« A quelque chose malheur est bon », dit l'adage français dont nous avons, nous aussi, quelques équivalents en arabe. En ce qui concerne la vague islamophobe qui a notamment suivi les attentats du 11 septembre 2001, elle nous semble avoir servi la cause de l'Islam et celle des Musulmans plus qu'elle ne leur a nui. L'affirmation peut paraître paradoxale vu les conséquences désastreuses et surtout les agressions multiples que ce mouvement d'hostilité a, à tort ou à raison, entraînées et justifiées. Cela fait presque 10 ans, que les Musulmans du monde entier sont pointés du doigt dans beaucoup de pays occidentaux ou non musulmans. L'image de terroristes virtuels accompagne ces fidèles et envenime leurs rapports avec les adeptes des autres religions. Des campagnes de propagande malveillante sont savamment menées contre eux à tous les coins du monde et même en terre musulmane. On dénigre leurs valeurs, leurs symboles, leurs saints, leurs monuments, leurs croyances et leurs traditions. On les diabolise sur les journaux, dans les livres, au théâtre, sur les écrans de télévision et de cinéma, dans les meetings politiques et culturels. Toutes les occasions sont saisies pour « se taper de l'arabe et du musulman » et tous les prétextes sont bons pour traiter l'un et l'autre de tous les noms. Tout cela est vrai et se confirme aujourd'hui encore. Cependant, nous devons reconnaître que jamais avant l'actuelle décennie, on n'a autant ni aussi bien défendu l'Islam. Contre-offensives La vague islamophobe occidentale n'a pas produit dans le monde musulman qu'une réaction épidermique haineuse visant les ennemis de l'Islam. C'est complètement faux de soutenir un tel propos. En effet, au niveau des dirigeants et des instances officielles des Etats, du côté des organisations civiles et des partis politiques, parmi les élites cultivées et également au sein des masses moins éclairées, on ne cesse depuis près de 10 ans de mener les contre-offensives pour réhabiliter l'image de l'Islam et de ses adeptes. Conscients de la nécessité d'adopter un langage convaincant et surtout modéré pour défendre leur foi, les Musulmans de tout bord se refusent au dogmatisme et au chauvinisme en s'adressant à leurs interlocuteurs non musulmans. Nos dignitaires religieux et nos théologiens revisitent le Coran, les exégèses ainsi que les Hadiths du prophète Mohammed pour y puiser les arguments les plus persuasifs et les plus adaptés à notre temps. Leur défense de l'Islam et des ses préceptes est conduite de manière de plus en plus méthodique, et de plus en plus rationnelle. A toutes les questions et sur tous les sujets, ils s'évertuent à chercher des réponses dans des versets peu équivoques du Coran, ou dans les propos confirmés du « Rassoul ». La redécouverte de l'Islam Des colloques et des séminaires (locaux et surtout internationaux) sur les valeurs et les vertus de l'Islam sont organisés partout dans le monde et à des fréquences très régulières. On n'attend plus les cérémonies religieuses pour donner des conférences sur notre religion et la parole n'y est pas donnée qu'aux Arabes et aux Musulmans. Pas plus tard que la semaine dernière, à Tunis et à Monastir, un universitaire canadien a tenu deux conférences sur le statut de la femme dans l'Islam. Les sujets sensibles de ce type (droits de la femme, tolérance, pacifisme, etc.) sont d'ailleurs les plus traités par tous ceux qui se penchent sur un thème islamique. Chez nous et dans plusieurs pays modérés, les chaînes de télévision et de radio spécialisées tiennent des discours moins passionnés en abordant les questions religieuses. Leurs animateurs se montrent plus audacieux et s'attaquent à plusieurs sujets autrefois tabous. D'ailleurs, il est rare qu'ils développent leurs propres thèses sur ces questions ; le plus souvent, ils font appel à des savants confirmés et ouverts pour étayer leurs arguments. Les polémiques s'installent maintenant à propos de plusieurs aspects délicats de la vie et des pratiques du Musulman. Et les citoyens ne cherchent pas les réponses à leurs inquiétudes auprès d'un seul spécialiste ou d'une seule école théologique. Le discours obscurantiste ne fait plus cavalier seul même au sein des communautés les plus extrémistes. Sur Internet, il y a encore beaucoup à faire