Jadis la migration était considérée comme « un échec du développement », reflet de l'absence d'opportunités dans le pays d'origine. En effet, bon nombre de facteurs qui incitent à la migration (chômage, pauvreté, instabilité politique, ...), sont désormais la preuve palpable d'une influence de développement dans le pays. Mais de plus en plus, la migration est perçue comme un mécanisme puissant pour la croissance et le développement. La migration ouvre la porte aux ressources financières (sous forme d'envois de fonds), à l'investissement et au transfert du savoir (migrants rentrant au pays et diaspora), au développement des compétences, et aux réseaux importants pour les entreprises, les filières potentielles pour que la migration vienne en aide au développement sont nombreuses. Dans ce cadre deux rapports de la Banque Mondiale (BM), l'un sur "les perspectives de la mobilité des personnes et des emplois pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord", et l'autre sur "les défis de la Migration de la main d'œuvre de l'Afrique du Nord", ont été présentés, à Tunis, lors d'un séminaire organisé en collaboration avec le ministère de l'emploi et de l'insertion professionnelle des jeunes. Il ressort du premier rapport que la mobilité des personnes et des emplois dans la région MENA connaîtra une accélération rapide durant les prochaines années, d'où la nécessité de mettre en place des politiques de gestion concertée des flux migratoires entre les pays émetteurs et d'accueil en vue d'atteindre un équilibre gagnant-gagnant. Dans ce sens, Mme Leila Zlaoui, conseillère à la BM, a indiqué qu'à l'horizon 2050, l'Europe devrait perdre 66 millions d'actifs, alors que dans la région MENA la croissance de la population active dépassera les 40 millions. Quant au second rapport, il conclut que la migration est en nette évolution dans les pays d'Afrique du Nord et est perçue comme un mécanisme puissant de réduction du chômage. A cet égard, Mme Jennifer Keller, économiste et M.Richard Billsborrow, professeur à l'Université de la Caroline du Nord, ont relevé que le taux moyen d'émigration des pays d'Afrique du Nord se situe aux alentours de 5,5% de la population, avec une prédominance de migration peu qualifiée et une féminisation des flux migratoires en raison d'une participation croissante des femmes au marché du travail. Coûts et avantages de la migration La migration comporte des niveaux variables de coûts et avantages pour l'économie tout au long de ses différentes étapes, mais l'ampleur de ces coûts et avantages est largement influencée par les caractéristiques des migrants et par les incitations structurelles du pays d'origine et des pays d'accueil. Au niveau global, on constate un intérêt à appréhender l'impact de la migration sur la croissance et la productivité en Afrique du Nord, en particulier à la lumière du recul éventuel de la migration et des envois de fonds dans le contexte de la crise financière. Il est prévu que la région de l'Afrique du Nord enregistre une baisse des envois de fonds en 2009. Toutefois, au niveau de l'économie, les impacts de la migration résultant de la crise financière mondiale seront vraisemblablement peu importants : les envois de fonds ne se situant qu'environ à 4,3% seulement du PIB et dans le contexte projeté d'une baisse des envois régionaux de 4,2% seulement en 2009, l'impact net sur le PIB de 2009 ne sera que de l'ordre de 0,18 point de pourcentage. D'autres impacts de la migration ne sont pas visibles au niveau macroéconomique mais apparaîtront au niveau des décisions prises par le ménage et des résultats. Premièrement, la migration et les envois de fonds ont réduit la pauvreté en Afrique du Nord. En outre, les envois de fonds contribuent à minimiser la probabilité de se trouver en situation de pauvreté. Par ailleurs, la migration a un autre impact potentiel qui a trait aux marchés du travail, non seulement pour ce qui est des sorties de travailleurs mais aussi des changements intervenants dans les décisions d'emploi de ceux qui sont restés sur place (notamment pour les bénéficiaires d'envois de fonds). Selon une recherche menée par la BM, les autres preuves d'impact de la migration nord-africaine dérivent seulement d'un témoignage descriptif, suggestif des coûts et avantages associés à la migration. Le coût éventuel le plus important pour la région est lié à la perte de travailleurs plus éduqués nécessaires à la croissance de développement, souvent évoquée comme étant l'exode des cerveaux. Non seulement les taux de chômage de l'Afrique du Nord sont élevés mais des statistiques montrent que les travailleurs éduqués ne sont pas déployés de la manière la plus productive. Les estimations de la productivité de la région indiquent que la région MENA au sens large enregistrent en permanence un faible niveau de productivité. Esprit d'entreprise pour les migrants Les migrants qui rentrent au pays constituent une autre source potentielle de savoir et d'investissement pour les pays d'origine Tout d'abord, l'esprit d'entreprises des migrants qui rentrent au pays dépend largement des envois des fonds. Les résultats indiquent que plus les envois de fonds sont importants, moindres seront les contraintes budgétaires au retour, un déterminant majeur du comportement entrepreneurial. Par ailleurs, l'esprit d'entreprises est également plus développé pour ceux qui rentrent au pays avec une expérience antérieure d'employeurs ou d'indépendants et pour ceux qui ont suivi une formation professionnelle au cours de leur séjour à l'étranger. Faible niveau d'utilisation des compétences Plusieurs facteurs expliquent, selon le document de recherche de la BM, le faible niveau d'utilisation des compétences en Afrique du Nord. Un des facteurs est le fait que la qualité, la quantité et l'attention portée aux réalisations pédagogiques ne sont pas alignées sur les objectifs du développement économique. Et pour la Tunisie ? M.Slim Tlatli, ministre de l'emploi et de l'insertion professionnelle des jeunes, a indiqué que les flux migratoires ne sont plus seulement posés en termes d'échanges, ils suscitent, désormais, d'autres questions liées aux coûts et bénéfices pour les pays émetteurs et d'accueil, ainsi que pour les migrants eux-mêmes. Il a ajouté que de nombreuses études menées par la Banque Mondiale font ressortir que l'Europe connaîtra des déficits de main d'œuvre au cours des prochaines décennies tandis que les pays du Maghreb continueront à faire face à de fortes pressions sur leur marché de l'emploi. Selon les projections, la demande additionnelle d'emploi en Tunisie s'orientera vers la baisse, à partir de 2025. D'ici là, l'emploi demeurera la priorité absolue de toutes les stratégies nationales, a indiqué le ministre, signalant que sur les 350 mesures annoncées dans le programme présidentiel 2009-2014, environ 250 concerneront l'emploi de manière directe ou indirecte. M.Tlatli a rappelé que la Tunisie est le seul pays d'Afrique du Nord à avoir signé un accord avec la France sur la gestion concertée des flux migratoires, accord qui porte, notamment, sur le renforcement de la formation professionnelle des jeunes et l'encouragement de la migration légale. De son côté, M.Ndiamé Diop, représentant résident de la Banque Mondiale en Tunisie, a mis l'accent sur les travaux de recherche élaborés par son institution en vue de cerner la réalité du phénomène et anticiper les risques qui y sont liés surtout que durant les 50 prochaines années, la mobilité internationale va se multiplier sous l'effet des mutations démographiques et de la réduction des coûts du transport et des télécommunications. L'agenda pour améliorer les impacts économiques et sociaux de la migration est vaste et l'un des facteurs clés qui déterminera la capacité des économies nord-africaines à adopter une politique de migration judicieuse, est l'existence de données socio-économiques suffisantes sur la migration.