Par: Baâzoui Mustapha - La Révolution tunisienne, dont beaucoup ignorent jusqu'ici la portée, a mis bas un régime de gouvernance politique vieux de 14 siècles. Certains vont être surpris par cette conclusion et ce largage, mais il n'empêche que c'est une vérité qu'il est temps de mettre au clair. Le modèle politique d'Amir El Mouminine est dorénavant abattu à jamais dans l'esprit collectif des gens même s'ils ne se rendent pas compte. C'est le seul modèle politique de gouvernance des Arabes et des Musulmans à travers l'histoire gravé dans leur conscience et subconscient. Il est bel et bien celui de Bourguiba, de Ben Ali et de tous les régimes arabes sans exception. Ce modèle a été toujours protégé et défendu par les « clergés » de l'institution religieuse officielle par des Ulémas, des prêcheurs, Muftis et par tout un système culturel et éducationnel religieux en place. Il s'agit de la reproduction pure et simple de l'Etat de Béni Oumaya, des Abbassides, des Mamlouks, des Emirats Andalous, de l'Empire Ottoman. Ce prototype est la seule conception politique que nous possédons et que les Etats arabes et Musulmans sont en train de perpétuer et perdurer avec la complicité imprudente de l'institution religieuse traditionnelle. En fait, il ne s'agit pas uniquement d'une institution religieuse mais plutôt d'une culture et d'une histoire, d'une manière plus explicite c'est notre unique patrimoine politique. Malgré que le concubinage et juridiquement prohibée dans les sociétés musulmanes, il est bizarrement légitimisé en ce qui concerne le couple pouvoir-religion. La religion, détournée de son essence de liberté et d'égalité est devenue « l'amante » des dictateurs pour ne pas dire plus. Pourvoyeurs de la Fitna ? A travers leur histoire les Musulmans ont développé les jurisprudences dans tous les domaines, deux sont restés du domaine exclusif de l'Emir : la politique et la fiscalité (l'argent) qui sont du reste les piliers de tout pouvoir absolu. L'absence des slogans religieux dans la révolte tunisienne et celle en cours de l'Egypte n'est pas un signe de l'absence du courant religieux, elle révèle une absence quasi-totale d'une culture politique de liberté et d'épanouissement dans notre histoire associée à la religion ou en rapport avec la religion. Tous ceux qui ont osé s'opposer aux régimes politiques, au passé comme au présent, ont été taxés de pourvoyeurs de Fitna et considérés comme une menace contre l'unité de l'Oumma ! D'ailleurs, révoquer un pouvoir politique dans un Etat arabe peut conduire à la potence aux termes de la lecture répandue de la religion. On a aussi noté une absence totale, troublante de l'institution religieuse officielle dans cette révolution. Où est le Mufti de la Tunisie (comme celui de l'Egypte) dans ce soulèvement ? Quel est son vrai rôle si ce n'est de défendre les droits légitimes des gens, des opprimés, de tout un peuple ? Pourquoi avons-nous besoin d'un Mufti d'emblée dans notre société ? On ne connaît qu'une seule et unique activité pour notre Mufti, c'est celle d'annoncer le début des mois lunaires sous la dictée du Ministre du Culte ! Pourquoi les Imams et les prêcheurs des mosquées ont-ils continué de prier le pardon et la miséricorde pour Ben Ali alors que le président déchu cherchait honteusement un asile de par le ciel ? Comment expliquer la déconnection totale entre une Religion qui prêche, théoriquement, l'égalité, la liberté, l'interdiction de se soumettre qu'au seul et unique Dieu et les pratiques louches, aveugles et complices des commis de le Religion avec le tyran allant jusqu'à sa glorification ? Comment la culture religieuse Islamique en Tunisie tolère-t-elle les tirs à balles réelles sur des manifestants pacifistes alors que le texte prohibe formellement tous types d'assassinats hors la condamnation pour meurtre ? Comment elle tolère les assassinats et les homicides froids pour défendre des dictatures ? Comment le Mufti peut-il se taire sur les aberrations et les dérives du pouvoir politique qu'il connaît pertinemment comme tous les Tunisiens ? Comment peut-il prier Dieu en restant muet face au soulèvement populaire qui réclame justice, égalité et droiture alors que toutes les télévisions diffusent et rapportent les nouvelles de Sidi Bouzid, de Kasserine, de Tala jusqu'à l'avenue H.Bourguiba ? Même le président déchu s'est déplacé pour une visite médiatique chez le Chahid Bouazizi, notre Mufti a-t-il été à ce point inerte