pour juguler les mentalités rétrogrades (qui ont hélas leurs sites électroniques) et instaurer des dialogues fructueux avec l'Autre. L'Histoire au secours des opprimés Sur un autre plan, l'islamophobie rend un précieux service aux Musulmans et à leur religion dans la mesure où à maintes reprises, elle repose sur des préjugés injustes. Comme le monde occidental n'est pas constitué que de dupes des a priori, les chances se multiplient donc de trouver parmi les plus objectifs de ses habitants des « amis » et des « supporters » qui refusent de voir des hommes comme eux pâtir des partis pris erronés. Apparaissant ainsi comme des victimes de l'ignorance et de la bêtise humaines, l'Islam et les Musulmans gagneront des défenseurs sur toute la planète. Comme ce fut le cas pour les Juifs durant l'ère fasciste et nazie, l'Histoire se répétera peut-être en faveur des Musulmans. Encore faut-il que ces derniers sachent saisir cette chance inouïe en bannissant totalement de leur interprétation religieuse, toutes les lectures bornées et en donnant à leur religion la dimension universelle qui lui sied réellement. Passer aux actes Dans ce sens, et pour accompagner les discours par des actes, il y a lieu de consacrer dans nos stations de radio et de télévision, des émissions qui s'ouvrent sur les deux autres religions monothéistes (christianisme et judaïsme) et qui étudient les points de rencontre ou de divergence qu'elles ont avec l'Islam. L'esprit d'ouverture, c'est aussi cela ! Sur plusieurs chaînes françaises et européennes, on passe chaque dimanche matin, une série de programmes destinés à faire découvrir divers aspects des grandes religions humaines et qui invitent les spectateurs à réfléchir sur différents sujets de portée quotidienne ou éternelle. Nos journaux aussi ont un rôle à jouer en vue de rapprocher les fidèles des principales confessions. Les pages réservées aux choses du culte devraient être ouvertes à toutes les plumes sans distinction de foi ni de conviction idéologique. La liberté d'expression, c'est aussi cela! Dans les écoles et les lycées et tant que notre enseignement n'est pas encore tout à fait laïc, pourquoi se limiter à la découverte et à la compréhension de notre religion ? A l'université, on peut créer des filières qui étudient toutes les croyances passées et présentes. Si l'intolérance est fille de l'ignorance, ne vaut-il pas mieux dans ce cas répandre la lumière plutôt que les ténèbres dans les esprits des futures générations ?! Rectifier les erreurs Dans les pays occidentaux, les représentants des colonies musulmanes (notamment celles qui s'activent dans des organisations indépendantes) combattent au quotidien les préjugés discriminatoires sur lesquels se fonde l'exclusion des minorités d'une manière générale. Leur combat doit être soutenu pour faire tampon contre l'islamophobie grandissante cette autre forme injuste d'exclusion. En combattant, comme y appelle une conférencière hollandaise lors de « La Fête de la Science » organisée tout récemment, « l'idée que l'Islam est une religion fermée », il y a une chance que les mentalités changent favorablement en Europe. Cette jeune chercheure appelée Eefje Verbeke étudie actuellement la représentation du monde musulman dans les manuels scolaires en Flandres. Dans son exposé, elle souligne la nécessité de rectifier l'image déformante que colportent ces livres sur la religion de Mohammed et de militer pour un enseignement moins passionnel, plus objectif. En même temps, elle reconnaît que d'autres obstacles se dressent devant le changement des mentalités parmi les écoliers : elle cite entre autres le rôle négatif que peut jouer l'opinion du professeur si celui-ci est lui-même hostile à l'Islam et aux Musulmans. Elle déplore également les discours orientés tenus par certains médias et certains hommes politiques. Poursuivre le combat Il importe donc de montrer à l'Autre qui nous diabolise que, lui non plus, n'est pas un ange et que pour, notre bonheur commun, il doit de son côté se défaire du sentiment de supériorité qui lui fait croire que l'ouverture sur autrui ne le concerne pas ! C'est tout un programme et c'est un vrai combat que beaucoup d'Arabes et de Musulmans ont commencé avant nous et que nous devons poursuivre aujourd'hui et demain !