceptibles d'aplanir plusieurs difficultés rencontrées par le jeune chercheur. D'autres s'en prennent à leurs professeurs lesquels, selon eux, abandonnent à leur sort les candidats ou au contraire mettent trop de pression sur eux à chacune des étapes de la recherche. On laisse entendre également que lors des soutenances de mémoires ou de thèses, certaines inimitiés entre les membres d'un même jury ressortent quelquefois à la surface et que le candidat peut en faire les frais. L'évaluation du travail de recherche obéit ainsi à des critères non scientifiques et il arrive, toujours selon les étudiants de troisième cycle, qu'un membre du jury n'ait rien lu du mémoire soumis à son jugement ou qu'il n'en ait parcouru qu'une partie. On reproche aussi aux différents jurys de ne pas toujours mettre le candidat à son aise et de le harceler de questions et de reproches de manière à lui faire subir un vrai supplice physique et moral durant les longues heures que prend son " procès ". " Pourquoi, se demandent certains étudiants, n'informe-t-on pas l'étudiant à l'avance, comme cela se fait dans la plupart des pays occidentaux, des reproches qu'on va lui adresser ? ". " La majorité de nos candidats n'a pas le niveau requis ! " Il est vrai que, du côté des universitaires tunisiens, les avis divergent sur les problèmes du troisième cycle et sur la manière dont on peut les résoudre. Mais il ne nous est pas possible de les sonder tous, dans le cadre de ce papier. C'est pourquoi nous avons choisi de donner la parole à l'un de nos meilleurs enseignants du Supérieur qui a dirigé plus d'un mémoire et plus d'une thèse durant les trois dernières décennies. Dans un bref entretien que nous eûmes avec lui, M. Kamel Gaha, Professeur de l'Enseignement supérieur, a mis le doigt sur ce qu'il considère comme les obstacles majeurs qui entravent le bon déroulement du troisième cycle à l'Université. " Je tiens tout d'abord à préciser que la réussite de l'encadrement au troisième cycle est tributaire d'un ensemble d'acteurs et d'éléments qui, réunis, forment une chaîne solidaire. La défaillance d'un seul maillon de cette chaîne influe sur le rendement de l'ensemble. On ne peut donc pas imputer les failles relevées, au niveau de la recherche universitaire avancée, aux seuls enseignants ni en tenir pour uniques responsables les candidats ou l'administration. Cela dit, certains facteurs ont plus d'impact que d'autres sur la marche actuelle du 3ème cycle sous nos cieux. J'en retiendrai plus particulièrement la baisse notable et déplorable du niveau des étudiants inscrits en mastère ou en thèse. Sur ce plan, je peux affirmer que l'immense majorité de ceux que nous encadrons n'ont pas le niveau requis pour réussir leurs travaux de recherche. Leur principale lacune est d'ordre linguistique. Ils sont en effet insuffisamment armés du point de vue du lexique, de la syntaxe, de l'expression et même de l'orthographe pour composer des développements dignes de leurs diplômes. On remarque d'autre part qu'il leur est difficile de dégager, une problématique pertinente qui appelle réflexion et recherche approfondies. Il leur manque également la culture suffisante pour aborder leur sujet sous des angles multiples. Au lieu d'élargir le champ de leur investigation et de tenter des approches plurielles, ils ont tendance à reproduire le contenu d'un cours ou les réflexions d'une critique qui traitent de la même question. Sinon, ils comptent plus qu'il n'en faut sur leur encadreur et attendent de lui qu'il les assiste en tout et à toutes les étapes de la recherche. De mon temps, une fois qu'ils ont eu son accord sur la problématique et le plan, les étudiants chercheurs ne revoyaient leur directeur de mémoire ou de thèse que pour lui remettre un ou plusieurs chapitres entièrement rédigés de leur travail. En fait, l'université tunisienne a connu une fulgurante évolution durant les quarante dernières années si bien que l'augmentation remarquable du nombre des étudiants conjuguée à d'autres facteurs comme la mauvaise orientation des bacheliers a inévitablement donné lieu à un surplus de " déchets ". " La prime spécifique, une juste récompense ! " Sur la question des primes spécifiques octroyées aux universitaires qui dirigent des mémoires de mastère et des thèses de doctorat, M. Kamel Gaha a livré les commentaires suivants : " On en entend parler, mais à ma connaissance rien n'est effectif jusqu'à l'heure ; et même en cas d'accord avec l'administration sur cette question, je ne pense pas que la rétribution ait un effet rétroactif. En tout cas, ce serait une bonne chose que de récompenser cet engagement des professeurs universitaires dans l'encadrement des jeunes chercheurs. Il nous arrive de diriger plus d'un travail, d'être sollicités par plus d'une commission et de faire partie de plusieurs jurys à la fois ; une telle implication mérite salaire à mon avis, ne serait-ce qu'à titre de motivation pour continuer à former les futurs chercheurs en dépit des lacunes déjà soulignées. " Concernant les rapports de pré-soutenance que, sous d'autres cieux, on fait parvenir au doctorant bien avant qu'il soutienne sa thèse, et qui demeurent encore " confidentiels " chez nous, M.Gaha ne voit aucun inconvénient à ce que le candidat soit informé des réserves émises sur son travail afin qu'il sache y répondre le jour J. Badreddine BEN HENDA
**** Rémunération des encadreurs : 1.700 dinars pour la thèse et 400 dinars pour le mémoire Au sujet de la rémunération des encadreurs de mémoires de mastère et de thèses de doctorat, M.Sami Aouadi, de la Fédération Générale de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (F.G.E.S.R.S.), nous a appris que les montants relatifs à la direction des travaux de recherche universitaire ont fait l'objet d'un accord vieux de deux ans déjà (depuis 2007) qui va être incessamment mis en application. Il y est stipulé (abstraction faite de certaines conditions auxquelles est soumis le paiement) que l'encadreur touche 1.700 dinars pour une thèse de 5 ans soutenue effectivement. S'il s'agit d'un mémoire de mastère, le montant octroyé est de 400 dinars.