et engourdi ? Espace formellement interdits Notre modèle politique religieux a été fait sur mesure des tyrans et des dictatures, parce qu'il a été instruit et instauré par le Hajjaj Ibn Youssef que notre culture politique est brutale et barbare. Oui, notre modèle politique religieux tel qu'il est transmis et hérité à travers l'Histoire – l'Islam est innocent de cette connotation – ne donne naissance qu'à des tyrans et des dictateurs. Oui cette culture, ce maudit héritage est l'opium des peuples. On ne peut jamais adapter une culture pareille à notre époque ni à notre avenir – je ne parle pas du sacré Texte qui est diamétralement opposé à cette sombre et mélancolique Histoire. Cette culture n'est pas digne d'être adoptée ni associée aux préceptes de l'Islam. Si au contraire l'ordre du jour était un sujet à controverse et de boutefeu comme celui de Sunna et Chiaa, vous aurez vu les barbus des toutes les obédiences, et les Ulémas de tous les calibres se bousculer sur les stellites et les plateaux des télévisions pour exhiber leur savoir et leur détermination à défendre la Sunna. Mais quand il est question des droits de l'Homme, des libertés, de Démocratie, de s'opposer à la débauche du Président, du Roi ou de l'Emir, quand il s'agit de défendre la dignité et les droits des opprimés en Tunisie, en Egypte, au Yémen et dans d'autres pays nos « clergés » se couchent et enfoncent leurs têtes dans le sable et s'aveuglent d'une manière indigne ! Culturellement, ces espaces du vécu humain lui sont formellement interdits par les politiques au prix de sacrifices que peu d'honnêtes Homme ont accepté de payer le prix ! Il est temps d'ouvrir les portes de la caverne ténébreuse de cette Histoire pour prouver que les préceptes de notre Religion n'ont rien à envier aux modèles politiques occidentaux. Il est temps de rejeter ce lourd legs qui a largement contribué à notre faiblesse et notre asthénie. Cette manière de voir les choses participe à reproduire et perdurer des modèles de gouvernance vicieux et opprimant qui ne sont pas dignes d'une grande religion comme l'Islam. La religion des valeurs de justice, d'égalité, d'équité et de droiture ne peut pas être otage des interprétations malhonnêtes et arrivistes des plagiaires. L'héritage politique religieux doit être jeté à la poubelle de l'Histoire parce qu'il ne peut faire l'objet que de l'indignation et de la condamnation. Il faut blanchir l'Islam des connotations de l'autoritarisme, de la tyrannie et de la royauté. L'Islam n'a jamais été une menace, c'est l'affranchissement même. L'Islam n'est pas un voile, une barbe et un package d'interdictions, ni des recommandations morales dépourvues de tout impact sur le vécu des humains. Tout au contraire, c'est la délivrance interne et externe de toutes les sacralités humaines mortelles pour une émancipation vers la liberté absolue. Aux Musulmans contemporains de considérer simplement que leur héritage culturel, surtout politique est un héritage purement humain et non intemporel. De la même manière qu'ils ne peuvent pas se soigner avec les méthodes d'Ibn El Jazzar ou d'Ibn Sina, ils ne peuvent pas se soigner socialement avec les écrits du 3ème siècle ! L'Histoire politique arabo-musulmane, telle qu'elle nous est parvenue, est l'Histoire de l'expérience politique bourrée de caprices des humains cherchant à dominer et asservir leurs sujets. Ces dictateurs et ces César ne diffèrent en rien de nos dictateurs et de nos César. Le texte religieux, en l'occurrence le saint Coran est à l'autre rive des régimes despotiques et de ses alliés. Il est du côté de la sagesse, de la droiture et de la vérité. Il est absolument et éternellement du côté des pauvres et des déshérités. C'est aux musulmans contemporains de relire le texte sacré, divin et éternel, pour découvrir qu'ils ignorent tout sur cette religion. Ils ont tout simplement substitué le texte sacré, qui est entre leurs mains, par des traités et des annales dépassés par le temps truffés de fautes et de bévues, droits de l'Homme en tête. Une religion dont le fondement est l'obéissance à un seul et unique Dieu interdit formellement la soumission à tous les mortels quel qu'en soient leur nature, leur bonté y compris les prophètes. Elle ne peut jamais se soustraire de défendre les droits de l'Homme, la liberté et l'égalité non pas uniquement les citoyens d'un pays, mais de tous les êtres humains. Dieu ne serait-il pas le créateur de tous les êtres !